Les éléments de l’enquête dévoilés samedi sur « l’attentat terroriste islamiste » contre un professeur décapité près de Paris par un réfugié mettent en lumière la vindicte à laquelle il a été désigné sur les réseaux sociaux pour avoir montré une caricature de Mahomet à ses élèves.
Evoquant « l’extrême gravité des faits et leur immense retentissement », le procureur anti-terroriste Jean-François Ricard a livré quelques détails samedi après-midi sur l’attentat qui a horrifié la France, tandis que sur place, des dizaines d’élèves et de parents se succédaient pour déposer une rose blanche au pied des grilles du collège du Bois d’Aulne à Conflans-Sainte-Honorine, près de Paris.
Le magistrat a précisé que l’assaillant, abattu par les policiers, était un réfugié russe d’origine tchétchène, né en 2002 et présent légalement sur le sol français.
Dix personnes placées en garde à vue
Samuel Paty, père de famille de 47 ans, rentrait chez lui quand il a été attaqué par Abdoullakh Abouyezidovitch A. qui a revendiqué le meurtre sur Twitter en faisant le lien avec Mahomet. L’ambassade de Russie en France a nié tout lien avec l’assaillant qui vivait depuis 12 ans en France.
Trois semaines après une attaque islamiste durant laquelle un Pakistanais avait blessé à coups de hachoir deux personnes qui se trouvaient devant les anciens locaux de l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo, et en plein débat sur la préservation de la laïcité face aux assauts communautaristes, l’assassinat de vendredi a révolté le pays.
Enseignant décapité : le procureur général du parquet national antiterroriste revient sur les vidéos où le père d’une élève a appelé à la mobilisation contre le professeur pic.twitter.com/BfbPNw5Byk
— franceinfo (@franceinfo) October 17, 2020
Un hommage national sera rendu à M. Paty mercredi et des rassemblements sont prévus dimanche.
Un total de dix personnes ont été interpellées et placées en garde à vue depuis vendredi soir, des proches de l’assaillant, mais aussi le père d’une des élèves du professeur, qui l’avait livré à la vindicte sur les réseaux sociaux, et un militant islamiste très actif, Abdelhakim Sefrioui, qui avait fait de même.
Selon les éléments dévoilés par le magistrat, le professeur avait organisé avec ses élèves un débat, prévu dans le cadre des cours d’éducation civique, au cours duquel il a montré des caricatures du prophète Mahomet. Il avait alors proposé aux élèves qui le souhaitaient de ne pas regarder certains dessins.
Le père d’un élève, placé en garde à vue, s’était indigné de ce cours dans plusieurs vidéos, rendant public sur internet le nom du professeur et l’adresse du collège, et allant rencontrer la principale pour demander son renvoi.
Appels (téléphoniques) menaçants
Après ces publications, « la principale faisait état de nombreux appels (téléphoniques) menaçants reçus par le collège », a précisé le magistrat.
Selon lui, Abdoullakh Abouyezidovitch A. s’est posté devant le collège vendredi vers la mi-journée et a demandé à des élèves de lui désigner le professeur.
« Ce crime terroriste est le second commis pendant que se déroulent les audiences du procès du mois de janvier 2015 commencé au début du mois de septembre dernier. Cela confirme le très haut niveau de la menace terroriste islamiste », a déclaré M. Ricard.
Le procès est celui des complices des assaillants des attentats de janvier 2015 contre Charlie Hebdo, qui avaient tué 12 personnes, là encore en représailles après la publication de ces mêmes caricatures.
« On faisait des débats, on parlait »
Au total, la vague d’attentats jihadistes sans précédent amorcée en 2015 en France a fait 259 morts.
M. Paty « était à fond dans son métier », qu’il « aimait beaucoup », confiait vendredi Martial, un lycéen de 16 ans, accouru devant son ancien collège. « Il voulait vraiment nous apprendre des choses. De temps en temps, on faisait des débats, on parlait ».
« Nos enseignants continueront à éveiller l’esprit critique des citoyens de la République, à les émanciper de tous les totalitarismes et de tous les obscurantismes », a déclaré sur Twitter le Premier ministre Jean Castex.
« Je serai, et notre pays sera à vos côtés pour vous protéger, vous permettre de faire votre métier qui est le métier le plus essentiel, transmettre à nos enfants les savoirs et les valeurs qui sont notre bien commun », a assuré le ministre de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer dans un message vidéo aux professeurs, une catégorie particulièrement importante dans le paysage socio-politique français.
Attentat terroriste islamiste caractérisé
Depuis 30 ans, l’éducation nationale est en première ligne face aux revendications de certains milieux musulmans.
Le président Emmanuel Macron s’était lui rendu sur les lieux vendredi soir, qualifiant l’assassinat d’« attentat terroriste islamiste caractérisé ».
« Ils ne passeront pas. L’obscurantisme ne gagnera pas », a martelé, ému, le chef de l’Etat, dans un pays où les signes de tensions provoqués par les islamistes sont réguliers, déclenchant une réplique des autorités pour préserver les valeurs laïques de la République. Une réplique elle-même dénoncée par certains organismes musulmans comme « islamophobe ».
A l’étranger, la présidente de Commission européenne, Ursula von der Leyen, a rendu hommage à l’enseignant, adressant ses « condoléances à sa famille et aux Français. Mes pensées vont aussi aux enseignants, en France et partout en Europe. Sans eux, il n’y a pas de citoyens. Sans eux, il n’y a pas de démocratie ».
« Nous devons protéger la liberté d’expression » a réagi le Premier ministre tchèque Andrej Babis, tandis que le gouvernement jordanien « dénonce ce crime terroriste et toutes les formes de violence et de terrorisme ».
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