Engagement tenu : l’Allemagne ferme samedi ses trois derniers réacteurs nucléaires, aboutissement d’une sortie de l’énergie atomique engagée de longue date et qui reste controversée dans le contexte d’urgence climatique.
D’ici à minuit (22H00 GMT), les centrales d’Isar 2 (sud-est), Neckarwestheim (sud-ouest) et Emsland (nord-ouest) seront déconnectées du réseau électrique. « Ce sera un acte très émouvant pour les collègues d’éteindre la centrale pour la dernière fois », assure à quelques heures de l’échéance Guido Knott, le PDG de l’entreprise PreussenElektra qui exploite Isar 2. Le gouvernement allemand leur avait accordé un sursis de quelques semaines, par rapport à l’arrêt initialement fixé au 31 décembre, mais sans remettre en cause la décision de tourner la page.
La première économie européenne ouvre ainsi un nouveau chapitre, mise au défi de se sevrer des énergies fossiles, tout en gérant la crise gazière déclenchée par la guerre en Ukraine. « Les risques liés à l’énergie nucléaire sont définitivement non-maîtrisables », a asséné cette semaine la ministre de l’Environnement Steffi Lemke. Ils inquiètent de larges pans de la population et ont cimenté le mouvement écologiste.
Un hiver sans pénuries
Après une première décision de Berlin, au début des années 2000, d’abandonner progressivement l’atome, l’ex-chancelière Angela Merkel avait accéléré le processus dans la foulée de la catastrophe de Fukushima, en 2011. Depuis 2003, le pays a déjà fermé 16 réacteurs. L’invasion de l’Ukraine aurait pu tout remettre en question. Privée du gaz russe dont Moscou a interrompu l’essentiel des flux, l’Allemagne s’est retrouvée exposée aux scénarios économiques les plus noirs.
L’hiver s’est finalement passé sans pénuries, la Russie a été remplacée par d’autres fournisseurs de gaz, mais le consensus autour de la sortie du nucléaire s’est effrité : dans un récent sondage pour la chaîne de télévision publique ARD, 59% des personnes interrogées estiment qu’abandonner le nucléaire dans ce contexte n’est pas une bonne idée.
« Élargir l’offre d’énergie et non la restreindre davantage »
L’Allemagne doit « élargir l’offre d’énergie et non la restreindre davantage », a déploré le président des chambres de commerce allemandes, Peter Adrian, dans le quotidien Rheinische Post. « C’est une erreur stratégique, dans un environnement géopolitique toujours tendu », a affirmé Bijan Djir-Sarai, le secrétaire général du parti libéral FDP, pourtant membre de la coalition gouvernementale aux côtés des sociaux-démocrates et des écologistes.
Les trois dernières centrales n’ont fourni que 6% de l’énergie produite en Allemagne l’an dernier, alors que le nucléaire représentait 30,8% en 1997. Entre-temps, la part des énergies renouvelables dans le « mix » de production a atteint 46% en 2022, contre moins de 25% dix ans plus tôt. « Après 20 ans de transition énergétique, les énergies renouvelables produisent aujourd’hui environ une fois et demie plus d’électricité que le nucléaire n’en produisait à son apogée », dit à l’AFP Simon Müller, le directeur Allemagne du centre d’études Agora Energiewende.
Mais en Allemagne, le plus gros émetteur de CO2 de l’Union européenne, le charbon représente encore un tiers de la production électrique, avec une hausse de 8% l’an dernier pour faire face à l’absence de gaz russe.
« La relance de l’énergie fossile pour compenser la sortie du nucléaire ne va pas dans le sens de l’action climatique » portée au niveau européen, a tancé cette semaine le ministère français de la Transition énergétique. La France, avec 56 réacteurs, reste le pays le plus nucléarisé par habitant. Au niveau européen, les divergences sont vives entre Paris et Berlin sur le rôle de l’atome.
L’Allemagne préfère se concentrer sur son objectif de couvrir 80% de ses besoins en électricité grâce aux énergies renouvelables dès 2030, tout en fermant ses centrales à charbon en 2038 au plus tard. Mais là, l’incertitude règne. « Où et comment l’énergie renouvelable doit-elle être produite ? Tout le monde dans ce pays est au moins d’accord pour dire une chose : pas chez moi », souligne samedi le quotidien Süddeutsche Zeitung.
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