L’année 2012 fut marquée par la célébration de l’anniversaire des trente ans de la quatrième des lois dites « Auroux » instaurant les Comités d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de travail (CHSCT). L’année 2017 sera donc celle qui célébrera probablement sa disparition. Pourtant, il revêt une importance cruciale dans l’histoire de la santé au travail en France.
Le CHSCT un vrai contre-pouvoir
En effet, contrairement à son prédécesseur, « le comité d’hygiène et de sécurité » (CHS) créé par le décret du 1er août 1947, qui n’avait qu’un rôle consultatif, le CHSCT, créé par la loi « Auroux » du 23 décembre 1982, doit constituer un véritable contre-pouvoir. Pour Jean Auroux, « l’entreprise ne peut plus être le lieu du bruit des machines et du silence des hommes ».
Ainsi, contrairement au CHS, qui ne constituait qu’une commission spéciale du Comité d’entreprise, le CHSCT devient une instance de représentation du personnel dotée d’une autonomie complète dans son fonctionnement. Plus encore, le CHSCT, comme son nom l’indique, relie directement les problèmes de santé au travail aux conditions de travail. Jean Auroux considère le CHSCT comme un moyen de donner un droit d’expression direct et collectif sur le contenu, les conditions d’exercice et l’organisation de leur travail.
Le CHSCT doit faire, selon Jean Auroux, des salariés des citoyens à part entière dans leur entreprise. Pour cela, il confie au CHSCT des missions et des droits élargis. Par ailleurs, l’arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 17 avril 1991 dote le CHSCT de la personnalité morale, ce qui lui permet d’ester en justice.
CHSCT et bien-être des salariés
Dans une période marquée par la volonté du gouvernement actuel de fusionner le CHSCT avec les autres instances représentatives du personnel, ce qui signifierait un retour en arrière à la situation d’avant 1982, il apparaît primordial de s’intéresser aux effets de la présence d’un CHSCT sur le bien-être des salariés.
Les principales missions sont de contribuer à la protection de la santé physique et mentale et de la sécurité des travailleurs de l’établissement ; de les informer sur les dangers auxquels ils peuvent être exposés comme sur les moyens de prévention ; de contribuer à l’amélioration des conditions de travail ; de veiller à l’observation des prescriptions légales prises en ces matières.
Pour mener à bien ces missions, les CHSCT disposent du droit d’enquêter pour analyser les risques auxquels sont exposés les salariés. L’ancien ministre du Travail, Jean Auroux, tirait le bilan suivant :
« Je ne mesurais pas l’importance qu’auraient les CHSCT aujourd’hui. Je pensais qu’ils allaient fonctionner mais pas autant. Pour moi, c’est la traduction du durcissement des conditions de travail avec une compétition qui pèse sur les rythmes de travail, l’intensité du travail, des nouvelles technologies numériques qui exigent l’instantanéité […] » (Auroux, décembre 2012, La Nouvelle Vie Ouvrière).
L’importance croissante du CHSCT constatée par Jean Auroux est également mise en évidence par les chercheurs. Ainsi, selon Moreau (2002, p. 825), « le CHSCT est en train de devenir un acteur essentiel sur lequel l’entreprise devra s’appuyer pour élaborer une véritable politique de santé ». Verkindt (2014), dans un rapport pour le ministre du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social, confirme l’importance prise par l’institution au cours de ces dernières années.
La dilution du CHSCT par les ordonnances
Les ordonnances sur la réforme du code du travail vont effacer d’un trait de plume cette influence grandissante du CHSCT puisqu’elles obligeront les établissements entre 50 et 300 salariés à fusionner les délégués du personnel, le comité d’entreprise et le CHSCT au sein d’une même instance, dénommée Comité social et économique (CSE). Seuls les établissements de plus de 300 salariés pourront disposer d’une commission santé, sécurité et conditions de travail alors, qu’auparavant, le CHSCT était obligatoire pour les établissements de plus de 50 salariés.
Toutefois, les expertises sur des risques professionnels demandées par cette commission, auparavant à la seule charge de l’employeur, devront désormais être prises en charge à hauteur de 20 % de leur coût par le CSE, ce qui pourrait freiner son activité d’expertise des risques professionnels. L’argument avancé par le gouvernement est la volonté de simplifier et de limiter le temps consacré aux réunions organisées dans le cadre de ces différentes instances qui seraient assimilées implicitement à du temps perdu.
Mais sur quelles évaluations se base le gouvernement pour aboutir à de tels constats ? Nous pouvons simplement supposer qu’il a répondu à une vieille revendication du Medef qui a toujours vu d’un mauvais œil le CHSCT qui dispose d’un pouvoir de décision sur l’organisation et les conditions de travail.
Présence de CHSCT et meilleure santé au travail
Pourtant, à partir des données représentatives de la population française issues des enquêtes nationales SUMER 2003 et 2010, nos analyses économétriques corroborent les quelques études sur le sujet en montrant que la présence d’un CHSCT dans une organisation est associée à une meilleure santé au travail et à une moindre gravité des accidents du travail. Ainsi, la présence d’un CHSCT est associée à une meilleure santé au travail mesurée au travers de la réduction du risque pour un salarié de ne pas dormir à cause de son travail, et à une durée plus faible des absences pour accident du travail.
Parallèlement, nous constatons que la présence d’un CHSCT est associée à une fréquence plus élevée des absences pour accident du travail. En effet, la sous-déclaration des accidents du travail, une pratique avérée en France (Amossé et alii, 2012), serait atténuée en présence d’un CHSCT, ce qui expliquerait cette corrélation positive, observée dans d’autres études internationales.
Le CHSCT contribuerait ainsi à limiter cette sous-déclaration des accidents du travail. Par ailleurs, notre recherche qualitative, par observation directe de deux réunions de CHSCT d’une même entreprise, souligne l’influence de l’implication des acteurs membres du CHSCT et de leur activisme de la connaissance sur la qualité de la politique de prévention des risques professionnels.
CHSCT et amélioration de la performance sociale
Les récentes révélations autour des tentatives d’entrave des CHSCT au sein d’une grande entreprise française ne font que souligner, qu’encore trop souvent, les CHSCT sont assimilés à une « bête noire » par les directions d’entreprise. Or, nos résultats soulignent le rôle crucial des CHSCT pour les directions des ressources humaines souhaitant améliorer leur performance sociale.
Les CHSCT peuvent être en effet un acteur important à mobiliser pour les services de gestion des ressources humaines dans le co-développement de politiques de santé au travail et de prévention des risques professionnels.
Pour les petits établissements de moins de 50 salariés, qui n’entrent pas dans le champ d’application de la législation française sur les CHSCT, la création en leur sein d’une IRP, chargée de la santé-sécurité au travail ou tout au moins d’un crédit d’heures pour les délégués du personnel qui exercent les missions du CHSCT dans les établissements de moins de 50 salariés, permettrait d’améliorer la santé au travail des salariés.
Pour les grands établissements, de 50 salariés et plus, la présence d’un CHSCT ne garantit pas qu’il soit actif. Pour qu’il le soit, il est nécessaire de donner, aux membres des IRP en charge de la santé-sécurité au travail, les moyens d’être à l’écoute de leurs collègues, par exemple, en augmentant les heures de délégation dont ils bénéficient et en leur proposant des formations sur la santé au travail et sur le pilotage social. Cette dernière proposition est présente dans le rapport Verkindt (2014) sur les CHSCT.
Fusion CHSCT-CE-DP : quels risques ?
Les risques que fait courir cette fusion, organisée par les ordonnances sur la réforme du code du travail, pour la santé des salariés sont nombreux. Le risque majeur de cette réforme est une régression de la prise en charge des problématiques de santé, de sécurité et de conditions de travail qui, au lieu d’être des compétences propres dévolues à une instance spécialisée, seront diluées dans les compétences générales du CSE.
Cette dilution du rôle du CHSCT a d’ailleurs été confirmée par un récent rapport de l’IRES portant sur les DUP (Délégation unique du personnel, fusionnant DP, CE et CHSCT) créées par la loi Rebsamen de 2015.
L’autre risque est de voir apparaître des profils généralistes au sein du CSE qui n’auront pas forcément de connaissances approfondies et suffisantes sur les questions de santé et de sécurité au travail. Or, ces connaissances sont déterminantes dans l’efficacité des CHSCT à améliorer la santé des salariés.
Un troisième risque est de voir les heures de délégation dévolues à la délégation unique du personnel réduites, ce qui rendra d’autant plus difficile le travail d’enquête des membres du CSE sur la santé et les conditions de travail des salariés.
Enfin, la fusion des IRP risque d’engendrer un problème de santé publique. En effet, le risque est d’accroître la sous-déclaration des accidents du travail par les entreprises, ce qui se traduira par un report de la prise en charge des accidentés du travail par la caisse d’assurance maladie. Ceci risque de déresponsabiliser d’autant plus les employeurs dans l’amélioration des conditions de travail et dans la prise en compte des problématiques de santé au travail.
Le risque est grand de voir la dégradation de l’état de santé des salariés français s’accélérer dans les années à venir. C’est un bien lourd tribut à payer en termes de santé publique sur l’autel des exigences de l’économie dite « moderne ».
Gregor Bouville, Maitre de Conférence, Sciences de Gestion, Dauphine Recherche Management-Equipe Management & Organisation, Université Paris Dauphine – PSL
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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