« Les gilets jaunes ? Ça a été un déclic »: après un mois de mobilisation, Ludivine, Jeremy et Timoléon, trois jeunes figures des « gilets jaunes » français, ont vu leur vie bouleversée et rêvent aujourd’hui d’un avenir différent.
« J’ai vraiment l’impression d’être à ma place ici », lance à l’AFP Ludivine Hilairet, 21 ans, qui distribue des tracts sur un marché à Caen (ouest), avec neuf autres compagnons. « On organise une assemblée citoyenne ce soir, venez nombreux », annonce-t-elle avec conviction.
Organiser des blocages, communiquer sur leurs événements, motiver les troupes, prendre la parole devant une foule: depuis le début du mouvement de contestation populaire, le 17 novembre, nombre de « gilets jaunes », des citoyens souvent apolitiques et asyndicaux, ont découvert une nouvelle fraternité militante et leur vie a radicalement changé, comme celle de Ludivine, employée dans la restauration rapide.
« Ici, on est acteur, on est sur le devant de la scène. Retourner au boulot, dans nos vies d’avant, ça me paraîtrait insurmontable », confie celle qui a arrêté ses études l’an dernier, « notamment pour des raisons financières ». Après avoir participé à plusieurs blocages de ronds-points et manifesté chaque samedi, elle et ses compagnons se sont tournés, depuis l’affaiblissement du mouvement, vers d’autres types d’action, comme l’organisation de collectes pour les sans domicile fixe.
« Toute cette solidarité qui a émergé du mouvement, il faut en faire quelque chose », poursuit-elle. « Aujourd’hui, je me demande quel métier je peux faire pour maintenir cette fraternité à jour ». À défaut de pouvoir quitter son poste, Ludivine souhaite s’investir « à côté », en mettant en place avec les boulangers de sa ville un réseau de « baguette en attente ». Un système qui permet aux clients d’acheter une baguette, et d’en payer une deuxième pour permettre à quelqu’un dans le besoin de venir la récupérer plus tard.
« Nous sommes beaucoup à remettre en question nos vies professionnelles », témoigne de son côté Jeremy Martin, 28 ans, conducteur de bus à Caen. Jeremy est l’un des modérateurs du groupe Facebook « Les automobilistes de Normandie en colère », qui rassemble une communauté de 52.000 personnes dans la région. Avec ses vidéos live où il dénonce le « manque de pouvoir d’achat » ou la « déconnexion des élites », il est rapidement devenu l’un des visages du mouvement.
« Tout a changé. Aujourd’hui, est-ce que j’ai encore envie d’être chauffeur de bus ? Je veux faire quelque chose d’encore plus utile », affirme-t-il, tout en confiant sa « peur que tout cela s’arrête ». À 30 kilomètres de Caen, Timoléon Cornu, 27 ans, est lui bien décidé à changer de vie. Chauffagiste intérimaire, son contrat n’a pas été reconduit en septembre après une blessure à la cheville. « C’est ce qui m’a poussé à rejoindre le mouvement dès le 17 novembre », explique-t-il.
Sur les blocages, il voit « l’émergence d’une conscience collective ». « Avant, je ne parlais pas de politique. Depuis, ça me passionne », explique celui qui « décortique » tous les matins l’actualité et s’est mis « à lire des textes de loi ». « Il faut changer ce modèle, il faut plus de représentativité du peuple dans les décisions », argue-t-il, mettant notamment en avant l’instauration du Référendum d’initiative citoyenne (RIC), qui est devenu l’une des principales revendications du mouvement.
Pour Timoléon, le mouvement social a avant tout été « un déclic ». « J’ai décidé de reprendre mes études », explique-t-il, déterminé. Son projet: passer son bac et s’inscrire en licence de droit, « pour pouvoir défendre mes concitoyens, c’est ce que j’aime: faire porter la parole des autres », détaille-t-il alors que se profilent en mai les élections européennes. Adhérer à un parti ? « Pas question, je ne veux pas me coller une étiquette. Pour moi, ils sont tous pareils, déconnectés », répond Timoléon. « C’est à nous, le peuple, de créer autre chose ».
D.C avec AFP
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