« Ô jeunes gens ! Elus ! Fleurs du monde vivant,
Maîtres du mois d’avril et du soleil levant,
N’écoutez pas ces gens qui disent : soyez sages ![…]
Eux, ridés, épuisés, flétris, édentés, chauves,
Hideux ; l’envie en deuil clignote en leurs yeux fauves.
Oh ! comme je les hais, ces solennels grigous !
Ils composent, avec leur fiel et leurs dégoûts,
Une sagesse pleine et d’ennui et de jeûnes,
Et, faite pour les vieux, osent l’offrir aux jeunes ! »
Extrait du recueil posthume « Océan », de Victor Hugo.
Lors de la passation de pouvoirs présidentiels, puis de la nomination du premier ministre, on aura entendu à maintes reprises, non ce poème de Victor Hugo, mais, l’alexandrin bien connu de Corneille : « la valeur n’attend point le nombre des années ». Certes l’attelage exécutif est inédit d’un point de vue politique, mais d’un point de vue générationnel il est cohérent. On notera d’ailleurs l’incommunicabilité entre un Bernard Cazeneuve fier de partir en DS pour montrer que les vieilles voitures ont tout de même du cachet et un Édouard Philippe qui ne relève pas puisqu’il se déplace le plus souvent à pied dans sa ville du Havre.
Pour une fois, un président de la République française n’accède pas à la fonction suprême à l’âge de la pré-retraite. Emmanuel Macron (à quelques mois près) appartient à la Génération Y.
Il en a certaines caractéristiques majeures qui lui ont été reprochées telles que l’impatiente, l’individualisme (opportunisme ?) ou encore un rapport à l’autorité (des partis ?) différent. En somme, lors de cette dernière élection présidentielle, il n’a pas suivi les codes, et il sembla continuer en nommant son premier ministre.
D’aucuns, parfois flétris, rarement édentés, mais souvent chauves et ridés, lui reprochent déjà son manque d’expérience. À 39 ans on a tout de même au moins une quinzaine d’années d’expérience professionnelle et c’est là qu’Emmanuel Macron marque peut-être un changement de paradigme : c’est lui le Boss maintenant. C’est un jeune qui dirige et les électeurs ont écarté lors des primaires puis de l’élection ses aînés.
Changement total de perspective
C’est un changement, si ce n’est de paradigme, au moins de perspective, car depuis une dizaine d’année, l’on nous explique comment gérer les jeunes générations, notamment les Y, et qu’aujourd’hui, à travers Emmanuel Macron, Édouard Philippe ou hier Mathias Fekl pour la France, mais aussi demain Leo Varadkar en Irlande, ce sont eux qui ont à manager les autres.
Dans l’entreprise, l’on arrive également à ce point charnière où les générations Y sont arrivées à maturité et poussent pour prendre des postes à responsabilité là où des organisations n’ont pas la flexibilité ou l’agilité pour leur donner le pouvoir. On lit parfois dans les préfaces de trentenaires qui publient un mémoire de MBA, leurs patrons de vingt ans leurs aînés, les féliciter du courage qu’ils ont eu de reprendre leurs études, tandis que pour le diplômé, il s’agit simplement de rester connecté avec la réalité et de toujours progresser dans un monde où ne pas avancer c’est prendre du retard.
On note également un fort engouement pour les start-up et l’entrepreneuriat qui sont des formes d’entreprise, au sens large d’aventure. Ces aventures extirpent les salariés du modèle d’évolution par l’ancienneté et donc de l’autorité issue de l’âge plutôt que de la compétence ou des résultats. Un génération Y à qui l’on va demander une lettre manuscrite pour un recrutement saura qu’il n’est pas jugé sur des critères objectifs et que ces pratiques surannées sont le marqueur d’entreprises où sévit certainement une forme de népotisme ou d’arbitraire.
L’autorité ne va plus de soi
Cette probité qui a tant défrayé la chronique durant les élections est un autre marqueur de la génération Y pour laquelle l’autorité dans sa verticalité organisationnelle ne va pas de soi mais se fonde sur un réel pouvoir, c’est-à-dire sur des compétences et du charisme.
Dans l’entreprise, les travers ordinaires et acceptés de directeurs paternalistes qui se permettent des petites réflexions sexistes ou des petits commentaires racistes, pas bien méchants, ne sont plus tolérés par les générations Y qu’ils soient au travail ou dans l’isoloir.
Alors si ces générations prennent le pouvoir, ce que cette élection présidentielle ne fait que mettre au grand jour, il faut certainement que la recherche en sciences de gestion qui s’est jusqu’ici concentrée sur la problématique du comment manager les jeunes, se demande désormais comment manager les vieux… si tant est que les jeunes chercheurs ne puissent s’appliquer les résultats à eux même pour convaincre leurs aînés.
Alexandre Lavissière, Enseignant-chercheur en management, Laboratoire Métis, École de Management de Normandie – UGEI
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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