ENTRETIEN – Le Général Dominique Trinquand est l’ancien chef de la mission militaire de la délégation française auprès des Nations unies, à New York. Dans un entretien accordé à Epoch Times, il livre son analyse sur le conflit russo-ukrainien, la guerre entre Israël et le Hamas et les élections présidentielles américaines.
Epoch Times – En Ukraine, les affrontements entre les forces russes et ukrainiennes se poursuivent. Le Kremlin poursuit sa campagne de bombardements ; la frappe d’un drone russe a provoqué une coupure de courant dans la région de Dnipro, privant ainsi 40.000 foyers d’électricité. De leur côté, les Forces armées ukrainiennes (FAU) ont selon le ministère français des Armées frappé des objectifs en Crimée, coulant un navire de la flotte russe. Aujourd’hui, qu’en est-il concrètement sur les différents fronts ? Y a-t-il une progression d’un camp ou d’un autre ?
Général Dominique Trinquand – Sur le front terrestre en Ukraine, c’est-à-dire entre le fleuve Dniepr et Kharkiv, il y a un gel de la situation. Cette stabilisation de la situation intervient après l’offensive qui avait été menée par les troupes ukrainiennes durant l’été 2022 et au cours de laquelle elles avaient repris du terrain. Dès lors, la Russie s’était installée en défensive, et pendant l’été 2023, Kiev n’a pas réussi à percer.
Aujourd’hui, il y a des combats sporadiques, parfois importants, mais qui ne permettent pas aux Russes de progresser.
Je rappelle que ce sont surtout des actions russes, l’armée ukrainienne s’est installée en défensive. Cependant, il y a des frappes ukrainiennes, en particulier en Crimée et la flotte russe a été spécifiquement touchée. On peut même dire que sans marine, l’Ukraine a presque réussi à détruire la flotte russe, et cet événement important rend la Crimée presque inutilisable par la Russie.
Sur le flanc nord, c’est-à-dire dans la région de Belgorod, où il y a eu également des attaques. Nous pouvons donc dire que le front terrestre est figé alors que dans la profondeur et sur les ailes, il y a des frappes, qui ne permettent pas une avancée sur le terrain, mais qui sont stratégiquement intéressantes.
Le président du Conseil européen a annoncé ce jeudi que les 27 pays de l’Union européenne se sont mis d’accord pour envoyer à l’Ukraine une aide de 50 milliards d’euros, 33 milliards de prêts et 17 milliards de dons. Est-ce une bonne nouvelle pour Kiev ou est-ce insuffisant ?
C’est une bonne nouvelle pour Kiev. En effet, la somme de 50 milliards d’euros est considérable, et c’est un engagement de l’Union européenne jusqu’en 2027. Autrement dit, pendant les trois années à venir, l’Ukraine sait que l’Union européenne la soutiendra financièrement. Il faut rappeler que cette aide va permettre de payer les fonctionnaires, les écoles et de faire fonctionner l’économie ukrainienne de manière générale.
En revanche sur le plan militaire, ce n’est pas suffisant puisqu’il y a encore beaucoup de demandes de Kiev qui ne sont pas satisfaites.
L’OTAN a lancé la semaine dernière l’entraînement militaire « Steadfast Defender » mobilisant 90.000 soldats. Le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov a qualifié cet entraînement de « menace ». Qu’en pensez-vous ?
Il n’y a pas de menace de l’OTAN. L’organisation se défend, ce n’est pas exactement la même chose. Je rappelle que l’OTAN est une alliance défensive et qu’elle se prépare à se défendre.
De plus, les manœuvres qui se déroulent en ce moment n’ont rien d’anormal. Avant les années 1990, il y en avait tous les deux ans. L’alliance a simplement perdu l’habitude de s’entraîner.
Rappelons également que depuis la chute de l’URSS, l’OTAN n’avait plus tellement de raison d’être. Elle a envoyé des troupes en Afghanistan dans un combat complètement différent.
Là, face à la menace russe, elle est obligée de réapprendre tous les mécanismes qui lui permettent de défendre ses États membres.
Il est aujourd’hui normal que l’OTAN se prépare compte tenu de la menace que présente la Russie après son attaque contre l’Ukraine, et du fait qu’elle soit au contact direct de l’OTAN au Nord, en particulier dans la région de la Finlande et dans les pays baltes.
À Gaza, les combats entre Tsahal et le Hamas continuent. Depuis le début du conflit, 220 soldats israéliens ont été tués. L’État hébreu peut-il éradiquer le Hamas ?
Cela fait maintenant quatre mois que les combats ont commencé. Il est certain qu’Israël n’éradiquera pas le Hamas. Elle peut réduire les capacités de l’organisation terroriste, en particulier en détruisant les tunnels et en tuant un certain nombre de combattants. Le nord de Gaza est occupé depuis le mois d’octobre par Tsahal, mais dans cette zone le Hamas continue à attaquer Tsahal. On peut dire qu’il n’y a pas beaucoup de progrès.
En plus, aucune libération d’otages n’a eu lieu grâce à l’armée israélienne mais seulement à travers une trêve, qui par ailleurs a renforcé l’organisation terroriste, notamment en Cisjordanie.
Par conséquent, je crois que l’objectif que s’était fixé le gouvernement israélien d’éradiquer le Hamas sera difficile à atteindre.
Hier, un porte-parole du ministère des Affaires étrangères qatari annonçait avoir reçu de la part du Hamas « une confirmation positive » à la suite d’une proposition d’une trêve humanitaire préparée à Paris le 28 janvier en présence du chef de la CIA et de représentants qataris, égyptiens et israéliens. Une trêve humanitaire qui pourrait conduire à un accord permettant la libération d’autres otages. La libération de nouveaux otages est-elle possible selon vous ?
La libération de nouveaux otages est possible, mais elle repose sur deux éléments de la négociation. Vous parlez d’une trêve humanitaire ? J’ai cru comprendre que le Hamas voulait un cessez-le-feu permanent. Or, ça, Monsieur Netanyahou n’est pas prêt à l’accepter. Il y a des termes de négociation qui sont assez acceptables, mais politiquement, pour le Premier ministre israélien, cela va être extrêmement compliqué.
Il sait bien qu’il y a des négociations qui continuent pour essayer d’aller vers une trêve et une libération des otages et je pense que le gouvernement provisoire de Benjamin Netanyahou n’est pas prêt à accepter les termes de cette négociation. Ceci pourrait d’ailleurs même amener à une rupture au sein de la coalition, parce que sans trêve, il n’y aura pas de libération des otages.
L’élection présidentielle américaine approche. Plusieurs sondages donnent Donald Trump gagnant face à Joe Biden. Comment voyez-vous le potentiel retour du républicain à la Maison-Blanche, à la fois pour l’Ukraine et la situation au Moyen-Orient ?
Sur l’Ukraine, je crois que Donald Trump sera du genre à engager une négociation avec les Russes et à vouloir geler le conflit. Je crois également que nous avons tort de toujours nous référer à la position de Monsieur Trump alors qu’il était président puisque c’était avant le 24 février 2022, et depuis, beaucoup de choses sont arrivées.
N’oublions pas qu’il est un politicien pragmatique, il saura évaluer en fonction de la situation.
À titre d’exemple, il ne peut plus reprocher aux Européens de ne pas investir suffisamment dans leur défense puisqu’ils le font désormais. Idem pour la sortie de l’OTAN qui est maintenant légalement impossible.
Le Républicain sait aussi que dans ce contexte de grande instabilité internationale, les seuls vrais alliés des Américains, sont les Européens. Au Moyen-Orient, la seule réussite de Monsieur Trump était les accords d’Abraham. Je pense qu’il voudra les sauver. Mais pour cela, il n’a plus qu’une solution : y inclure la Palestine, ce qui n’était pas le cas lorsqu’ils ont été signés.
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