Une frégate française patrouillant en mer Rouge a abattu dans la nuit de samedi à dimanche deux drones se dirigeant dans sa direction et provenant du nord du Yémen, territoire sous contrôle des rebelles houthis. En parallèle de l’influence iranienne, les liens entre les Houthis et le régime chinois ne doivent pas être ignorés.
La frégate multi-missions (FREMM) Languedoc, déployée en mer Rouge pour une mission nationale de sécurité maritime, a effectué des tirs de missiles antiaériens Aster 15 pour abattre ces drones qui se dirigeaient droit sur elle, a appris l’AFP auprès d’une source militaire ayant requis l’anonymat. Un tel tir de missiles sol-air en autodéfense constitue une première pour la Marine française, mais une première très couteuse : comme l’explique Stéphane Audrand, conseiller en risques internationaux, le « Aster 15 est un missile redoutablement efficace, mais qui coûte… environ un million d’euros pièce » alors que les drones abattus coûtent certainement cinquante fois moins cher, laissant présager de longues réflexions sur les défis posés par ces nouvelles menaces…
D’après le communiqué de l’état-major français, « l’interception et la destruction de ces deux menaces caractérisées » ont eu lieu dans la nuit de samedi à dimanche, à 110 kilomètres des côtes yéménites, à la hauteur de Hodeida, port du nord du Yémen sous contrôle des rebelles houthis.
Ces derniers avaient menacé plus tôt samedi d’attaquer tout navire dans la mer Rouge se dirigeant vers Israël si la population de la bande de Gaza ne recevait pas une aide d’urgence, dans un communiqué publié sur les réseaux sociaux.
C’est la première fois qu’un bâtiment militaire français est ciblé par les Houthis depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas, déclenchée après une attaque meurtrière du mouvement islamiste palestinien en sol israélien le 7 octobre.
La semaine dernière, les Houthis avaient attaqué deux navires au large des côtes yéménites, dont un navire battant pavillon des Bahamas, affirmant qu’ils appartenaient à des Israéliens.
Un destroyer américain avait abattu la semaine dernière trois drones en portant assistance à des navires commerciaux en mer Rouge visés par des attaques depuis le Yémen, selon Washington, qui avait dénoncé « une menace directe » pour la sécurité maritime.
Le 19 novembre, les Houthis se sont emparés du navire marchand Galaxy Leader qui appartient à une société britannique, elle-même propriété d’un homme d’affaires israélien.
Les Houthis ont également lancé une série de drones et de missiles en direction d’Israël.
Juste après l’attaque contre la frégate française, les liens entre l’Iran et les Houthis ont été mis en avant par de nombreux observateurs. À titre d’exemple, le journaliste Didier François écrivait sur X : « La frégate Languedoc intercepte au large du Yémen deux drones qui la visaient, tirés depuis le port de al-Houdaydah occupé par les milices houties, alliées du Hamas, armées par l’Iran et qui voudraient remettre en cause la liberté de circulation en mer Rouge. »
Pourtant, un acteur essentiel dont le poids géopolitique dans la région n’a fait que grandir ces dernières années est facilement ignoré : la Chine communiste.
Dans l’épisode du podcast Le Collimateur du 14 novembre 2023, intitulé L’Iran, le Hamas et Israël, Héloïse Fayet, chercheuse au Centre des études de sécurité de l’Ifri et coordinatrice du programme Dissuasion et prolifération, répondait aux questions d’Alexandre Jubelin. Ce dernier l’interrogeait sur le niveau de contrôle et de direction des Houthis par l’Iran.
Héloïse Fayet répondait alors : « Les liens sont là, à mon sens, un peu plus d’opportunité, que les liens qu’il peut y avoir entre l’Iran et le Hezbollah ou certaines milices irakiennes. La position stratégique du Yémen fait qu’ils sont capables de viser Israël, comme les pays du Golf qui sont ennemis de l’Iran, c’est-à-dire l’Arabie Saoudite ou les Émirat Arabes Unis. Mais les Houthis sont les plus indépendants par rapport à la filière d’approvisionnement iranienne, c’est-à-dire qu’ils ont leur propre filière d’approvisionnement qui vient de Chine, voire de Corée du Nord. »
Autre exemple : en mai 2023, les Houthis ont signé un protocole d’accord avec le groupe chinois Anton Oilfield Services et le gouvernement chinois pour investir dans l’exploration pétrolière dans le pays. Même si Anton Oilfield Services Group a par la suite annulé l’accord, ce dernier montre que Pékin reconnaît implicitement les rebelles – qui n’ont jusqu’à présent entretenu des relations diplomatiques formalisées qu’avec l’Iran et la Syrie – comme organe directeur au Yémen.
L’implication chinoise au Yémen est ancienne. Les relations diplomatiques entre le Yémen et la Chine remontent à 1956, lorsque le Yémen fut le premier pays de la péninsule arabique à reconnaître la République populaire de Chine. Depuis l’unification du Yémen en 1990, la Chine a signé des accords pour construire des centrales électriques au gaz naturel au Yémen et agrandir les ports à conteneurs d’Aden et de Mokha. Pékin a aussi été active dans le secteur de la production pétrolière du Yémen.
La guerre civile qui a déchiré le Yémen a commencé par l’insurrection de rebelles zaïdistes [1], aussi appelés houthis, contre le gouvernement yéménite en juin 2004. Or, à l’origine même de ce soulèvement, se trouve un discours prononcé par le chef des zaïdistes, Hussein Badreddine al-Houthi, le 17 janvier 2002 dans lequel il incite ses compatriotes à combattre l’hégémonie américaine (et occidentale) sur le monde arabe et musulman. Ce discours, dans la pure tradition révolutionnaire communiste, n’a rien de surprenant, les zaïdistes étant soutenus par l’Iran mais aussi par la Corée du Nord [2].
Les engagements de Pékin au Yémen s’inscrivent dans le contexte d’une augmentation massive de son activité diplomatique au Moyen-Orient et en Afrique, se positionnant en apparence comme une alternative « non interventionniste » aux États-Unis. Afin d’étendre son influence dans la région, la Chine a fait de multiples incursions diplomatiques, notamment en négociant le récent accord de normalisation entre l’Arabie saoudite et l’Iran, ainsi qu’en accueillant des sommets Chine-États arabes et un sommet du Conseil de coopération Chine-Golfe.
Shao Zheng, chargé d’affaires de l’ambassade de Chine au Yémen, a souligné en juin 2023 la longue histoire de coopération économique et d’investissement entre son pays et le Yémen, affirmant que l’un des projets chinois les plus importants était la route Hodeidah-Sanaa, construite avec l’aide de la Chine. Il a ajouté qu’il y avait une centaine de projets géants chinois au Yémen avant la guerre de 2015.
L’aspect le plus frappant de l’approche chinoise du conflit au Yémen est sa capacité à passer du statut d’acteur périphérique en 2011 à celui de quasi-médiateur. La Chine a pu développer des canaux d’engagement bilatéraux avec les deux parties, en se présentant comme un acteur neutre.
Pourtant, l’exemple taliban en Afghanistan devrait inviter à la plus grande prudence. Une étude d’un think tank saoudien, parue en 2020, faisait naïvement la comparaison entre l’approche chinoise dans le conflit au Yémen et en Afghanistan auprès des talibans : « L’appel téléphonique de 2015 entre Xi Jinping et le roi Salmane d’Arabie saoudite au cours duquel Xi a appelé à des efforts en faveur d’une résolution du Yémen, ainsi que la visite de 2016 de la délégation des Houthis sont des exemples de la façon dont la Chine a réussi à accroître son influence et à s’éloigner de la dépendance aux efforts multilatéraux internationaux pour se tourner vers le Yémen avec une approche bilatérale substantielle. Une telle approche devient toutefois moins surprenante lorsqu’on examine les efforts de médiation de la Chine ailleurs. À titre d’exemple, la Chine est de plus en plus active dans les pourparlers de paix en cours en Afghanistan. Elle a non seulement considérablement accru son engagement économique avec le pays, mais a également réussi à construire une relation pragmatique avec le plus grand groupe insurgé du pays, les talibans. »
Parue en février 2020, cette étude valorisant les efforts chinois pour la paix serait démentie par les évènements d’août 2021 : une débâcle humiliante pour l’armée américaine, un écrasement du gouvernement afghan et une victoire totale des talibans dans le pays. Alors que les femmes et les filles afghanes voyaient rapidement disparaître les droits fondamentaux qu’elles avaient acquis, la Chine ouvrait grand les bras aux nouveaux maîtres du pays. Pour Xi Jinping, on peut dire que « ses efforts de paix » ont été couronnés de succès.
La même trajectoire sera-t-elle à l’œuvre au Yémen et dans la région du Golfe Persique ?
La déstabilisation de la région suite à l’attaque du Hamas du 7 octobre va amener la multiplication « des discours et des initiatives de paix », mais il faut garder à l’esprit que ces initiatives de paix n’ont pas la même signification pour tous les acteurs engagés : pour la Chine, il s’agit avant tout de renforcer ses positions au détriment de celles des pays occidentaux en fonction des opportunités qui se présentent. L’attaque par les Houthis d’une frégate française, dans le contexte d’une multiplication des agressions ces derniers jours, en est la triste illustration.
Xi Jinping aura beau condamner le langage des armes — qu’il fournit pourtant aux Houthis — tout en appelant à une résolution pacifique des conflits, son pays sera encore une fois le principal bénéficiaire de la crise en cours.
[1] Le zaïdisme se veut l’école de pensée des Ahl al-bayt par excellence et se réclame de la conception du chiisme enseignée par l’imam Zayd ibn Ali, petit-fils de Hussein et fils d’Ali ibn Hussein, leur quatrième imam. Il s’agit d’un des trois grands courants chiites avec le chiisme duodécimain et l’ismaélisme (ou chiisme septimain) et le plus proche du sunnisme. Les partisans du fiqh zaydite sont appelés « zaydites ». Ils constituent près de la moitié de la population musulmane du Yémen, où ils ont fondé un premier État dans les années 890.
[2] Mathieu Sirvins. La France face à la guerre mondiale du Parti communiste chinois. Page 221.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.
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