SWOOPE, Virginie – Joel Salatin, qui se décrit lui-même comme un « agriculteur chrétien libertaire, écologiste, capitaliste et lunatique », s’engage avec enthousiasme dans une conversation à bâtons rompus tout en conduisant sur les routes de montagne cahoteuses qui serpentent les 280 hectares de sa ferme Polyface, dans la vallée de Shenandoah, en Virginie.
Il fait preuve d’un sens de l’humour fantasque, au volant d’une Ford Bronco du début des années 1980, sans fenêtres et qui n’est lavée que par la pluie.
« La plupart des agriculteurs qui se respectent sont censés avoir un véhicule tout-terrain de type côte à côte, mais je ne suis pas un agriculteur qui se respecte », lance M. Salatin. « J’ai ce vieux Bronco à 2000 dollars. Et il fait le travail. »
Considéré par beaucoup comme la plus grande autorité nationale en matière d’agriculture régénératrice, il est l’auteur de plus d’une douzaine d’ouvrages sur le sujet et parcourt le monde entier à titre de conférencier et consultant rémunéré généreusement.
Défenseur des circuits alimentaires locaux, des agriculteurs indépendants et de ce qu’il appelle « le choix personnel en matière d’approvisionnement alimentaire », il parle franchement de ce qu’il considère comme une « ingérence extrême du gouvernement » dans le domaine de l’agriculture.
Après la réélection de l’ancien président Donald Trump à la Maison-Blanche en novembre, M. Salatin a annoncé sur son blog que l’équipe de transition du président élu l’avait contacté pour lui offrir d’être conseiller au ministère de l’Agriculture.
Donald Trump a nommé Brooke Rollins à la tête du ministère.
M. Salatin, âgé de 64 ans, dit qu’il a bon espoir que la nouvelle administration Trump – qui pourrait inclure un ministère de la Santé et des Services sociaux dirigé par Robert Kennedy – supprimera les réglementations gouvernementales qui « nuisent aux agriculteurs et, par conséquent, aux consommateurs ».
« L’une des clés pour améliorer la qualité de l’alimentation est d’alléger la réglementation afin de favoriser l’accès aux aliments locaux plutôt qu’en provenance de l’autre côté du pays », explique-t-il.
Une réglementation lourde
Selon Joel Salatin, des milliers d’entrepreneurs agricoles sont prêts à lancer des initiatives agroalimentaires respectueuses de l’environnement, mais la réglementation alimentaire pose un frein à l’accès au marché.
« Quatre entreprises contrôlent 85 % de ce que nous mangeons aux États-Unis », fait-il remarquer. « Ce dont nous avons besoin, c’est d’une liberté de choix pour notre alimentation. »
M. Salatin explique que si Mme Rollins est confirmée au poste de secrétaire du ministère de l’Agriculture, il souhaiterait qu’elle promulgue rapidement une « proclamation d’émancipation alimentaire » qui « autoriserait les transactions directes entre agriculteurs et consommateurs » sans réglementation contraignante.
« Si vous voulez venir dans ma ferme pour acheter des saucisses, je devrais pouvoir vous les vendre sans qu’un fonctionnaire n’intervienne », résume-t-il.
« Si, aujourd’hui, quelqu’un veut [en acheter], je dois d’abord amener les porcs à une installation de transformation inspectée par le gouvernement fédéral, qui doit passer par toute une série d’étapes pour conserver sa licence, et je dois la payer pour le faire. »
« Si la réglementation était allégée et le nombre d’intermédiaires réduit, la ferme Polyface serait une exploitation clé en main », ajoute-t-il.
Mais les exigences des réglementations ne vont pas dans ce sens.
« Nous devons emmener nos porcs à l’abattoir par l’autoroute, et nous payons beaucoup d’argent pour ramener la viande », a-t-il déclaré. « Nous perdons toutes les tripes – vous savez, la matière que nous pouvons composter et utiliser comme engrais – ainsi que le revenu que nous pourrions obtenir en le faisant nous-mêmes. »
M. Salatin déplore la situation difficile des agriculteurs indépendants modernes.
« Sur chaque dollar dépensé [par le consommateur] à l’épicerie, l’agriculteur reçoit en moyenne 9 cents », souligne-t-il.
« Pour le bœuf, c’est plus élevé. Pour le blé, c’est plus bas, mais en moyenne c’est 9 cents. Cela signifie que 91 de ces centimes sont consacrés aux intermédiaires, au transport, à la transformation, à l’emballage, à la commercialisation et à la distribution. »
Selon M. Salatin, ce serait une « aubaine » pour les petits agriculteurs si les réglementations gouvernementales étaient « considérablement réduites ».
« Soudainement, les petits agriculteurs pourraient mieux gagner leur vie et ce serait une situation merveilleuse de choix multiples pour les consommateurs, qui auraient accès à une plus grande variété d’aliments de qualité à un prix plus abordable », ajoute-t-il.
Les partisans d’une surveillance accrue par le gouvernement affirment faire « davantage confiance au gouvernement qu’aux petites entreprises et exploitations agricoles ». Or, cela « doit changer », affirme-t-il.
« Le lait cru est un parfait exemple », dit-il. « Le gouvernement diabolise le lait cru en le qualifiant de dangereux. [L’État] subventionne Coca-Cola à hauteur de 9 milliards de dollars par an dans le cadre d’un programme de nutrition. Or, le lait cru est criminalisé. »
« Je dirais que le Coca-Cola est bien plus dangereux que le lait cru. Je ne dis pas que personne n’est jamais tombé malade en buvant du lait cru. Mais quelqu’un est-il déjà tombé malade à cause du Coca-Cola ? Oui, tant de gens souffrent d’obésité en raison de leur consommation excessive de sucre. »
Méthodes agricoles régénératrices
Selon EarthDay.org, la perte de terres arables aux États-Unis est dix fois plus rapide que leur réhabilitation.
Les grandes exploitations agricoles produisent la majeure partie de la pollution alimentaire et agricole, indique le site, et ces installations, exploitées par des sociétés industrielles ou étrangères, « privilégient les profits à court terme au détriment de la santé à long terme de nos terres et de nos populations ».
L’agriculture régénératrice « favorise la santé des sols dégradés par la restauration du carbone organique », grâce à des pratiques telles que l’agriculture sans labour et les cultures de couverture, qui réduisent l’érosion et la pollution de l’eau et permettent de cultiver des sols plus sains, selon le site.
Joel Salatin abonde dans le même sens et propose une définition simplifiée de l’agriculture régénératrice.
« Il s’agit de laisser la terre dans un meilleur état que lorsqu’on l’a trouvée », explique-t-il.
« L’Amérique est malade. Un nombre croissant de personnes remet en question le régime alimentaire américain standard. L’alimentation et l’agriculture vont de pair. On ne peut dissocier l’alimentation de l’agriculture. »
« Il faut d’abord des exploitations agricoles riches en éléments nutritifs pour produire des aliments riches en éléments nutritifs. »
M. Salatin a appris les méthodes agricoles régénératives auprès de son père, qui a acheté la propriété où se trouve la ferme Polyface en 1961.
La terre n’y était pas fertile, érodée par des décennies de labourage intensif.
Le père de Joel Salatin s’est détourné de l’agriculture conventionnelle au profit de la réhabilitation des sols, en plantant des arbres, en creusant des étangs, en compostant à grande échelle et par la rotation des pâturages.
La terre y est maintenant luxuriante et débordante de nutriments.
Aujourd’hui, la ferme Polyface approvisionne en bœuf, en porc, en volaille et en produits forestiers plus de 5000 familles, 50 restaurants, 10 points de vente au détail et un marché fermier.
Quatre générations de la famille Salatin y vivent et y travaillent.
Pendant des siècles, les Américains se sont nourris d’aliments locaux cultivés dans des fermes sans recours aux produits chimiques. Le changement s’est amorcé lorsque les engrais chimiques ont fait leur entrée, entraînant l’appauvrissement des sols et la production d’aliments malsains, explique Joel Salatin.
Déjà, dans les années 1940, certaines personnes mettaient en garde contre l’utilisation de « fumier chimique » qui entraînerait une perte de fertilité des sols, selon M. Salatin.
« La manière la plus rapide de détruire la terre est de la dévégétaliser et de la labourer », précise-t-il.
« La deuxième manière de détruire le sol est la production en monoculture, c’est-à-dire la culture d’un seul type, année après année. »
« Et le troisième moyen est le recours aux engrais chimiques. »
Joel Salatin favorise la biodiversité. Par exemple, pendant l’hiver, la ferme Polyface abrite, « sous le même poulailler », lapins, poules et cochons, plutôt que de les séparer comme cela serait le cas dans une ferme conventionnelle.
Les agents pathogènes contenus dans les excréments des lapins se mélangent aux excréments des poules, qui sont toxiques pour les agents pathogènes des lapins. Les fientes de poules tuent alors les agents pathogènes du lapin avant qu’ils n’infectent un autre animal, et ce, sans intervention chimique.
La cohabitation des espèces crée une dynamique d’équilibrage nécessaire aux exploitations agricoles, explique-t-il.
« Les oiseaux, par exemple, sont les pesticides du divin », a-t-il déclaré. « Ils mangent des insectes. Or, les oiseaux ne se sentent pas à l’aise lorsqu’ils s’éloignent de plus de 200 mètres d’un abri. C’est pourquoi, dans notre ferme, nous avons créé des zones forestières dans un rayon de 200 mètres autour de tous les champs ouverts, afin que les oiseaux aient toujours un abri et un endroit où aller. »
« Ils viendront donc manger des insectes dans les champs parce qu’ils disposent d’un habitat où ils peuvent s’abriter dans un rayon de 200 mètres. C’est le genre de dynamique que l’on obtient en favorisant la biodiversité. »
Joel Salatin arrête le Bronco à environ 800 mètres d’une serre. Il en descend, parcourt 50 mètres et se retrouve entouré de porcs débordant d’énergie. Les porcs vivent dans les pâturages jusqu’à ce qu’ils soient rentrés à l’intérieur pour l’hiver.
« Ils sont déplacés tous les cinq à dix jours environ », explique-t-il. « Ils peuvent courir et manger de l’herbe. Ils courent à l’air frais et au soleil, et ont une vie merveilleuse. »
« Nous avons appris au fil des ans que notre viande cuit 15 à 20 % plus vite que la viande ordinaire achetée en magasin. Pourquoi ? Nos animaux ne sécrètent jamais d’adrénaline parce qu’ils sont heureux, et non stressés. »
« Les animaux confinés sont stressés et passent leur vie à sécréter de l’adrénaline. On peut manger du bonheur ou du stress. Je pense que manger du bonheur a meilleur goût et est plus sain. »
À la ferme Polyface, le bétail est déplacé tous les jours, explique M. Salatin, parce que dans leur milieu naturel, les animaux migrent dans la Nature.
« L’un des meilleurs moyens de favoriser la biodiversité de notre microbiome est d’avoir des œufs ‘de pâturage’, du bœuf ‘de pâturage’ et du porc ‘de pâturage’, c’est-à-dire des animaux qui se nourrissent eux-même de la diversité de la Nature, de sorte qu’ils contiennent en eux tous ces éléments nutritifs différents », résume-t-il.
« Lorsque nous mangeons une côte de porc, une saucisse ou un œuf, nous bénéficions de tous les éléments de biodiversité dont ces animaux se sont nourris dans les pâturages. »
L’autonomie alimentaire
Au départ, M. Salatin était journaliste au journal local de Staunton, en Virginie.
« Je pensais que je serais comme Woodward et Bernstein, que je découvrirais un scandale, que j’écrirais un best-seller et que je me retirerais à la ferme », confie-t-il en riant. « C’était la trajectoire que j’avais en tête. »
Au lieu de cela, il a obtenu son diplôme universitaire, s’est marié avec Teresa, a aménagé un grenier dans l’ancienne propriété de la ferme Polyface et a vécu de manière frugale.
« Nous conduisions une voiture à 50 dollars, une Dodge Coronet de 1966 que j’ai finalement vendue en pièces détachées pour 75 dollars », raconte-t-il. « Nous vivions avec si peu que nous pouvions économiser la moitié de notre salaire. Nous ne partions jamais en vacances. Nous n’allions nulle part, nous n’allions pas au cinéma, nous ne mangions pas au restaurant. Nous ne mangions pas ce que nous ne cultivions pas. Et nous vivions avec 300 dollars [291 euros] par mois. »
« Nous avions des vaches et nous vendions le bœuf directement à des clients locaux. Nous n’en avions pas beaucoup, mais n’oubliez pas que nous vivions avec 300 dollars par mois, alors nous n’avions pas besoin de beaucoup de revenus. »
Le 24 septembre 1982, Joel Salatin a quitté le journal et le couple a décidé de se consacrer uniquement à l’agriculture.
« Je serai le premier à dire que je pensais devoir retourner travailler », dit-il. « Je ne savais pas si cette activité agricole à plein temps fonctionnerait. Mais j’avais une vision. Je suis reconnaissant à Dieu de m’avoir donné cette vision. »
M. Salatin encourage les apprentis agriculteurs à imiter son mode de vie frugal lorsqu’ils débutent. Il recommande de vivre dans un camping-car ou une tente et de réduire au mieux leurs dépenses.
« N’allez pas au restaurant, ne partez pas en vacances, n’allez pas au cinéma », résume-t-il. « Ne buvez pas de café, ne fumez pas. Ne prenez pas d’Uber Eats. Ne prenez pas de plats à emporter. Si vous voulez vraiment faire cela et réussir, faites des sacrifices et ayez des dépenses minimales. »
« Si vous avez suffisamment de volonté, vous pouvez y arriver. Mais il faut changer d’état d’esprit avant de franchir le pas. »
La ferme Polyface
Le père de Joel Salatin, un comptable, a créé une société pour la ferme et voulait l’appeler Salatin Inc, se rappelle son fils.
« Je me suis opposé avec véhémence à cette idée », indique-t-il. « Nous en discutions tout en trayant nos vaches, deux Guernesey. J’ai dit : ‘Papa, c’est plus important que notre famille. Il se peut qu’un jour, ce ne soit plus un Salatin qui soit à la tête de cette entreprise.’ Je voulais que les choses soient plus ouvertes, et papa m’a donné raison avec le nom ‘Polyface’. »
Joel Salatin s’est longtemps heurté à la résistance des agriculteurs voisins qui n’approuvent pas ses pratiques agricoles respectueuses de l’environnement. L’un d’entre eux l’a traité de « fou ».
Au lieu de s’en offusquer, Joel Salatin en a fait son surnom.
« Je savais que ma vision de l’agriculture régénératrice suscitait de l’opposition, mais je dois dire que j’ai été surpris par le niveau de haine que j’ai reçu », reconnaît-il.
« J’aurais pu être en colère et déprimé, mais il faut avoir le sens de l’humour, alors je suis l’ ‘agriculteur lunatique’, comme le dit mon blog. »
Pour de nombreux adeptes des modes de vie durables et de l’agriculture régénératrice, la visite de la ferme Polyface s’apparente à un pèlerinage. M. Salatin propose plusieurs types de visites.
« Nous avons une politique de portes ouvertes 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, 365 jours par an. Nous sommes totalement transparents », fait-il remarquer.
« Nous proposons également une visite à pied de deux heures et une visite lunatique », a-t-il ajouté, précisant que c’est lui ou son fils, Daniel, qui conduit généralement cette visite.
La visite lunatique consiste en une aventure de deux heures et demie, guidée dans un wagon, serpentant la ferme Polyface.
M. Salatin organise également un séminaire de « découverte intensive » de deux jours.
« Nous construisons du compost, nous déplaçons les vaches, nous déplaçons les cochons, nous coupons des arbres et broyons du bois. On ne peut pas faire plus pour montrer ce qui se passe dans les coulisses ! »
De nombreuses personnes reconnaissent l’importance de devenir plus autosuffisants, mais elles ne savent pas par où commencer, conclut M. Salatin.
« Ce qui est plaisant, c’est d’inciter les gens à se lancer. Je suis là pour encourager et inspirer les gens. C’est pourquoi nous avons une politique de portes ouvertes ici. »
« Tsunami de l’agriculture familiale »
M. Salatin parle de « tsunami de l’agriculture familiale ».
« Il y a eu une véritable déconnexion entre la jeune génération et la provenance des aliments », analyse-t-il.
« Dans les régions rurales, il y a un sentiment d’autonomie qui n’existe pas dans les régions urbaines où règnent l’agitation et la violence. »
« Les gens ont l’intuition qu’il y a plus de possibilités d’autosuffisance à la campagne qu’en ville. »
« Le problème, c’est qu’il y a maintenant plusieurs générations qui ne savent plus comment vider et nettoyer un poulet fermier, entailler un érable et planter des tomates. »
« Si vous souhaitez changer votre routine de vie, vous avez besoin de soutien, et c’est pourquoi les événements consacrés à l’agriculture familiale et à la vie durable sont importants, et c’est pourquoi je fais ce que je fais. »
M. Salatin apprécie l’enthousiasme des novices, mais leur conseille vivement de commencer prudemment.
« Commencez par un jardin, commencez par des plantes ; elles ne peuvent pas s’enfuir », plaisante-t-il. « Certaines personnes sont trop enthousiastes et achètent une vache Scottish Highlander qu’elles ont vue quelque part. Une demi-heure après l’avoir ramenée à la maison, elle s’échappe et la police est à sa recherche. »
« Lisez des livres, regardez des vidéos, assistez à des événements et trouvez des mentors. Établissez des relations avec des personnes qui savent comment construire des choses, cultiver des choses et réparer des choses – des personnes dont vous pouvez apprendre. C’est le meilleur plan d’épargne-retraite que vous puissiez avoir. »
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