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Flics de PJ : l’heure de vérité de la garde à vue

juin 22, 2024 11:25, Last Updated: juin 22, 2024 11:26
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À chaque métier ses petites routines. Chez les enquêteurs du Service interdépartemental de police judiciaire (SIPJ) de Rouen, celle des petits matins d’interpellation et de garde à vue est immuable.

Elle débute alors que la nuit enveloppe encore le commissariat, sous la lumière blafarde de la salle de pause, au milieu des cartons de friandises, des frigos et des affiches syndicales. Pour les policiers, c’est l’heure d’une dernière revue de détail de l’opération, une tasse de café fumant aux lèvres.

Au menu de ce mardi-là, huit « cibles ». Huit personnes présentes dans un appartement de la grande banlieue rouennaise la nuit où il a été réduit en fumée par un incendie parti d’une poubelle. Un jeune père de famille est mort, la PJ enquête. « Tout ce qu’on a pour l’instant, ce sont des récits pas très clairs qui suggèrent la piste d’un acte de représailles », énonce Patrick, major de la brigade criminelle. « L’idée, c’est de secouer un peu tout le monde pour voir ce qu’il en sort. »

Scratch, les gilets pare-balles s’ajustent. Zip, les armes sont glissées dans leur étui. Clac, les portes des voitures se referment. Départ en cortège sous les premières lueurs de l’aube.

Deux heures plus tard, retour au bercail. Surpris au saut du lit, les suspects sont placés en cellule, le temps de les « bertillonner » – photographier sur la chaise inventée au 19e siècle par le fameux criminologue Alphonse Bertillon – de relever leurs empreintes digitales et de mijoter un peu. Leur garde à vue – GAV, prononcer « gave » – a débuté.

« Créer un lien pour que le suspect parle »

La fiction a illustré sous tous les angles ces confrontations entre flics et suspects, ces chocs de personnalités, ces duels psychologiques qui permettent, souvent, de faire éclater la vérité policière d’une affaire.

À l’évocation de ces parenthèses de quarante-huit heures maximum – quatre-vingt-seize heures en matière de terrorisme, de trafic de stupéfiants ou de crime organisé – les yeux des PJistes normands pétillent, leurs mots se bousculent. « Moment de vérité », « aboutissement » pour les uns. « Jeu du chat et de la souris » pour les autres.

« C’est mon moment préféré », lâche Élodie, depuis six ans à la brigade criminelle. « La garde à vue, c’est du lourd, elle doit permettre d’accoucher la vérité. » « Si on veut que ça marche, il faut créer un lien pour que le suspect parle », détaille Patrick, « ça donne l’opportunité à l’enquêteur de tirer les fils, de pointer des contradictions, de révéler des preuves ».

Pour gagner la confiance du suspect, chaque flic a sa recette favorite. « Ma première question, c’est toujours : ‘Est-ce qu’on peut se tutoyer ?’. Il faut faire tomber les barrières », déroule Élodie. « Après, j’adapte. Parfois, j’utilise des mots crus, parfois les sentiments. Et j’observe comment le suspect répond, quand il commence à baisser les yeux, à répondre à côté… »

« Avant, ma came, c’était les braqueurs », se souvient Patrick, qui a fait ses classes à « l’antigang ». « J’arrivais à les faire parler en faisant copain-copain », poursuit le major. Mais quand je suis passé à la ‘crim’, plus rien. J’ai changé de méthode en comprenant qu’on n’avoue pas un meurtre comme un braquage. »

Un combat

Chaque garde à vue est un combat, un bras de fer pendant lequel les policiers avancent progressivement leurs éléments à charge, selon un scénario parfaitement orchestré.

À deux ans de la retraite, la commandante Myriam MP a fait l’essentiel de sa carrière dans la « financière ». Les gardes à vue de patrons, de banquiers ou d’élus, elle adore. « C’est très stimulant de les affronter pendant une garde à vue. Mais ce sont des spécialistes, il ne faut pas se louper », avertit-elle, « alors on prépare tous nos interrogatoires dans les moindres détails ». « On sait exactement où on veut aller », abonde son homologue de la « crim », Nicolas. « Mais quarante-huit heures, c’est très, très court. C’est la course permanente. »

Une course semée d’obstacles. D’abord la procédure, très chronophage. Et, depuis 2011, la présence permanente d’un avocat qui, même s’il n’a pas le droit d’intervenir, a bouleversé les règles du jeu. « On nous a fait comprendre qu’on empiétait un peu trop sur les droits de la défense », rouspète Patrick. « Avant certains flics faisaient n’importe quoi, c’est vrai. Maintenant on ne peut plus faire grand-chose… »

« C’est hallucinant que des policiers ne considèrent toujours pas notre présence comme normale ! », s’étrangle en retour Me Fabien Picchiottino. « Depuis que nous sommes là, il y a moins de pression, de mensonge pour faire craquer nos clients et c’est tant mieux », poursuit l’avocat rouennais, « mais je peux vous garantir que la pression de l’aveu existe toujours ».

Car c’est évidemment un objectif essentiel de la garde à vue. Même si l’empreinte génétique, la vidéosurveillance ou la preuve numérique sont devenues incontournables, la confession d’un suspect reste le Graal des enquêteurs.

Marquée à jamais

Élodie se souvient des aveux d’un meurtrier, il y a quelques années, qui l’ont marquée à jamais. « C’était un gamin, mais dans un tel état de sidération qu’il ne se souvenait pas des faits. Au début, il refusait la conversation. Et puis, lorsque j’ai pris ses empreintes, il s’est mis à hyperventiler et m’a juste dit : ‘C’est moi’. C’était l’aboutissement. J’ai su que je ne m’étais pas trompée. »

« Les aveux, c’est la satisfaction de l’enquêteur, une forme de ponctuation à tout ce qui a été écrit avant sur procès-verbal », confirme Nicolas. « Une enquête réussie, c’est trouver l’auteur des faits mais aussi son mobile, réussir à expliquer pourquoi on en est arrivé là. »

Établir les faits. Comprendre leurs ressorts. Dans l’affaire de l’incendie qui les occupe ce jour-là, les enquêteurs en sont encore très loin. « On n’a pas avancé d’un pouce », soupire, déçu, Patrick au deuxième soir d’audition de ses huit suspects. « On va lever les gardes à vue, le parquet va ouvrir une information judiciaire. C’est très frustrant, mais on ne lâchera pas. »

De son dossier, le major a sorti la photo d’un cadavre calciné. « Une mère a perdu son fils. Et elle m’appelle tous les mois pour savoir où en est l’enquête. Je suis son seul lien avec la mort de son fils », ajoute-t-il, « alors je lui dois de tout faire. »

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