Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué et qu’on peut ainsi reporter dans le temps, pour une durée indéterminée, la lutte contre la fraude sociale ?
Dans ses excellents livres « Cartel des fraudes » 1 et 2, publiés en 2020 et 2021, le magistrat Charles Prats, ancien directeur de la Délégation Nationale à la lutte contre la fraude, montrait l’ampleur de la fraude sociale : 5 millions de fraudeurs, 52 milliards d’euros par an, 3,1 millions de centenaires (contre 21.000 pour l’Insee), 50 % de fausses déclarations pour l’AME (l’assurance-maladie des immigrés illégaux), retraites versées à l’étranger à des morts, arrêts-maladie injustifiés, faux licenciements, handicaps surévalués, faveurs accordées à des proches par des employés des caisses, etc.
Le juge Prats explique ces négligences par la connivence entre les syndicalistes, la plupart des journalistes et des responsables politiques
Pour lutter contre ces fraudes, il préconisait d’adopter les moyens appliqués à l’étranger (une carte d’identité biométrique, comme l’est le passeport, remplaçant la carte Vitale) et surtout la mise en place du RNCPS (registre national commun de la protection sociale), le fichier recensant toutes les allocations sociales perçues par chaque allocataire, créé par la loi de finances de la Sécurité sociale de décembre 2006 et toujours pas mis en œuvre.
Cette mise en œuvre est un préalable indispensable à l’accomplissement de la promesse faite par Emmanuel Macron en 2017 d’un « versement social unique remplaçant toutes les allocations », promesse maintenant oubliée.
L’administration n’a commencé qu’en 2012 à mettre en place le fichier RNCPS. Elle l’a limité à l’existence pour un bénéficiaire de certaines catégories d’allocations, sans enregistrer leur montant. Ce qui rendait évidemment ce fichier sans intérêt pratique. Les députés s’en sont offusqués, et ont voté en 2014 l’obligation pour l’administration d’y faire figurer les montants. Leur vote est resté sans effet.
Le juge Prats expliquait ces négligences par la connivence entre les syndicalistes, la plupart des journalistes et des responsables politiques, qui minimisent la fraude sociale, et les juges qui l’absolvent. Cette connivence conforte les réticences de l’administration à combattre la fraude.
L’exemple vient de haut, puisque, d’après Charles Prats, l’ancien conseiller social d’Édouard Philippe et le directeur de cabinet de Jean Castex n’ont pas hésité à tromper, sous serment, une commission parlementaire étudiant la fraude sociale. En juin 2020 une des dernières décisions d’Edouard Philippe a été la suppression de la Délégation nationale à la lutte contre la fraude, remplacée par une « mission » aux pouvoirs fortement réduits.
Un sénateur consciencieux de la Moselle, Jean-Louis Masson, pose chaque année une question écrite au ministre de la Santé sur « la désinvolture regrettable » de l’administration. Il a enfin obtenu le 1er décembre 2022 une réponse publiée au journal officiel.
La voici : « une mission a été confiée à l’Inspection générale des affaires sociales et à l’Inspection générale des finances pour examiner les conditions de mise en œuvre (de l’inclusion des montants dans le fichier). Le rapport intermédiaire (octobre 2015) a confirmé l’intérêt et l’adhésion des organismes à cette intégration …. Les études ont soulevé des difficultés techniques levées par la création … de la Déclaration sociale nominative mensuelle des salaires et du prélèvement à la source … Ce dispositif, aujourd’hui opérationnel, permet la consultation du montant des prestations depuis avril 2020 pour les prestations imposables. Les autres montants seront progressivement consultables dans le fichier RNCPS au fur et à mesure de leur intégration dans le dispositif ».
Une solution serait évidemment de les rendre imposables
Ainsi a-t-il fallu cinq ans pour qu’un rapport confirmant l’intérêt de l’inclusion des montants soit mis en application pour une petite partie des prestations sociales. Car les prestations sociales imposables sont peu nombreuses, essentiellement les pensions de retraites, les rentes d’invalidité non professionnelles, les indemnités-chômage, accidents du travail et maladies professionnelles. Ce qui n’est pas le cas dans les pays nordiques, où la plupart des prestations sociales sont imposables.
Pour les prestations sociales non imposables, aucun délai n’est prévu. On a pu attendre 17 ans. Pourquoi pas plus ?
Une solution serait évidemment de les rendre imposables. Cela ne concernerait pas la plupart des pauvres, puisque 56 % des Français, les moins riches, ne paient pas d’impôt sur le revenu.
Pour les autres 44%, cette imposition supplémentaire permettrait de financer une baisse des taux.
Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué et qu’on peut ainsi reporter dans le temps, pour une durée indéterminée, la lutte contre la fraude sociale.
Article écrit par Alain Mathieu, avec l’aimable autorisation de l’IREF.
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