La récente nomination du général H.R. McMaster comme conseiller à la sécurité nationale a été accueillie avec soulagement par les observateurs des deux côtés de l’Atlantique. Le New York Times, The Economist et Le Monde parlent d’un théoricien, d’un penseur stratégique respecté par ses pairs, bref tout le contraire de Michael Flynn, présenté comme un idéologue et un amateur.
Militaire décoré, McMaster est aussi historien, auteur d’un ouvrage remarqué sur les premières années de l’intervention américaine au Vietnam. Les décideurs politiques pensent souvent le monde en termes d’analogies historiques : l’interprétation qu’ils font du passé leur fournit une grille d’analyse qu’ils appliquent aux situations auxquelles ils feront face. Quelles leçons McMaster tire-t-il de l’histoire de la guerre du Vietnam ?
Les erreurs politiques de la guerre au Vietnam
McMaster critique à la fois le Président Johnson et ses conseillers civils, qui ont entraîné le pays dans une guerre qu’il ne pouvait pas gagner à un coût politique acceptable, et les chefs militaires, qui n’ont pas su accomplir leur devoir de conseillers stratégiques.
L’un des thèmes centraux de l’ouvrage est que l’engagement américain a été conçu d’abord pour préserver le soutien politique nécessaire à l’élection et au programme intérieur du Président (la Grande Société) – ce qui exigeait notamment de limiter les dépenses militaires et d’apparaître à la fois ferme et modéré en politique étrangère. La planification militaire se construisit sans réelle référence au contexte vietnamien et en marginalisant les conseillers militaires.
Les décideurs civils ne visaient pas la victoire et ne donnèrent jamais aux militaires les moyens d’accomplir des objectifs clairement définis. Pour McMaster, qui se pose en disciple de Clausewitz, la faute de Johnson est de ne pas avoir défini d’objectifs politiques pour l’intervention militaire au Vietnam, puis d’avoir cherché à mener une guerre à grande échelle sans mobiliser la nation.
On peut supposer que McMaster cherchera à éviter ce genre d’erreur en tant que conseiller à la sécurité nationale. Mais il faut noter que jamais il ne remet en cause le bien-fondé de la présence américaine au Vietnam.
Les limites de la supériorité technologique américaine
Plus récemment, McMaster s’est attaqué aux leçons tirées de la première guerre du Golfe. Dès 1991, des décideurs américains conclurent que l’écrasante victoire américaine était due à la supériorité technologique, renforçant ainsi les arguments des promoteurs de la « révolution dans les affaires militaires », qui croyaient que les guerres du futur seraient faites de victoires éclaires remportées par de petits nombres de forces spéciales hyperconnectées et par des bombes intelligentes. Donald Rumsfeld, secrétaire à la Défense de Bush jusqu’en 2006 et grand architecte de la réponse américaine aux attentats du 11 septembre 2001, était l’un des tenants de cette doctrine.
Mais les campagnes afghanes et irakiennes de la « guerre à la terreur », selon McMaster, montrèrent que Clausewitz était encore d’actualité : penser la guerre exigerait toujours de tenir compte des données humaines, sociales et historiques du terrain, qui garantissent l’incertitude de toute intervention militaire. Jamais la technologie ne dissipera le brouillard de la guerre. Pour McMaster, la « révolution dans les affaires militaires » est une chimère, et le complexe militaro-industriel pervertit la réflexion stratégique en prônant le remplacement de soldats par des artifices technologiques.
Toutefois, si McMaster a critiqué la conduite de ces guerres par l’administration Bush, il ne semble pas vouloir réfléchir à la question fondamentale du choix d’intervenir, et il défend le caractère moral de ces interventions en décrivant les militaires qui y participent comme des « travailleurs humanitaires ».
L’armée, la police de proximité de l’empire
McMaster, comme le secrétaire à la Défense James Mattis et David Petraeus, a contribué à théoriser, puis à appliquer le « surge », cette stratégie de contre-insurrection adoptée par l’administration Bush en 2007, et qui aurait permis aux États-Unis de rétablir un semblant de paix en Irak. Le « surge » correspond effectivement à la vision stratégique de McMaster, où les militaires jouent un rôle politique et social, au plus près de la population dont ils doivent assurer la sécurité pour atteindre un objectif politique, la mise en place d’un régime allié sur les ruines d’un régime ennemi. Un peu comme une police de proximité. Dans un pays étranger. Cela porte un nom : l’empire.
Ce que McMaster décrit comme de l’humanitarisme exigera une présence à très long terme des forces américaines. En campagne, Donald Trump s’est précisément attaqué à ce genre d’entreprises, prenant à partie les néoconservateurs, jugés responsables du désastre irakien. Or, en nommant Mattis et McMaster au sommet de son administration, Trump a mis deux de leurs principaux alliés militaires en position de définir la politique impériale américaine. Reste à savoir comment ils cohabiteront avec les autres familles idéologiques qui peuplent les corridors du pouvoir washingtonien.
Manuel Dorion-Soulié, Doctorant en histoire internationale, Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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