Gilles-William Goldnadel : « L’exécution provisoire me navre moins pour Marine Le Pen que pour le peuple français qui a le droit de voter pour cette candidate »

Par Julian Herrero
4 avril 2025 17:48 Mis à jour: 4 avril 2025 18:43

ENTRETIEN – L’avocat, président d’Avocats sans frontières et essayiste, auteur de nombreux ouvrages, notamment Journal de guerre, C’est l’Occident qu’on assassine (Fayard, 2024) et Journal d’un prisonnier (Fayard, 2025) Gilles-William Goldnadel revient dans un entretien accordé à Epoch Times sur la condamnation de Marine Le Pen.

Epoch Times : Le 31 mars, Marine Le Pen a été reconnue coupable de détournements de fonds publics et a été condamnée à une peine de quatre ans d’emprisonnement dont deux ferme (avec bracelet électronique), à 100.000 euros d’amende ainsi qu’à une peine d’inéligibilité de cinq ans avec exécution « provisoire ». Quel regard portez-vous sur cette condamnation ?

Gilles-William Goldnadel : En tant que citoyen français et avocat, je suis effaré. Je me doutais bien que les premiers juges iraient dans le sens de la condamnation. Cependant, compte tenu de la manière dont les débats avaient évolué et que j’avais suivis d’assez près, je n’imaginais pas un seul instant que ces derniers prononceraient l’exécution provisoire de l’inéligibilité.

D’ailleurs, je pense que Marine Le Pen elle-même ne le pensait pas. Même si cette décision n’est pas illégale, elle n’en demeure pas moins totalement aberrante.

Il s’agit d’une affaire où il est acquis au débat, y compris par le tribunal, qu’il n’y a pas eu d’enrichissement personnel et qu’il s’agit de la candidate favorite de la prochaine élection présidentielle. Je ne m’y attendais d’autant pas que les exécutions provisoires sont exceptionnelles !

Par ailleurs, les motivations de cette exécution provisoire heurtent complètement mon entendement. Le tribunal a justifié cette décision en disant que Marine Le Pen avait nié farouchement sa culpabilité. Venir lui reprocher de nier les faits qui lui sont reprochés est consubstantiellement illégal et vaudrait une infirmation de la décision. Nier des faits, même de manière effrontée demeure le droit le plus sacré d’un accusé.

Puis, quand le juge avance également l’argument de la possible atteinte à l’ordre public alors que nous sommes ici dans le cadre d’une condamnation en première instance, je n’hésite pas à parler, encore une fois, d’aberration intellectuelle et juridique. Il s’agit d’une offense au double degré de juridiction.

J’ajoute que lorsque vous interjetez appel, ipso facto, vous anéantissez le premier jugement et vous êtes présumé innocent. L’argument du magistrat est donc une négation illicite de la présomption d’innocence de la candidate à la présidence de la République.

Cette décision de justice m’atterre et me navre. Elle me navre moins pour Marine Le Pen que pour le peuple français qui a le droit de voter pour cette candidate.

Mais au fond, je ne devrais pas être accablé. Je me plains régulièrement de la manière dont la justice française est rendue aujourd’hui. Malheureusement, il y a en France un tribunal que je ne nommerai pas, en charge des affaires de presse, au sein duquel il ne fait pas bon de plaider si nous ne sommes pas de gauche.

Quelque 30 % des juges syndiqués sont membres du très à gauche Syndicat de la Magistrature. Ce dernier, ne considérant pas l’impartialité comme une qualité première requise par les juges, a déclaré la guerre au Rassemblement national. D’ailleurs, même des juges qui ne sont pas syndiqués sont peu ou prou dans cet état d’esprit.

Je rappelle qu’en 2019, j’ai fait condamner la présidente du Syndicat de la Magistrature, Françoise Martres, dans l’affaire du « Mur des cons » contre l’avis du parquet ! Ce parquet qui est censé être indivisible et représenter la société.

Il y a trente ans, lorsqu’un client rentrait dans mon bureau, je pouvais l’éclairer sur son avenir judiciaire. Maintenant, j’ai davantage peur que le client en question, puisque je connais mieux que lui le fonctionnement de la justice.

Au-delà de la justice en elle-même, je déplore également l’analyse faite par une certaine presse de ce premier jugement. Ce mercredi, sur France Inter, Patrick Cohen, dans son éditorial intitulé : « Comment transformer des coupables en victimes » a rendu un hommage appuyé aux motivations du juge et piétinait complètement la présomption d’innocence de Marine Le Pen, alors que cette dernière avait interjeté appel. Cet éditorial a été prononcé sur une radio que nous finançons !

Je suis en ce moment assez critique des excès de Donald Trump et Elon Musk, mais l’honnêteté m’oblige à dire, lorsque j’observe la France judiciaire et médiatique, que leur description de l’État profond est juste.

Après avoir été saisie, la Cour d’appel de Paris a indiqué le 1er avril qu’elle « examinera ce dossier dans des délais qui devraient permettre de rendre une décision à l’été 2026 ». L’avocat de Marine Le Pen, Me Rodolphe Bosselut, a parlé sur BFMTV de « désaveu de la première décision ». Parleriez-vous également de désaveu ?

Je n’irais pas jusqu’à parler de désaveu. Je ne sais pas ce que diront les seconds juges, même si j’ai du mal à envisager qu’ils maintiennent l’exécution provisoire, décision qui me pose un sérieux problème.

Cela étant, je parlerais quand même de très grande gêne des juges. Je pense que la saine levée de boucliers provoquée par cette décision les a rendus plus raisonnables.

Par ailleurs, certains affirment que notre indignation devant cette exécution provisoire n’est pas fondée, sous prétexte qu’elle figure dans la loi. Cet argument n’a pas de sens et est inopérant.

Les juges auraient également pu condamner Marine Le Pen à dix ans de prison ferme avec mandat d’arrêt, puisque la loi le prévoit. Ce n’est pas pour autant que nous n’aurions pas eu le droit de nous en indigner !

À l’issue de ce procès en appel, Marine Le Pen serait-elle en mesure de se présenter en 2027 ?

S’il n’y a pas d’exécution provisoire, il ne fait aucun doute qu’elle pourra se présenter à l’élection présidentielle.

Le Rassemblement national organise un meeting ce dimanche 6 avril à Paris, Place Vauban. Un rassemblement qui intervient dans le cadre de l’appel à une « mobilisation populaire et pacifique » lancé par Jordan Bardella. Xavier Bertrand craint une réédition des événements du capitole. Quelle est votre analyse ?

C’est une argumentation indigne. La comparaison avec le 6 janvier 2021 aurait pu être audible si Marine Le Pen avait décidé de se présenter malgré sa condamnation et exigerait d’être élue. Mais là, ce n’est pas du tout le cas. Le Rassemblement national et ses soutiens protestent contre une décision infondée dans le cadre du droit à la manifestation.

C’est quand même extraordinaire d’entendre Xavier Bertrand ou même Jean-Luc Mélenchon critiquer cet événement. Je rappelle que le chef de file des Insoumis a récemment appelé à l’organisation d’une manifestation contre le racisme, alors qu’il incarne lui-même un parti antisémite. LFI a même demandé aux Antifas d’y participer ! C’est indécent.

Selon un sondage Cluster17 pour le Point, 61 % des Français considèrent que la condamnation de Marine Le Pen est « justifiée ». Cela veut-il dire que pour une partie non-négligeable des Français, le RN continue de susciter un rejet ?

Je suis étonné par ce chiffre compte tenu de la décision et des réactions qui ont suivi. Il faut croire que même si Marine Le Pen est créditée de 37 % des intentions de vote selon un dernier sondage, les Français restants lui sont très hostiles et lui contestent même, semble-t-il, le droit d’avoir un jugement impartial.

Pour ma part, même si je n’ai pas la moindre sympathie pour Jean-Luc Mélenchon, je ne préconise pas la dissolution de son parti, et s’il avait été aussi mal traité juridiquement que Marine Le Pen, j’aurais tenu les mêmes propos sur le fond.

Soutenez Epoch Times à partir de 1€

Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?

Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.