Gabriel Robin est juriste. Il écrit pour de nombreux journaux et est l’auteur d’un essai de science politique, Le non du peuple aux éditions du Cerf. Il revient pour Epoch Times sur la crise politique que traverse la France.
Epoch Times : D’une manière générale, sur le fond, quel est votre point de vue sur cette réforme des retraites ? Etait-elle nécessaire ?
Gabriel Robin : Je pense en effet qu’il est nécessaire de refonder le pacte générationnel puisque la retraite par répartition telle qu’elle a été conçue devient de plus en plus difficile à financer et à justifier du fait de la diminution de nombre d’actifs par rapport à la population générale. Dans les années 1960, il y avait quatre actifs pour un retraité. Aujourd’hui, c’est plutôt 1,7 actif pour un retraité. On voit d’ailleurs que l’âge de la retraite a été reporté dans de nombreux pays d’Europe voisins comme en Italie ou en Allemagne. Par contre, est-ce que la réforme telle qu’elle a été pensée par Emmanuel Macron était la bonne ? Je n’en suis pas sûr du tout. Déjà, il s’attaque sans discrimination à tous les régimes spéciaux alors que certains seront autofinancés par leurs propres caisses : le régime des pharmaciens, par exemple, ce n’est pas moi qui le finance avec ma contribution sociale, ce sont les pharmaciens qui se financent eux-mêmes, donc cela ne me dérange pas. En revanche, il y a un certain nombre de régimes spéciaux qui sont financés par tout le monde, et là, il fallait s’y attaquer. Concernant l’âge de départ à la retraite, si on doit travailler plus longtemps, la question des reconversions est aussi très importante. En France, on est très figé sur cette question.
Quand un chauffeur de tram dit qu’à 64 ans, il ne sera plus capable de conduire, peut-être. Mais il peut par contre former de nouveaux conducteurs. On reste en France dans un système très figé de cette répartition qu’on a héritée du CNR, du Conseil national de la Résistance, puis après du gaullisme. Cela a très bien marché jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Mitterrand qui a ramené l’âge de la retraite à 60 ans, et qui a fait tout un tas de choses inutiles. Aujourd’hui, on a aussi un problème pour envisager par exemple des piliers de capitalisation, comme la retraite additionnelle de la fonction publique : une retraite complémentaire faite par capitalisation. Elle a engendré 5,7 % de revenu au cours des quinze dernières années. Cela fonctionne très bien et qui plus est, dans la fonction publique. Cela marche d’ailleurs aussi chez nos voisins.
Une autre difficulté de cette réforme des retraites vient aussi d’un ensemble de facteurs. La mobilité géographique devient de plus en plus importante, la mobilité professionnelle aussi. En même temps, vous avez une insécurité culturelle, sociale, mais aussi une insécurité physique des biens et des personnes. Beaucoup de couples se séparent, ce qui engendre un appauvrissement. À l’inverse, on hérite de plus en plus tard. C’est un peu dur de dire cela, mais ce n’est pas cynique : dans les années 60, les gens héritaient à 30 ou 35 ans de leurs parents. Aujourd’hui, s’ils héritent, c’est parfois à 60 ou 70 ans, donc le capital de départ, vous ne l’avez pas. Couplé au prix de l’immobilier, au fait que l’on est dans une économie de rente où le capital est majoritairement détenu en immobilier par des personnes âgées qui elles-mêmes ont des pensions très importantes, cela fait qu’il y a une incertitude forte qui pèse sur les jeunes couples : il ne peut pas y avoir de relance de la natalité. Il est difficile d’avoir un travail bien rémunéré parce que la taxation marginale sur les petits salaires est énorme. Macron hier se félicitait de l’augmentation du niveau de vie de ce qu’il a appelé les « smicards » — un terme très méprisant et vexatoire — mais il devrait aussi se soucier du fait que les classes moyennes sont de plus en plus paupérisées. Le vrai sujet, il est là.
Et selon vous, sur la forme, l’usage du 49.3 est-il légitime par rapport aux institutions ?
C’est une question compliquée. Le 49.3 est effectivement prévu par la Constitution. Ce ne serait pas un problème s’il n’y avait pas eu autant de 49.3 utilisés à tort et à travers avant. Alors effectivement, il y a eu de l’obstruction de la part de l’extrême gauche qui a empêché en quelque sorte le vote en première lecture. Mais ce n’est pas que leur faute, c’est aussi la faute du gouvernement qui refuse de négocier. C’est en fait une faute globale, une chute de régime : vous avez, d’un côté, des partenaires sociaux qui n’en sont pas et qui sont des oppositions politiques qui bloquent tout, un exécutif qui impose à chaque fois, une opposition parlementaire qui fait de l’obstruction, et d’un autre côté, un pays autiste qui est incapable de dialoguer, qui ne connaît plus les vertus du dialogue, qui est une « démocrature » en quelque sorte, qui ne répond pas aux standards démocratiques modernes de ses voisins européens.
Tout cela mis bout à bout, avec en plus de nombreuses crises sociales, les gilets jaunes, l’inflation, la crise du Covid, tout cela fait que la confiance est rompue. Dans ce contexte, vous avez un bloc réformiste, incarné par la République en Marche, qui n’a plus de majorité : c’est soit une majorité faible, soit une minorité forte. Elle a la légitimité de la démocratie représentative, c’est-à-dire que ce sont des représentants et qu’ils ont réussi à former une majorité. Mais c’est une légitimité qui tient de moins en moins dans la réalité parce que le pays est fracturé. Sur de nombreux sujets, le pays est divisé politiquement : que ce soit sur l’immigration, sur les questions de société, sur les questions économiques aussi avec la fiscalité, le statut de la fonction publique, etc. Les Français sont divisés, et malheureusement ceux qui tiennent, c’est ce bloc réformiste centriste, qui est social-démocrate d’ailleurs, beaucoup plus que libéral et de l’autre côté, une extrême gauche qui arrive à tenir, grâce au syndicalisme, très implanté dans les grandes entreprises ou dans la fonction publique.
Le ventre mou de la France — les commerçants, les indépendants, les professions libérales… — plus personne n’est là pour les représenter. Ils doivent payer plein pot et de plus en plus. Finalement, avec ce système de répartition et ce système d’assistance, de solidarité, ils se demandent au bout d’un moment, quand ils ont payé presque 50 % d’impôts sur tout ce qu’ils ont gagné, si on cumule le tout en taxes directes et indirectes, ils peuvent se dire : mais à quoi bon ? Est-ce que ce niveau de fiscalité est justifié par des services publics de qualité, par une ambiance convenable, par une envie de travailler dans le pays ? Ils ont l’impression d’être pris dans un étau, dans une mâchoire, avec d’un côté l’immobilisme du macronisme et de l’autre l’extrême gauche. Donc tout cela crée de la frustration et fait que des gens bien intentionnés, productifs et travailleurs vont se retrouver dans la contestation parce qu’il s’agit d’abord d’une crise de régime.
Vous avez parlé des Gilets jaunes qui sont nés principalement d’une colère populaire. Ici, on est plutôt parti d’un mouvement syndical auquel le 49.3 a apporté une contestation parlementaire et des manifestations spontanées qui donnent souvent lieu à des débordements. Pensez-vous que ces trois aspects de la contestation peuvent s’additionner et menacer la présidence d’Emmanuel Macron ?
Les syndicats se mobilisent en effet sur des sujets légaux. Il est rare qu’ils se mobilisent uniquement pour le pouvoir d’achat ou pour le coût de la vie. C’est justement pour cela d’ailleurs qu’ils sont un peu plus dangereux pour le pouvoir que les Gilets jaunes, parce que vous avez une convergence. Les étudiants dans la rue la nuit, et les syndicats le jour, cela rappelle furieusement Mai 68 tout de même, avec une opinion qui, même à droite, n’est peut-être pas du côté des revendications, mais par contre qui est du côté de la détestation du pouvoir. Donc tous ces ingrédients font que la situation peut s’avérer très périlleuse pour Emmanuel Macron qui va devoir essayer de tenir le cap de la fermeté. Mais cela risque d’être compliqué.
Qu’avez-vous pensé de son intervention hier ? Le fait qu’il s’exprime en milieu de journée, à l’heure où les gens qui sont concernés par la réforme des retraites travaillent. Qu’est-ce que cela signifie ? N’est-ce pas une insulte vis-à-vis de ces personnes ?
Je peux vous dire que si j’avais été annonceur de Costa Croisières ou de Comme J’aime, j’aurais placé mes meilleurs spots publicitaires.
Parler durant la pause méridienne, je peux vous dire qu’en tant que travailleur, je n’ai pas pu l’écouter. J’en ai vu des morceaux choisis via les réseaux sociaux et les articles de journaux.
Sur la forme, nous venons d’évoquer ce terme de « smicard » qui est assez vexatoire et peu adapté. J’y ai vu aussi un exercice d’autosatisfaction. Il est normal pour le président de défendre les institutions et la procédure constitutionnelle mais on aurait attendu de sa part un peu moins de condescendance et un peu plus de compréhension avec des annonces un peu plus fortes, une explication un peu plus concrète du texte. On n’a pas eu tout cela. Donc je ne crois pas que cette intervention soit de nature à rassurer les Français, ni même à les apaiser.
Au final, que dit cette crise du système politique français et de son état ? Comment voyez-vous la situation évoluer ?
Je pense que ce système politique français en est au stade terminal. La cinquième République était adaptée pour de grands hommes. Elle a été pensée à la mesure du général de Gaulle. Il n’y a pas de général de Gaulle aujourd’hui, il n’y a même pas de majorité réelle, il n’y a même pas de majorité fédératrice, ni même de sujet fédérateur. On est dans un pays qui est de moins en moins rassemblé, qui est fracturé par de multiples divisions, des divisions ethnoculturelles, des divisions sur tous les sujets. Même sur les questions de géopolitique, il y a des débats très intenses.
La France doit retrouver un idéal commun et une envie de se projeter vers l’avenir. Je ne crois pas que des réformes paramétriques mal concertées, mal pensées, sans dialogue, soient de nature à réunir un peuple aussi troublé. Un peuple qui en plus a la fâcheuse tendance à se rebeller. Alors on peut le regretter parfois, mais en même temps, c’est une donnée, un paramètre à prendre en compte.
D’ailleurs, ce qui est assez amusant, c’est que ce sont ces gens-là qui se revendiquent en permanence de l’esprit révolutionnaire et de la révolution. Mais malheureusement quand Emmanuel Macron parle de la foule, il parle comme Gustave Le Bon, et cela n’est pas trop accessible aux Français. Je pense qu’il se trompe. Il se trompe d’approche. Il peut dénoncer un certain nombre de choses, je les dénonce moi-même : quand on voit les antifas, les black blocs, les anarchistes tout casser en permanence, c’est insupportable pour la majorité de nos compatriotes. Simplement, quand on a renoncé à faire respecter l’ordre, quand on est laxiste sur beaucoup de choses, on le paye. L’absence de force appelle la violence, l’absence de détermination appelle la détermination de l’adversaire.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.
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