ENTRETIEN – L’avocat et essayiste Ghislain Benhessa, qui vient de publier On marche sur la tête ! La France, l’UE et les mensonges (éd. L’Artilleur), analyse pour Epoch Times les résultats du second tour des élections législatives et les négociations en cours entre les différents blocs pour essayer de construire une majorité.
Epoch Times : Ghislain Benhessa, le Nouveau Front Populaire a terminé premier en nombre de sièges à l’issue du second tour des élections législatives. Suivent derrière Ensemble et le RN. Quel regard portez-vous sur ces résultats ?
Ghislain Benhessa : Au fond, un tel résultat était assez prévisible. Bien que le RN ait obtenu moins de sièges que prévu dans les sondages, cela fait un certain temps que ces trois « blocs » ont émergé. D’un côté, un bloc de droite polarisé autour du RN, disposant désormais de 143 sièges à l’Assemblée. De l’autre, un bloc de gauche agrégé autour de La France insoumise et son leader Jean-Luc Mélenchon, qui a remporté 180 sièges. Enfin, un bloc central porté par Emmanuel Macron, qui compte aujourd’hui 160 députés. Le fait notable, c’est qu’il n’y a pas d’écart significatif entre eux, si l’on s’en tient au nombre strict de sièges qui les sépare.
En revanche, à lire ces résultats plus en détails, plusieurs faits saillants jaillissent. La défaite – relative – du RN est difficilement contestable. Au soir du premier tour, le parti semblait en passe d’obtenir une majorité absolue. Jordan Bardella était d’ailleurs dans les starting-blocks pour devenir Premier ministre. La défaite du RN apparaît d’autant plus frappante que les élections européennes l’ont consacré premier parti de France, nettement devant les autres.
Toutefois, je ne vous cache pas que j’ai toujours été sceptique à l’idée qu’un tel scénario se produise, avant même le scrutin. Au soir du premier tour, si le bloc central était loin derrière, laissant poindre une lourde défaite du camp présidentiel, il m’a semblé que la gauche, qu’on annonçait affaiblie, résistait bien. L’union, même bâtie en quatrième vitesse, a ses vertus. Surtout, tel qu’il fallait s’y attendre, le front républicain a tourné à plein régime durant l’entre-deux-tours. Les journaux ont sonné le tocsin face au risque de voir l’extrême droite prendre le pouvoir. Et sur le terrain électoral, des désistement massifs se sont opérés, plus de 200 à travers la France, histoire de favoriser n’importe quel candidat plutôt que celui du RN. Tous les partis – ou presque – se sont mis en ordre de bataille avec un seul mot d’ordre : barrer la route à l’extrême droite. Résultat : le RN a perdu son pari, trois blocs structurent l’Assemblée nationale, aucun n’est proche de la majorité absolue. La confusion est à son comble.
Après l’annonce des résultats, le leader insoumis Jean-Luc Mélenchon a déclaré qu’Emmanuel Macron « a le devoir d’appeler le NFP à gouverner ». Qu’en pensez-vous ?
Jean-Luc Mélenchon a eu l’habilité de prendre la parole en premier, aux alentours de 20h10, c’est-à-dire à une heure où n’étaient connus que des résultats partiels qui annonçaient un NFP potentiellement fort de plus de 200 sièges. À ce moment précis, Jean-Luc Mélenchon s’est dit qu’il pouvait dicter le rythme en annonçant immédiatement la victoire du NFP. D’ailleurs, au cours de la soirée électorale, son discours a tourné en boucle sur les chaînes de télévision, comme si tous étaient sommés de se positionner en fonction du chef des Insoumis.
Par ailleurs, Jean-Luc Mélenchon est à la fois un idéologue et un tacticien. Il savait qu’en prenant rapidement la parole, d’autant plus avec son charisme tribunitien – qui tranche avec le personnel politique actuel – il reléguerait tous les autres loin derrière et prendrait la pose du vainqueur. Il a imprimé sa marque, accréditant l’idée d’un triomphe du NFP.
Cela étant, il faut être clair. Formellement, rien n’oblige Emmanuel Macron à nommer un Premier ministre issu du NFP, étant donné que la coalition de gauche ne dispose pas, et de loin, de la majorité absolue. En revanche, les usages politico-constitutionnels existent. Théoriquement, le président devrait se tourner vers la coalition en tête et l’inviter à lui soumettre un nom. Mais vu la situation actuelle, les cartes sont rebattues.
Pour la première fois depuis 1958, nulle coalition n’est en mesure de s’imposer. Nous vivons désormais sous l’égide d’une chambre basse divisée, tributaire de compromis d’appareils. Une sorte de IVe République habillée du costume de la Ve. Tout dépendra des arrangements entre les partis, à coups de renoncements, de compromis, pour ne pas dire de compromissions. En prononçant la dissolution de l’Assemblée nationale, Emmanuel Macron conviait les Français aux urnes pour une grande clarification. Une sorte de catharsis électorale qui purgerait blocages et zones d’ombre.
Voilà qu’au contraire, le chaos s’installe.
Toutes les formations politiques ont entamé des tractations pour tenter de former une majorité à l’Assemblée nationale et de trouver le prochain locataire de Matignon. Les partisans d’Emmanuel Macron souhaitent bâtir une coalition centrale allant des sociaux-démocrates aux LR canal historique. La présidente socialiste de la région Occitanie Carole Delga prône quant à elle une coalition autour du PS, allant des Insoumis qui sont dans une logique « de construction » à une « partie de Renaissance ». Quel est, pour vous, le scénario le plus probable ?
Difficile d’être devin, même si je n’ai pas cru une seconde que le RN ou l’un des autres blocs rafle la majorité absolue.
Par ailleurs, j’observe certaines erreurs qui polluent les débats. Nombre disent que l’Assemblée nationale penche majoritairement à droite, eu égard à la proximité entre les macronistes, LR et le RN. Mais c’est une approche caricaturale.
Certes, les macronistes sont plutôt libéraux sur les questions économiques, mais ils le sont tout autant sur les sujets sociétaux. Ce qu’une partie de la droite n’approuve guère. De son côté, le RN est bien plus critique sur l’Union européenne que les Républicains, d’où le cordon sanitaire dressé par ces derniers. Dans ces conditions, difficile de prétendre que l’Assemblée serait « à droite » à partir du bloc central, sauf à évacuer les « cinquante nuances de droite » susceptibles de rejaillir, sur une cohorte de sujets.
Concernant les coalitions que vous évoquez, je crois davantage à l’hypothèse d’une coalition autour du bloc central qu’à une alliance ayant pour centre de gravité l’aile socialiste du NFP. Même s’ils se sont renforcés, les socialistes restent les supplétifs de LFI. Et Olivier Faure n’a pas le talent de Jean-Luc Mélenchon. De plus, même si Emmanuel Macron est sorti affaibli du premier tour, pris en étau entre le RN et le NFP, il est redevenu le maître des horloges depuis le second tour. Pour preuve, il vient de prolonger Gabriel Attal à Matignon jusqu’au 18 juillet. Sa lettre aux Français s’inscrit dans la même veine : il s’offre du temps avant de désigner un nouveau Premier ministre – en espérant que la gauche s’entre-déchire et qu’en parallèle, une alliance se dessine avec une partie des LR, voire avec certains socialistes hostiles à LFI.
Emmanuel Macron dispose à nouveau d’atouts dans sa manche, en jouant sur « l’arc républicain » qui lui permet d’exclure du domaine de l’acceptable le RN comme LFI. Certes, il ne parviendra que difficilement à constituer une majorité absolue autour de « son » bloc central. En revanche, il peut lorgner sur une majorité relative. Qui lui permettra, in fine, de reconduire le même type de majorité que celle dont il disposait depuis 2022. Avant le premier tour, les Français rêvaient d’un grand coup de balai ; voilà que la macronie perdure et garde la main. Au fond, la situation n’est pas sans rappeler la célèbre phrase du Guépard de Visconti : « Il faut que tout change pour que rien ne change ».
Vous avez dit qu’Emmanuel Macron est redevenu le maître des horloges. Mais que se passerait-il s’il n’arrivait pas à constituer une coalition ? Quelles en seraient les conséquences ? Devrait-il démissionner ?
Vous savez, j’entends dire depuis longtemps que nous vivons dans un régime hyper présidentiel où le Parlement ne servirait à rien. Je pense que c’est à la fois inexact et contre-productif. Les amoureux du régime parlementaire – les mêmes qui reprochaient déjà à de Gaulle son goût pour le référendum et la démocratie directe – oublient les tristes précédents français.
Par deux fois, sous la IIIe puis sous la IVe République, le pays a sombré. À la fois par faiblesse et par médiocrité. Aujourd’hui, si aucune majorité suffisante ne se dégage, si les combines d’appareil s’installent, c’est le même désastre qui nous attend. Vu qu’Emmanuel Macron ne dispose plus, pour un an, de l’arme atomique de la dissolution, il n’est plus en mesure de contrer l’Assemblée, elle-même tributaire d’alliances de circonstance.
Comme le disait de Gaulle : « Le régime des partis, c’est la pagaille ». Concrètement, il appartient à Emmanuel Macron de dénicher une majorité relative, laquelle permettra de mettre sur pied un gouvernement, qui sera probablement contraint de recourir au 49.3 pour imposer sa politique. Soit l’arsenal dont a usé Élisabeth Borne pour imposer la réforme des retraites – au grand dam d’une immense majorité de Français, descendus dans la rue pour manifester leur mécontentement. Évidemment, à l’usage du 49.3 pourront répondre les motions de censure, susceptibles de faire tomber le gouvernement. Et voilà comment l’instabilité peut devenir la règle dans une France potentiellement ingouvernable.
Vous savez, l’une des erreurs majeures est de prétendre qu’il suffirait de copier les voisins. Depuis le second tour, nombre disent que le régime parlementaire est le modèle partout sauf en France, qu’il suffit que nous fassions comme au Royaume-Uni ou en Allemagne. Mais la France n’a pas cette culture du compromis et du contrat de coalition. Nous ne nous asseyons pas à table pour discuter poliment, nous faisons la révolution. D’où, d’ailleurs, la révolte des gilets jaunes qui a fasciné le monde entier.
Enfin, j’aimerais revenir sur un élément fondamental, bien trop passé sous silence. Après sa défaite aux européennes, Emmanuel Macron, qui s’était personnellement engagé dans la campagne, a immédiatement dissout l’Assemblée nationale. Il a décidé de faire du peuple l’arbitre de la crise politique qui couvait. D’aucuns ont vu dans sa décision un geste gaullien : s’en remettre à la décision des Français.
Toutefois, dans l’esprit de nos institutions, l’équation est simple : le chef battu doit partir. C’est ainsi que de Gaulle a quitté le pouvoir suite au référendum manqué de 1969. Qu’en est-il aujourd’hui ? Emmanuel Macron a perdu les européennes, a subi une déroute au premier tour des législatives, et n’a désormais plus la majorité à l’Assemblée nationale. Et pourtant, personne ou presque ne réclame sa démission, y compris dans l’opposition.
Certes, il est loin d’être le premier à se maintenir au pouvoir en étant désavoué. Il serait toutefois bon qu’un jour, un locataire de l’Élysée se souvienne des règles du jeu. Parce que la colère des Français est loin d’être éteinte, sidérés par le jeu politique qu’ils voient se dérouler devant leurs yeux. Si proche et si loin d’eux.
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