ARTS & CULTURE

Face aux patrimoines culturels détruits du Proche-Orient ancien : défis de la reconstitution et de la restitution numériques

octobre 17, 2017 14:51, Last Updated: octobre 17, 2017 14:51
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Il est d’usage de penser que le patrimoine culturel matériel labellisé par l’Unesco comme « patrimoine mondial » bénéficie d’une protection symbolique et réelle face aux aléas des conflits. Les guerres des trente dernières années ont pourtant été le théâtre de destructions programmées du patrimoine culturel de toutes les époques, soit à des fins de pillages, soit pour éradiquer un passé considéré comme ennemi.

Ainsi aux Proche- et Moyen-Orient, on ne compte plus les sites archéologiques et les monuments, classés par l’Unesco, détruits et pillés – qu’ils soient préhistoriques, mésopotamiens, hellénistiques, romains ; qu’ils signalent les premières traces chrétiennes ou musulmanes ou encore la présence ottomane. Effacer la trace de cultures soudain honnies, tout en dégageant des profits illicites grâce auxquels s’achètent armes et allégeances participe de l’anéantissement des sociétés de la région, de leurs liens sociaux et des relations qu’elles entretiennent avec le passé et le futur.

De précieux alliés

Plusieurs de ces sites furent découverts et fouillés par des archéologues français, sur des périodes parfois très longues (voir ci-dessous). Les archives de ces chantiers de fouille constituent des ressources inestimables non seulement pour l’histoire archéologique et ses méthodes, mais aussi pour celle des sites et monuments concernés. Qu’elles soient numérisées ou que leur collecte se fasse d’emblée sous la forme numérique, les données scientifiques collectées, organisées, indexées et décrites constituent d’inestimables ressources pour conserver les connaissances acquises au fil des décennies et pour garder la mémoire des lieux dans leurs différents états.

Les plans, relevés topographiques, relevés épigraphiques, photographies ou films, carnets de fouille, etc. donnent accès aux états des vestiges antérieurs à la destruction. Ils sont précieux si l’on forme la double hypothèse de la fin des guerres et d’une reconstruction. Systématiquement numérisés et versés dans une base de données archivistique, ils deviennent de précieux alliés dès lors que l’on souhaite porter à la connaissance du plus grand nombre l’histoire et les patrimoines de l’humanité dans cette région.

C’est pourquoi, en 2016, le ministère de la Culture et le LabEx Les passés dans le présent ont mis en place un partenariat scientifique et culturel sur le patrimoine du Proche-Orient ancien, qui s’appuie sur la Fondation de l’université Paris Nanterre. Les chercheurs (UMR ArScAn) et ingénieurs (service des archives de la Maison Archéologie et Ethnologie René-Ginouvès-MAE) du LabEx proposent des contenus éditorialisés et des reconstitutions 3D des monuments, sites archéologiques et objets des patrimoines de cette région et les relient aux archives des fouilles archéologiques conservées à la MAE.

Cette proposition est destinée au large public du site archeologie.culture.fr, la collection « Grands sites archéologiques » du ministère de la Culture, placée sous la responsabilité du musée d’Archéologie nationale. Elle concerne les sites et monuments de différentes époques réputés en danger ou d’ores et déjà endommagés ou détruits lors des conflits en cours, de toutes les époques, pour une part classés au patrimoine mondial de l’Unesco. À ce jour, le volet thématique patrimoineprocheorient.fr propose plusieurs sites – Khorsabad, Palmyre, la Grande Mosquée des Omeyyades de Damas, le Crac des Chevaliers et Mari. D’autres sont en préparation.

Un cas emblématique : la mission Mari

Parmi les sites qui ont subi les dommages les plus graves se trouve le site de Tell Hariri-Mari (Syrie). 47 campagnes de fouilles se sont déroulées sur le site de 1933 à 2010, livrant des informations inestimables sur la naissance des cités au Proche-Orient. La mission de Mari a bénéficié du soutien du ministère français des Affaires étrangères et du Labex Les passés dans le présent afin de gérer toute une série de défis majeurs : alors que le site est dévasté par les pillards, la documentation de la mission n’est plus seulement un outil scientifique, elle est un patrimoine majeur qui donne des informations sur les monuments et les objets au moment de leur découverte. Ces documents sont donc des références majeures en vue de la gestion à la fois du site, mais aussi des collections qui en proviennent.

État des lieux des pillages à Mari. Vues satellites de Mari et Tell Madkouk de 2014 et 2015, illustrant les différentes destructions constatées. (Mathilde Mura, Digital Globe Foundation/Frank Braemer, CC BY-NC-SA)

Dans le cas de Mari, la très grande majorité des 250 000 documents de la mission se présente sous la forme de tirages papiers, de photos, de plans, de fiches et de documents administratifs. Un important travail d’inventaire et de numérisation a été entrepris par étapes depuis 2012 dans le cadre de divers projets de publication et de valorisation des archives sous la direction de P. Butterlin.

En 2014, s’est tenue à l’Institut du monde arabe l’exposition Voués à Ishtar qui se concentrait sur le premier sanctuaire dégagé par l’archéologue Parrot (le fonds Parrot de Mari est conservé à la Maison Archéologie et Ethnologie René-Ginouvès, à l’Université Paris Nanterre) à Mari, le temple d’Ishtar. La collaboration entre le Musée du Louvre et la mission de Mari a permis de présenter à la fois les objets, les photos originales des découvertes, les documents administratifs et les fiches objets de la mission, montrant ainsi comment s’est bâti le savoir sur la ville, dans les années 1930, et comment on peut revisiter cette découverte, après 80 ans de recherches sur la cité.

L’apport sans égal de la modélisation en 3D

Ces recherches restent encore, pour une bonne part, inédites et la mission de Mari s’est attachée à la publication de l’ensemble, en se servant des techniques modernes de visualisation. Un des enjeux dans ce contexte est le travail de modélisation en 3D entrepris dans le cadre du LabEx d’une série de monuments exceptionnels : le Grand Palais royal ou le Massif rouge.

Le palais de Mari. Vue aérienne. Le nord, où se trouve la porte, se situe à droite sur le cliché. Aviation française du Levant. (Mission archéologique de Mari n° 1683b, 1937., CC BY-NC-SA)

Ces édifices découverts dans un excellent état de conservation permettent en effet un travail en 3D, seul à même de permettre de comprendre l’histoire et le fonctionnement de ces monuments majeurs. Les relevés classiques, plan et coupe ne rendent pas toujours compte de la complexité de tels monuments qui sont souvent le résultat d’une longue histoire. Le grand palais de Mari est le dernier monument d’une longue série de palais. Construit sur les vestiges arasés de palais du IIIe millénaire avant notre ère, il a fonctionné pendant près de 300 ans, et connu des travaux de grande ampleur qui témoignent de l’évolution de la monarchie au pays des deux fleuves, le Tigre et l’Euphrate.

Le Massif rouge fut l’un des grands monuments religieux de la ville, une des fameuses terrasses étagées de l’histoire mésopotamienne. Bâti vers 2600 avant notre ère, il resta un monument majeur jusqu’à la destruction finale, vers 1759 avant notre ère. La fouille du monument fut arrêtée à plusieurs reprises depuis les années 1950, et les travaux menés de 2006 à 2010 ont permis de mieux comprendre son évolution.

Donner à voir l’ancienne capitale de l’Euphrate

Ce type de monument s’est développé par exhaussements successifs, mais aussi par élargissements, qui ont recouvert des rues ou des édifices voisins. Il en résulte une séquence complexe, qu’il n’est possible de comprendre pleinement qu’en 3D. La haute terrasse était en effet enclavée dans un système bâti qui la liait à deux grands sanctuaires, qui ont été en partie rognés par les élargissements successifs. On y saisit comment, au fil des rénovations du monument, tout le quartier des temples de Mari s’élève progressivement pour dominer l’ensemble de la ville.

Résidence au nord du Bastion sud. Bâtiment de la période amorrite. Chantier N-3. (Mission archéologique de Mari. P. Butterlin, CC BY-NC-SA)

La saisie en 3D de l’ensemble s’appuie à la fois sur les plans, mais aussi sur les photos de fouille afin de s’immerger dans une scénographie urbaine dont les effets étaient parfaitement maîtrisés par les bâtisseurs de la ville. Situé au bout d’une grande rue en pente de 4 mètres de large, le massif étagé aux murs enduits d’argile rouge et aux terrasses enduites de plâtre blanc dominait la cité et le canal qui donnait sur l’Euphrate. Rendre en 3D cet ensemble saisissant grâce aux techniques modernes de réalité augmentée est un défi d’autant plus impérieux que l’ensemble a été soumis à des pillages et des destructions sans précédent sur le site même.

Dans le cadre de la collection « Grands sites archéologiques » du ministère de la Culture, dans la série Patrimoine du Proche-Orient, en cours d’enrichissement, le site web dévolu à Mari rend ainsi compte de l’extraordinaire histoire de la capitale des bords de l’Euphrate ainsi que des défis multiformes d’une recherche pluridisciplinaire très active.


Le laboratoire d’excellence (LabEx) « Les passés dans le présent : histoire, patrimoine, mémoire » (ANR-11-LABX-0026-01), porté par l’université Paris Nanterre, est un projet de recherche collective interdisciplinaire de long terme sur les présences du passé dans le présent, notamment à l’ère numérique.

Ghislaine Glasson Deschaumes, Chef de Projet du labex «Les passés dans le présent», Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières et Pascal Butterlin, Professeur des universités (Histoire, civilisation, archéologie et art des mondes anciens et médiévaux), Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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