Frôlant la barre des 3000 milliards d’euros, la dette publique française soulève des questions sensibles de souveraineté

Par Michel Pham
13 avril 2023 10:53 Mis à jour: 13 avril 2023 11:33

La dette publique française a presque dépassé le seuil critique de 3000 milliards d’euros, ce qui soulève plusieurs questions, parmi lesquelles celles de la souveraineté économique et diplomatique : on estime qu’entre 250 et 300 milliards de dette française sont détenus en Chine communiste. 

La dette publique tricolore a atteint le niveau de 2950 milliards d’euros selon les chiffres publiés par l’INSEE fin mars pour le compte de l’année 2022. Elle a donc évité avec une infime justesse la barre spectaculaire de 3000 milliards.

Si cette nouvelle semble attendue depuis quelques mois — car la dette française s’élevait déjà à 2813 milliards d’euros en décembre 2021, et à 2918 milliards d’euros en juin 2022 —, le progrès continu et de longue date de la dette publique tricolore interpelle de nombreux experts, à l’instar de Marc Touati, économiste et président de l’ACDEFI, qui s’est exclamé : « La France, champion du monde de la dette publique ».

Toutefois, « on nous a répété pendant des années : ne vous inquiétez pas, nous pourrons toujours supporter la dette ! », comme l’a constaté Jean Tirole avant d’ajouter dans les colonnes du Figaro en décembre 2022 : « Notre déficit est plus élevé que celui de l’Italie, qui est considérée comme un pays dangereux mais affiche un excédent primaire. Nous en sommes très loin. »

Une véritable sonnette d’alarme puisqu’elle provient du prix Nobel français d’économie de 2014 et directeur de la prestigieuse Toulouse School of Economics. Cela signifie également que la situation actuelle de la dette publique française mérite plus d’attention et une analyse plus profonde.

Plus de 50% des créanciers sont non-résidents

Pour y regarder de plus près, très souvent les médias et les experts académiques surveillent et commentent le rapport entre la dette publique et le produit intérieur brut (PIB), ou en d’autres termes le ratio d’endettement. En décembre 2022, le ratio d’endettement français s’élevait à 111,6% du PIB, dépassant la barre de 100% pour la quatrième année consécutive depuis 2019, de quoi soulever des inquiétudes légitimes quant à la soutenabilité et à la capacité de remboursement de la dette publique française.

Comparée au Japon dont le ratio d’endettement est aujourd’hui d’environ 261%, de prime abord, la France est loin d’être « championne du monde de la dette publique ». Cependant, la dette publique tricolore présente des caractéristiques très particulières, par rapport aux autres pays développés dont le ratio dépasse le seuil de 100%.

En effet, la part des non-résidents dans la détention de la dette publique est considérablement plus faible au Japon (14%), aux États-Unis (28%) et en Italie (35%), alors qu’elle s’affiche à 50,1% en France, selon les estimations les plus récentes de l’Agence France Trésor, voire à 65% à en croire Olivier Dussopt, qui a affirmé à l’Assemblée nationale en 2021 alors qu’il était ministre délégué des Comptes publics, que « les investisseurs étrangers représentent toujours 65 % des détenteurs de la dette française ».

Le premier risque que cela induit est celui de la soutenabilité, comme l’a expliqué Bertrand Blancheton, professeur d’économie de l’Université de Bordeaux : « La part de la dette détenue par des non-résidents influence sa soutenabilité. Des institutions financières non-résidentes sont enclines à exiger des primes de risque de défaut. La prédominance des résidents en matière de détention de la dette domestique explique ainsi la capacité du Japon de vivre avec un ratio d’endettement de plus de 260 % aujourd’hui. »

250 à 300 milliards d’euros de dette française détenus en Chine

Par ailleurs, la détention de la dette publique par des non-résident présente un enjeu de taille en termes de souveraineté, toujours selon Bertrand Blancheton. En effet, si les détenteurs de la dette tricolore « sont sous contrôle de leur gouvernement, la détention de la dette devient une arme stratégique ». Or, « une part significative de la dette française serait ainsi détenue par des opérateurs chinois (250 à 300 milliards d’euros). […] Le danger de la situation serait d’avoir besoin de renouveler cette dette auprès d’un créancier qui exigerait alors des contreparties, par exemple sur des dossiers de politique internationale ».

Nul ne sait pour l’instant si l’un des objectifs de la toute récente visite d’Emmanuel Macron en Chine était de consolider la confiance des détenteurs de dette française en Terre du milieu, lesquels sont sous le contrôle de la dictature du Parti communiste chinois. Mais le discours du chef de l’État français devant la communauté française à Pékin le 5 avril dernier était sans ambigüité : « Il ne nous faut pas nous désassocier, nous séparer de la Chine ».

Emmanuel Macron a également refusé de vexer Xi Jinping au sujet de Taiwan en déclarant clairement aux Echos : « La question qui nous est posée à nous, Européens, est la suivante […] : “Avons-nous intérêt à une accélération sur le sujet de Taïwan ?” Non. La pire des choses serait de penser que nous, Européens, devrions être suivistes sur ce sujet et nous adapter au rythme américain et à une surréaction chinoise. »

« Les Européens n’arrivent pas à régler la crise en Ukraine, comment pouvons-nous dire de manière crédible sur Taïwan : attention, si vous faites quelque chose de mal, nous serons là ? Si vous voulez vraiment augmenter les tensions, c’est le meilleur moyen de le faire ».

En même temps qu’Emmanuel Macron a tenu ces propos, la Chine communiste agressait la République de Chine (Taiwan) en pratiquant des exercices d’« encerclement total » de l’île avec neuf navires de guerre et des avions militaires.

Tandis que plusieurs spécialistes ont qualifié la visite d’Emmanuel Marcon d’« échec sur le plan diplomatique », comme par exemple Marc Julien, responsable des activités Chine au centre Asie de l’Ifri, d’autres se félicitent du succès économique, notamment des accords commerciaux passés par des grandes entreprises françaises comme Airbus et EDF avec des partenaires chinois aux portes de la Cité interdite.

Pendant ce temps, le rapport récemment publié par la Direction générale du Trésor sur les échanges commerciaux entre la France et la Chine fait très peu de bruit en Hexagone. Selon ce rapport, « le déficit commercial français vis-à-vis de la Chine a atteint 39,6 Md€ à comparer à 38,9 Md€ en 2020 et 32,3 Md€ en 2019 […] Les exportations françaises vers la Chine ont baissé en 2022 : -1,3 % à 24,1 Md€ selon les douanes françaises. Les importations françaises de biens chinois ont bondi en 2022 : +20,7 % à 77,7 Md€ (+12,8 % en 2021) ».

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