Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi, en lisant un texte écrit en anglais, il y avait tant de termes proches du français et qui, de fait, facilitaient grandement votre compréhension ? Certes, il y a derrière cela l’influence du latin, langue du christianisme notamment importée par les scribes venus d’Irlande, mais c’est surtout Guillaume le Conquérant qu’il faut remercier.
Un peu d’histoire
Revenons un peu en arrière, en 1066, au moment de la bataille d’Hastings, qui vit la victoire de Guillaume, duc de Normandie, contre Harold Godwinson, comme lui candidat à la succession de la couronne d’Angleterre, suite à la mort d’Édouard le Confesseur. Une fois couronné Roi d’Angleterre, Guillaume se débarrassa de la plupart des seigneurs anglais et leur confisqua leurs terres.
À leurs places, il installa ses proches compagnons, comme lui, normands. Ces derniers, parlant la langue d’usage en Normandie à l’époque – la langue d’oïl ou l’ancien français – l’imposèrent à leurs gens, tout comme Guillaume le fit avec les nobles de sa cour, nouvellement conquise. Puis, à leur tour, ces nouveaux Anglais la transmirent à leurs enfants (qu’ils envoyaient d’ailleurs traditionnellement étudier en France).
Dans l’histoire de la langue anglaise, ces événements marquèrent un tournant si décisif qu’ils la firent passer du Old English au Middle English, car seules les strates les plus basses de la société anglaise restèrent hermétiques aux influences directes de la langue d’oïl, du moins dans un premier temps.
Les principales influences du français
En devenant ainsi la langue officielle des hautes sphères de la société, le vieux français s’imposa rapidement dans les domaines liés au pouvoir, notamment administratifs, juridiques, religieux ou encore militaires. C’est la raison pour laquelle nous trouvons encore aujourd’hui, dans ces répertoires en particulier, de nombreux mots français assez – voire tout à fait – transparents : justice, government, parliament, pardon, abbey, cloister, clergy, evidence, peasant, commons, villain, etc. Cela constitue déjà deux premiers avantages pour les francophones : ces termes appartenant à un registre soutenu, ils donnent de fait un certain cachet aux phrases de ceux qui les utilisent, et par ailleurs, il s’agit là de mots fréquemment mobilisés dans les échanges professionnels.
Autres champs particulièrement touchés par cette influence linguistique : tout ce qui était relatif aux achats courants de ces nobles fortunés, tels que la mode (veil pour voile), l’architecture (mansion), les arts ou encore la gastronomie. Dans cette dernière catégorie, on constate un phénomène intéressant concernant la viande en tant qu’aliment et l’animal dont elle est issue : les termes venant du français tels que pork (porc), veal (veau), mutton (mouton), beef (bœuf) désignent la chair car leurs consommateurs, nécessairement aisés, étaient d’origine normande, alors que les animaux qui la produisent sheep (mouton), ox (bœuf), calf (veau), pig (porc) ont conservé leurs terminologies du vieil anglais puisque leurs éleveurs, pauvres, continuaient de parler cette langue.
Soulignons également le fait que l’influence de la langue d’oïl s’étendit au-delà du lexique, affectant aussi la grammaire. Nous en conservons encore aujourd’hui quelques traces comme nous pouvons le voir avec des formules telles que « princess royal » où, fait rarissime en anglais contemporain, l’adjectif ne précède pas le nom qu’il qualifie.
Enfin, ce que la conquête de Guillaume amorça perdura avec les Plantagenêt pour s’atténuer ensuite à la faveur d’un retour de l’anglais, puis rayonner de nouveau avec les Lumières françaises. Pas surprenant, dès lors, que l’anglais et le français partagent tant de vocabulaire commun.
Véritable enrichissement de l’anglais
Notons que les mots d’origine germanique (qui marquèrent le Old English) ou latine ne disparurent pas tous avec l’importation de synonymes d’origine française, c’est pourquoi nous trouvons souvent plusieurs termes anglais pour traduire un seul mot français : ainsi, royal peut se dire en anglais kingly, royal ou regal. Cela explique la grande richesse lexicale de l’anglais contemporain. Du reste, dans un même champ lexical, il est possible de trouver plusieurs racines : tooth désignera la dent, alors que dentist, mot français, celui qui la soigne (cela fonctionne aussi avec heart et cardiac, etc.).
Retour à l’envoyeur
Souvent nous entendons des discours catastrophés sur la multiplication des anglicismes, en particulier avec l’internationalisation des affaires et la diffusion des nouvelles technologies. Dont acte. Toutefois, n’oublions pas non plus que pour certains de ces termes, il ne s’agit que d’un simple aller-retour. Par exemple, le mot anglais budget vient du mot français (aujourd’hui disparu) bougette qui faisait référence à un sac en cuir et en visait le contenu, ou encore mail qui vient d’un ancien mot, male, que l’on peut rendre par portefeuille ou porte-feuillets.
Ainsi, si vous ne connaissez pas un mot en anglais, tentez de le dire en français, il y a une bonne probabilité que cela fonctionne : en effet, ces mots représentent environ 30 % du lexique anglais et par ailleurs la plupart des mots se terminant par « ture », « ent », « ous », et « ty » sont d’origine française, donc ce sont de vrais amis, et par chance les faux amis sont nettement moins nombreux.
Delphine Minchella, Enseignant-chercheur en Management stratégique – Laboratoire Métis EM Normandie, École de Management de Normandie – UGEI
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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