Le haut magistrat François Molins prendra sa retraite le 30 juin après « quarante-six ans et demi au service » de la justice et le sentiment du devoir accompli, mais non sans « inquiétudes » sur la crise « systémique » que traverse l’institution, dit-il dans un entretien à l’AFP.
Le grand public a découvert il y a dix ans le regard bleu clair de ce Catalan d’origine, devenu le visage familier qui rassure à chaque attentat jihadiste, des tueries de Mohamed Merah au 13-Novembre. Sa carrière, qu’il termine sous les ors de la Cour de cassation, où il occupe la prestigieuse fonction de procureur général depuis 2018, François Molins ne veut toutefois pas la « résumer » à l’antiterrorisme, qui « représente douze ans maximum sur quarante-six ans et demi ».
Entre Carcassonne où il a débuté comme substitut et la plus haute juridiction judiciaire française, il aura exercé, toujours au parquet, à Montbrison, Villefranche-sur-Saône, Bastia, Lyon, Angers, Bobigny et Paris, après un passage au ministère de la Justice. « Jamais des choix de facilité », assure le magistrat à l’heure du bilan.
Il quitte ce « métier passion » à un tournant : deux ans après une tribune écrite par neuf jeunes magistrats criant souffrance éthique et perte de sens dans leur travail, qui a ébranlé l’institution et a été signée par les deux tiers de la profession, des moyens conséquents ont été annoncés après des décennies d’indigence. « C’est un effort budgétaire qu’on n’a jamais connu », salue François Molins. « Je ne suis pas sûr que cela suffira, j’espère me tromper ».
« On risque d’arroser du sable si on ne règle pas les problèmes structurels et systémiques » de la justice
Le rapport du comité des États généraux de la justice, dont M. Molins était membre après en avoir été à l’initiative avec la première présidente de la Cour de cassation de l’époque, Chantal Arens, avait pointé « l’absence de vision systémique » pour prendre le mal à la racine. Dans la foulée, le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti – avec lequel il n’a « plus de relations institutionnelles depuis deux ans et demi » après des débuts houleux – a présenté en janvier un plan d’actions, qui « sur le fond manque clairement d’ambition », estime le haut magistrat.
« On risque d’arroser du sable si on ne règle pas les problèmes structurels et systémiques » de la justice, sermonne-t-il. « Et puis l’inquiétude », poursuit le magistrat, « c’est finalement la place de la justice dans la société », trop souvent « déconsidérée » alors qu’elle n’est « pas un service public comme un autre ». À quelques semaines de sa retraite, lors de laquelle il entend se « rendre utile autrement », « transmettre, partager », François Molins part avec quelques « regrets ».
Le regret de n’avoir jamais été ministre
Celui de n’avoir jamais été ministre – des « rumeurs sans fondement » l’avaient un temps « annoncé » à l’Intérieur – n’en fait pas partie, évacue celui qui assure n’avoir par ailleurs jamais « couru après les galons ».
Il déplore par contre que la réforme maintes fois promise du statut du parquet, qu’il appelle depuis longtemps de ses vœux afin de faire disparaître toute « suspicion » sur l’indépendance des procureurs vis-à-vis de l’exécutif dans la conduite des affaires individuelles, n’ait toujours pas abouti, faute de volonté « politique ».
Sa confiance reste assez limitée dans le fait que cette réforme, qui suppose une révision constitutionnelle, voit le jour. « C’est regrettable qu’il y ait encore en politique des personnes qui s’imaginent qu’il faut « tenir » les parquets et d’une certaine façon, que les parquets devraient être aux ordres », déplore le procureur général.
Le mode de désignation de son successeur, qui portera l’accusation contre Éric Dupond-Moretti devant la Cour de justice de la République (CJR) si le renvoi du ministre est confirmé par la Cour de cassation, risque lui aussi d’ « alimenter la suspicion », prévient M. Molins. S’il ne doute pas que son successeur agira « en toute indépendance et impartialité », le fait que le gouvernement ait dû prendre un décret de déport pour que le garde des Sceaux ne soit pas en charge de cette nomination « est bien la preuve qu’il y a une difficulté ».
« Le décret de déport n’a pas vraiment tout réglé », insiste M. Molins. Car « ce sera le président de la République et la Première ministre qui auront choisi celui qui aura pour charge de requérir contre un membre de leur gouvernement ».
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