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Flics de PJ : la passion et le « blues » des enquêteurs

juin 23, 2024 18:40, Last Updated: juin 23, 2024 18:43
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« C’est bon, il est là. » Le petit point clignote à nouveau sur la carte qui se déroule sur l’écran de l’ordinateur et les enquêteurs du service interdépartemental de police judiciaire (SIPJ) de Rouen lâchent un « ouf » de soulagement, la traque peut continuer.

Depuis un étroit bureau du commissariat central, ils pistent, grâce à son téléphone portable, un suspect qui roule vers la ville où il a fixé rendez-vous à sa victime. Sous la menace, l’homme a exigé qu’elle lui remette plusieurs dizaines de milliers d’euros en liquide. « On a un gros dispositif », détaille la commissaire Caroline Ravoux, numéro 3 du SIPJ. « L’idée, c’est de faire un flagrant délit, de le choper quand il aura l’argent. » Son visage s’éclaire. « Ça va bouger… »

« Le plus excitant de notre boulot : attraper les méchants »

Sur le terrain, ses hommes ont repéré leur cible et l’ont pris discrètement en « filoche ». Lentement, il s’est approché du point de rencontre. Dernières consignes. « Dès qu’il arrive au niveau de la voiture, on ferre », ordonne le chef du « dispo ». Le moment est arrivé. « Contact au véhicule, on peut y aller. » Quelques secondes, puis la radio crachote à nouveau. « Interpellation faite. » « Voilà une affaire rondement menée », lâche un des flics. La commissaire Ravoux savoure. « C’est le côté le plus excitant de notre boulot : attraper les méchants. »

Les 230 hommes et femmes du SIPJ de Rouen sont les lointains héritiers des fameuses « brigades du Tigre », ces unités de police mobiles créées en 1907 pour démanteler les bandes criminelles qui semaient alors le désordre dans tout le pays. De leur créateur Georges Clemenceau, les flics de la PJ d’aujourd’hui ont gardé un sigle – le double profil du visage moustachu de l’ancien président du Conseil et du félin qui lui servait de surnom – et une mission.

Combattre, sous l’autorité de la justice, la criminalité du « haut du spectre » : les affaires les plus graves, les plus compliquées, les plus sensibles. Depuis plus d’un siècle, leurs enquêtes ont inspiré des millions de pages de « polars », des milliers de films ou de séries télévisées et une pléiade de héros récurrents, de Jules Maigret à Laure Berthaud.

Dans leur ressort géographique (Seine-Maritime et Eure), le portefeuille des affaires bien réelles des « PJistes » de Rouen déborde. À la mi-mai, il s’est enrichi de l’enquête sur l’évasion sanglante du détenu Mohamed Amra du fourgon pénitentiaire qui le ramenait à la maison d’arrêt d’Évreux. Leurs autres dossiers sont moins médiatisés.

« Une famille police »

Ce lundi-là, le patron de la brigade criminelle avale jusqu’à l’indigestion des kilomètres d’images de vidéosurveillance. La veille, à l’aube, un homme a été tué d’un coup de couteau dans une rue du centre-ville. Toute son équipe est sur le pont. « Les premiers instants d’une enquête sont cruciaux. La mémoire des gens est encore fraîche », professe Nicolas. « Si quelque chose se dessine dans les 24 à 72 heures après les faits, ça peut aller très vite. Sinon… »

« Une de nos images préférées, c’est celle du rouleau compresseur », intervient Élodie. « On se déploie en nombre pour couvrir tous les angles, toutes affaires cessantes », poursuit la brigadière. « Se fader des heures de vidéos, ce n’est pas toujours très exaltant mais c’est souvent ce qui fait la différence entre une enquête réussie et une enquête ratée ».

Quelques bureaux plus loin, Jérôme révise les détails d’un dossier d’extorsion avec violences. Trois hommes soupçonnés de rançonner et de tabasser un groupe de prostituées. Demain, ils seront interpellés. « La PJ, c’est d’abord une qualité de travail. On nous donne les moyens de travailler correctement », assure le brigadier. « Ce n’était vraiment plus le cas en sécurité publique. Alors je suis revenu ici trouver un esprit de meute, une famille police. »

Dans tous les bureaux, le même engagement, la même passion de l’enquête. « En matière d’homicides, notre quotidien est assez éloigné des tueurs en série de la littérature, on est plus dans la misère sociale », concède Nicolas. « Mais ce qui nous fait avancer, c’est chercher et trouver. »

« Notre motivation, c’est aussi de pouvoir dire à une victime ‘on a chopé le mec qui vous a fait ça’ », complète Caroline Ravoux.

« Nuits blanches »

Un investissement de tous les instants. Le jour, la nuit. Souvent au détriment du reste. « On est très accrochés à nos enquêtes », confirme Dorine, de la brigade des stupéfiants, mère d’une fillette de 5 ans. « Nos ‘clients’ ne s’arrêtent jamais, donc nous non plus. Un peu de retard sur une filoche ou une surveillance et on perd leur trace. »

« On emmène nos dossiers partout, à la maison, en vacances. Ça a une vraie incidence sur notre vie privée », ajoute Nicolas. « On ne ferme jamais complètement la boutique. »

La PJ requiert de ses policiers une disponibilité absolue. Ils y viennent pour ça. Ils en partent aussi pour ça. « Pas difficile à comprendre », râle Arnaud, de « l’antigang », trente ans de PJ au compteur. « Nos collègues de sécurité publique gagnent plus que nous à grade équivalent. La plupart ne font pas de permanence. Nous, on dîne et on dort avec nos affaires. »

Alors depuis quelques années, les vocations se font rares dans la filière « investigation ». Des collègues claquent la porte. Et il n’est plus rare que leurs postes restent vacants toute une année. « La crise est due pour partie à la disponibilité. Il y a encore des horaires très extensibles, des nuits blanches », reconnaît le commissaire Jérémie Dumont, patron du SIPJ. « Mais il y a aussi la complexité de la matière. La procédure pénale est de plus en plus compliquée. »

De nombreux enquêteurs regrettent aussi d’avoir été écartés des priorités de la « maison police », loin derrière la délinquance du quotidien ou l’antiterrorisme.

« Beaucoup d’infractions ne sont pas traitées »

Alors quand leur ministre Gérald Darmanin promet plus de « bleu » dans la rue, les PJistes ont le « blues ». « La PJ est devenue le parent pauvre de la police, il y a moins d’intérêt pour le judiciaire », regrette Caroline Ravoux. « En matière de voie publique, l’effet de l’action policière paraît immédiat », renchérit Jérémie Dumont, « alors que la PJ, c’est le règne du temps long ».

À deux ans de la retraite, la patronne de la brigade financière ne décolère pas. « La finance, tout le monde s’en fout. C’est catastrophique », peste Myriam MP. « On croule sous les dossiers, on manque de moyens, surtout humains. Beaucoup d’infractions ne sont pas traitées. »

Et la réforme controversée de la PJ engagée en début d’année n’a rien arrangé. Désormais sous les ordres de policiers souvent venus d’autres filières, les enquêteurs redoutent de devoir délaisser les criminels du « haut du spectre » pour des dossiers plus immédiats.

« Nos patrons ne s’intéressent plus au fond des affaires mais aux statistiques », bougonne Arnaud. « On n’est plus des poulets à l’ancienne, on devient des fonctionnaires. » « Les enquêteurs ont des craintes mais, pour l’instant, ils choisissent encore leurs affaires », tempère leur chef.

« À la PJ, on nous voyait comme des rois parce qu’on faisait un peu ce qu’on voulait. Là, on subit la réforme », résume Éric. « Les anciens sont encore là, on est encore protégés par notre hiérarchie », poursuit le commandant. « Mais pour combien de temps ? » Reste l’engagement. Et une certaine idée de la police. « La PJ, c’est une famille. C’est pour elle et pour les victimes que l’on continue à avancer », rajoute Arnaud. « Et puis on a la passion des enquêtes. C’est un jeu qui nous plaît. »

Un jeu fait d’imprévus et de rebondissements. Un mois après l’arrestation de leur extorqueur, les policiers de la « financière » ont placé en garde à vue sa victime, à son tour soupçonnée d’escroquerie. Le monde de la criminalité est parfois petit…

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