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Fin de la neutralité du Web, fin d’Internet ?

janvier 4, 2018 13:36, Last Updated: janvier 4, 2018 13:36
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Une décision récente de la Federal Communication Commission (FCC), organisme américain chargé de la régulation du secteur des télécoms américain, équivalent de l’ARCEP français, ou du BEREC Européen) change le statut des fournisseurs d’accès internet américains.

Cependant, ce changement ne peut arriver en Europe, de par l’adoption en 2015 du règlement sur l’Internet ouvert. Il serait cependant intéressant de réfléchir maintenant à la neutralité des services.

Un fournisseur d’accès Internet (FAI en France, ISP pour Internet Service Provider aux USA) est un fournisseur de service à des abonnés. Il est considéré comme un offreur de services neutre, qui ne doit pas influencer l’usage que font les abonnés du réseau. Cela contraste avec les chaînes de télévision, qui ont le droit de gérer leurs flux comme elles l’entendent, et qui donc peuvent offrir des services de diffusion différenciés.

Un sujet récurrent aux USA

Il existe depuis longtemps une demande aux USA de déréguler le secteur des fournisseurs d’accès. Au début des années 2000 a été introduite la Voix sur IP (VoIP). Les communications téléphoniques étaient chères aux USA à l’époque; ce système permettant de téléphoner gratuitement en utilisant son accès Internet a donc eu un grand succès. Le même phénomène se reproduit aujourd’hui avec le service Netflix, qui permet à celui-ci d’acheminer gratuitement des flux vidéo vers ses abonnés.

Depuis 2013, différentes tentatives ont eu lieu pour supprimer l’application de la notion juridique de « common carrier »(transporteur commun) aux fournisseurs d’accès Internet américains.

Cette notion de droit anglais ou américain impose aux entités soumises à ce type de réglementation de transporter sans discrimination les personnes et les biens. Les fournisseurs d’accès Internet sont donc dans l’obligation de transporter les paquets réseau sans différentiation de type ou d’origine de service.

Ce changement ne fait pas l’unanimité, y compris au sein de la FCC. Il va permettre aux FAI américains de pratiquer de la gestion de trafic pour différencier le service de transport de données qu’ils offrent à leurs clients.

Il y a donc une opposition entre fournisseurs d’accès (les tuyaux) et fournisseurs de contenus (les services, dont les plus emblématiques sont les GAFAM : Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft). En résumé, les premiers reprochent aux seconds de profiter des tuyaux, voire de les encombrer, sans contribuer au développement de l’infrastructure. Les deuxièmes rétorquent que les premiers sont financés par les abonnements, et que leurs contenus fournissent gratuitement aux premiers l’attractivité du réseau.

Il faut également savoir que certains des GAFAM sont également leurs propres FAI. Google est ainsi le FAI de la ville de Kansas City aux USA et est probablement le plus important propriétaire de fibre optique au monde.

Quelques chiffres

Dans les dix ans à venir, les opérateurs français indiquent qu’ils vont devoir investir 72 milliards d’euros dans le développement de leurs réseaux pour soutenir le très haut débit et la 5G (chiffre donné par Michel Combot, FFTelecoms).

En 2017, la France compte 28,2 millions d’abonnés fixe et 74,2 millions de cartes SIM.

J’estime les coûts moyens mensuels de l’abonnement fixe (hors box) autour de 30 Euros, ceux de l’abonnement mobile autour de 10 Euros (hors équipement, le coût moyen équipement compris étant donné autour de 21 Euros ).

Si on amortit l’investissement sur les fixes uniquement, cela revient autour de 21 euros par mois, soit 2/3 du coût de l’abonnement. Si on l’amortit sur l’ensemble des abonnés, cela revient à un peu moins de 6 Euros par mois, ce qui représente une part faible de l’abonnement fixe mais significative sur l’abonnement mobile.

L’investissement représente globalement 38% des revenus générés durant cette période, sous les hypothèses précitées.

En conclusion, l’investissement semble soutenable, y compris dans un marché européen sensiblement plus concurrentiel que ne l’est le marché américain, pour lequel les coûts des abonnements Internet sont trois fois plus chers que les coûts européens. Il semble donc possible pour les FAI de maintenir leur niveau d’investissement.

Cependant, il est également très clair que la croissance du chiffre d’affaire des GAFAM n’a rien à voir avec celle des opérateurs télécoms et FAI. Par conséquent, la question des services est intéressante, même si elle ne se réduit pas à des problématiques de gestion de trafic.

La gestion du trafic, un mal nécessaire

La pratique de gestion de trafic existe depuis longtemps, par exemple pour soutenir les offres commerciales de type réseau privé virtuel (VPN MPLS) aux entreprises.

Ces mêmes mécanismes peuvent être utilisés pour orienter les réponses de différents services (par exemple anycast), pour lutter contre les attaques par déni de service. Ils sont également utilisés pour gérer le routage. Ils permettent également le partage de connexion ouvert à partir de votre box, pour vos invités, sans pénaliser votre propre usage. Ils ont donc leur utilité.

Une analogie

Il est possible de comparer ce qui se passe sur Internet au réseau routier. Les FAI gèrent les voies de circulation, les services gèrent les destinations. Le réseau routier étant mutualisé, chacun y a accès de manière indiscriminée. Cependant, il existe des règles d’usage, sous la forme du code de la route – c’est ce qui est défini par le protocole IP pour Internet. Il existe également des modifications temporaires (feux, déviations, stops) qui agissent sur la circulation. Ce sont ces mécanismes qui servent à la gestion de trafic.

La gestion de trafic est légitime, et les opérateurs ne s’en privent pas. Ils considèrent que le coût de la gestion de trafic est important. Par conséquent, selon eux, la régulation par une autorité est inutile car l’aspect économique de la gestion des réseaux conduit nécessairement à une neutralité de ceux-ci par rapport aux contenus. Ils n’ont donc pas intérêt à modifier le trafic, d’un point de vue économique.

Cet argument est difficilement acceptable. En effet, nous avons déjà eu l’exemple de telles pratiques et de nombreux outils sont déjà déployés dans le réseau. La gestion de trafic va continuer d’exister, mais elle ne doit pas se développer.

Réguler les services

Sous la même analogie que précédemment, nous pouvons comparer les services Internet aux villes. Celles-ci ont pour but d’attirer des visiteurs. Elles bénéficient des retombées économiques, des dépenses de leurs visiteurs, sans contribuer au développement du réseau routier national qui permet d’acheminer ces visiteurs. Ceci fonctionne en particulier parce que l’état collecte une grande part de l’impôt et est garant du bien public. Il se doit donc de permettre l’accès à toutes les villes, sans discrimination. L’état assure également l’égalité des règles entre villes ; c’est à mon avis ce qui manque dans le monde Internet.

Les services Internet, nouveaux “common carriers”

Les services Internet sont aujourd’hui des biens communs, dans la mesure où leur caractère de plate-forme universelle les rend tout aussi indispensables que les tuyaux qui permettent d’y accéder.

Il semble donc judicieux d’étudier la réglementation des services pour compléter celle du réseau. En effet, les services Internet souffrent d’effets de masse très importants, où le gagnant emporte la majorité du marché et une quasi-totalité des bénéfices.

Attention à la puissance des services

Ce biais se fait en particulier par l’analyse des données comportementales collectées lors des interactions avec ces services. Il est encore renforcé par les biais algorithmiques qui amènent à un renforcement de nos biais comportementaux. Nous finissons par ne recevoir du Net que ce qui peut nous plaire. Ou pire, que ce que le Net pense de nous.

Cela nous ramène donc encore une fois au problème de la data. Que des tendances statistiques permettent de prévoir certains événements futurs, oui. C’est la base de l’assurance. Sur un grand nombre de personnes, cela a du sens. Mais pour le monde de l’Internet, cela revient à construire des communautés qui s’isolent, petit à petit. Commercialement, cela a du sens pour les GAFAM car l’approbation sociale de sa communauté renforce les phénomènes d’achat compulsif. Ces achats se produisent par exemple lorsque Amazon vous envoie un message relatif à des produits que vous avez regardé quelques jours avant, ou lorsque Google cible les publicités associées à vos mails.

En complément de la neutralité indispensable des tuyaux, il semble donc particulièrement intéressant de réfléchir à la neutralité des services et des algorithmes. Cela doit nous permettre, avec l’arrivée du règlement général sur la protection des données, de renforcer notre confiance dans le fonctionnement de l’ensemble réseaux et services, dont nous sommes devenus dépendants. Cela est d’autant plus important que les services Internet deviennent une source de revenu croissante pour une part significative de la population française.

Hervé Debar, Responsable du département Réseaux et Services de Télécommunications à Télécom SudParis, Télécom SudParis – Institut Mines-Télécom, Université Paris-Saclay

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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