La fuite en avant perpétuelle du populisme russe

3 février 2017 20:08 Mis à jour: 24 mars 2017 11:14

Nous publions ici le premier volet d’une série de trois articles consacrés au nouvel ordre mondial à l’heure de Donald Trump et Vladimir Poutine. The Conversation


En 2017, Donald Trump va s’efforcer de ramener la Russie dans le concert des nations civilisées en levant les sanctions qui frappent celles-ci. Il est d’autant plus nécessaire de comprendre la nature populiste du régime de Vladimir Poutine. En effet, c’est la cause de la maladie qu’il faut soigner et non ses effets.

Dans un livre impressionnant paru en novembre 2016, L’Occident vu de Russie : Anthologie de la pensée russe de Karamzine à Poutine, Michel Niqueux définit de la sorte l’idéologie dominante, inspirée des intellectuels eurasiens, mise en œuvre par Poutine : « anti-occidentalisme, conservatisme moral et culturel, verticale du pouvoir, affirmation de la puissance militaire, monde multipolaire opposé au monde unipolaire dominé par les États-Unis, Union eurasienne (Russie, Biélorussie, Kazakhstan, Kirghizie, Arménie ; l’Ukraine ayant fait défaut), etc. ».

Cette description est parfaitement juste et, cependant, elle manque le point essentiel de l’idéologie au pouvoir depuis l’an 2000 en Russie, à savoir le populisme, lui-même fondé comme l’ont montré Karen Dawisha et Peter Pomerantsev, sur une vision nihiliste de la vérité, sur une propagande d’État principalement télévisuelle et sur une approche kleptocratique du pouvoir.

La politique néo-impérialiste du régime Poutine

Le principal opposant à Vladimir Poutine, Boris Nemtsov, assassiné le 27 février 2015 à quelques mètres du Kremlin, avait rédigé avant de mourir un rapport affirmant que le président russe appliquait une politique populiste afin de remonter dans les sondages d’opinion, au plus bas depuis 2012. Cette politique populiste était avant tout guerrière. L’annexion de la Crimée, le 18 mars 2014, avait comme objectif de redonner une fierté aux Russes. La volonté de susciter en mai 2014 un printemps pro-russe dans une zone appelée Novorossia avait le même objectif. Mais celle-ci s’est terminé par un semi-échec puisque si les villes de Donetsk et Lougansk, en Ukraine, ont pu être occupées par les forces du colonel russe du GRU (renseignement), Igor Guirkine, ni Kharkov ni Odessa, cités pourtant majoritairement russophones, n’ont accepté de se soulever.

Mikhaïl Gorbatchev, l’ancien numéro un soviétique. UN/Flickr, CC BY-NC-ND

Ceux qui, en URSS, se croyaient encore dans les années 1980 les maîtres du monde avaient en effet dû déchanter avec la politique de perestroïka initiée par Mikhail Gorbatchev. Brusquement, du fait de la nouvelle politique de clarté (glasnost) des médias, les Russes découvraient avec effroi qu’ils avaient participé à un système, fondé sur l’idéologie communiste, responsable selon l’historien Stéphane Courtois de plus de cent millions de morts au XXe siècle.

Puis, second choc, la crise du rouble en 1998 couplée avec une forte inflation a conduit un grand nombre de Russes à croire que le régime démocratique et capitaliste ne correspondait pas au contexte sociopolitique russe. Bien sûr, personne n’expliqua aux Russes que le régime qui était le leur dans les années 90 n’avait rien de démocratique puisque l’appareil d’État n’avait pas été désoviétisé. Il n’avait rien non plus de capitaliste, surtout depuis que les communistes détenaient le pouvoir à la Douma après les élections législatives de 1995. Si bien que la remise du pouvoir par Eltsine au chef des services secrets Vladimir Poutine, en 1999, fut considérée comme un moindre mal par la majorité de la population.

Au même moment, le gouvernement de Moscou bénéficiait du quintuplement des prix du pétrole entre 1998 et 2012, principale ressource du budget national, et les Russes ne purent que se féliciter de l’amélioration de leur niveau de vie, même si chacun comprenait que les principales bénéficiaires se trouvaient dans l’entourage de la nouvelle oligarchie au service du Président Poutine.

L’invention de nouveaux mirages

Depuis sa prise de pouvoir, Poutine souffle sur les braises du ressentiment de millions de Russes de plus en plus accablés par une prise de conscience : la sortie du communisme ne conduit pas automatiquement à la vie rêvée de l’eldorado capitaliste. En annexant la Crimée en 2014, il fait croire aux Russes qu’ils retrouvent le chemin de la grandeur et du respect international. Mais, comme l’explique parfaitement Michel Eltchaninoff dans sa postface au Rapport Nemtsov : Poutine et la guerre, ce contrat entre le président et sa population est à double tranchant.

En effet, malgré la censure, nul ne peut ignorer en Russie que la quasi-totalité des pays de l’ONU et l’ensemble des pays membres de l’Union européenne condamnent la Russie pour son annexion de la Crimée. Le Kremlin est obligé, en conséquence, de se lancer dans une permanente fuite en avant. Il doit sans cesse inventer de nouveaux mirages capables d’assurer à sa population qu’il dit bien vrai, que « la nation autrefois humiliée se relève aujourd’hui et peut dicter ses conditions au monde ».

On prendra dans un premier temps deux exemples de cette fuite en avant, à des fins de politique populiste, du pouvoir russe : les Jeux olympiques de Londres en 2012 mais surtout de Sotchi en février 2014, le bombardement d’Alep en octobre-décembre 2016

Une utilisation du sport à la soviétique

Le sport a toujours fourni à l’époque soviétique un vecteur efficace de mobilisation de la population. La politique sportive du gouvernement de Poutine, fondée sur la volonté d’apporter par tous les moyens des victoires prestigieuses au pays, a le même objectif de caresser une population dont le ressentiment est grand par rapport à la fin de l’URSS et la mondialisation néo-libérale.

L’exemple des Jeux olympiques de Sotchi, en février 2014, en fournit un bon exemple. Ces jeux furent les plus chers de l’histoire des JO d’hiver. Sur la facture totale de 45 milliards de dollars (cinq fois plus qu’à Vancouver en 2010), entre 13,5 et 22,5 milliards seraient imputables à la corruption, selon la Fondation anticorruption, un organisme russe dirigé par des opposants au régime du président Vladimir Poutine et financé par des contributions des citoyens. Selon son directeur général, Vladimir Ashurkov : « 13 millions de personnes en Russie vivent sans eau chaude et 9 millions sans conditions sanitaires. Était-ce une bonne idée de dépenser 45 milliards pour les Jeux olympiques dans ces circonstances ? »

Mais il y a plus grave encore. L’ancien patron du laboratoire anti-dopage de Moscou Grigory Rodchenkov a affirmé au New York Times que des athlètes russes avaient bénéficié d’un système de dopage supervisé par le ministère des Sports du pays durant les Jeux de Sotchi. Ces accusations font écho à celles de Vitali Stepanov, ancien contrôleur de l’Agence de lutte contre le dopage russe lors des JO d’été de Londres en 2012, à l’origine du scandale qui a ébranlé l’athlétisme russe en novembre 2015.

La cérémonie d’ouverture des JO de Sotchi en février 2014.
premier.gov.ru/Wikimedia, CC BY-SA

Le juriste canadien Richard McLaren, à la demande de l’Agence mondiale antidopage (AMA), a rendu le 18 juillet 2016 un rapport très circonstancié sur le système de dopage mis en place, de 2001 à 2005, en Russie. À la suite de ce document, et au motif que ce système organisé avec les « magiciens » du FSB (les services secrets russes) a continué à prospérer, 118 athlètes russes ont été exclus des jeux de Rio. Mais pour le juriste canadien, « ce rapport parle d’un dopage d’État, de manipulation des résultats, de permutations d’échantillons avant Londres 2012 ».

La fuite en avant à Alep

Le gouvernement russe, bloqué en 2015 par les sanctions et par l’armée ukrainienne, a trouvé en septembre de cette même année, par le biais de son intervention militaire directe en Syrie, une nouvelle échappatoire capable de susciter la fierté de sa population. Le refus en 2013 de l’administration américaine de riposter à l’utilisation par les troupes syriennes de l’arme chimique a été interprétée au Kremlin comme une carte blanche lui permettant d’endosser le visage de la puissance protectrice des chrétiens d’Orient. Le Kremlin a compris qu’il pouvait pousser les puissances occidentales à s’allier avec lui dans la résolution du conflit en Syrie et se libérer ainsi des sanctions.

Pour Nicolas Tenzer, cette implication de la Russie avait aussi pour avantage de signifier à l’ONU que le système de valeurs qui fonde l’organisation internationale était inefficient pour gérer les relations internationales au XXIe siècle. De même pour l’OSCE que la Russie entend paralyser dans son action de médiation des conflits en Europe.

L’assassinat de l’ambassadeur de Russie en Turquie Andreï Karlov, le 19 décembre 2016, par un jeune Syrien criant « N’oubliez pas Alep ! » n’a certes pas été dans le sens de l’effet recherché par le pouvoir russe. De même que la vidéo conspirationniste sur YouTube lancée par Russia Today : « ONU: une journaliste démonte en deux minutes la rhétorique des médias traditionnels sur la Syrie ». Celle-ci entendait démontrer que les médias occidentaux ne disposaient d’aucune source crédible leur permettant de critiquer le bombardement acharné de la population civile d’Alep par l’armée russe. Mais ceux-ci ont réagi immédiatement pour démonter ces « arguments ».

Toutefois, ces incidents de parcours et ces débats n’atteignent en rien le Kremlin dans son objectif principalement à usage interne. La réunion à Moscou, le 20 décembre 2016, des diplomates syriens, iraniens et turcs, tenue en l’absence de tout diplomate européen et américain et largement couverte par les journaux télévisés russes, a permis de prouver que la Russie était désormais au centre du jeu pour reconstruire les grands équilibres géopolitiques au Proche-Orient.

Antoine Arjakovsky, historien, directeur de recherche, Collège des Bernardins

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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