Le poète et écrivain irlandais Oscar Wilde a plaisanté : « La mode est éphémère. L’art est éternel. En effet, qu’est-ce qu’une mode ? Une mode n’est qu’une forme de laideur si absolument insupportable que nous devons la modifier tous les six mois ! » Il est vrai que les modèles, les tendances et même les créateurs vont et viennent. Il est rare que quelque chose ou quelqu’un devienne une icône durable. Mais certaines modes, semble-t-il, ne s’arrêtent jamais.
La France, universellement connue pour sa luxueuse industrie de la mode (et Paris comme la capitale du chic), peut s’enorgueillir d’avoir trois dames de son histoire – la reine Marie-Antoinette, l’impératrice Joséphine et l’impératrice Eugénie – qui continuent d’inspirer les créateurs, les livres, les films, la télévision, les expositions, les collectionneurs et les amoureux de l’histoire et du style. Ces reines ont lancé les tendances de leur époque et restent des modèles français de mode intemporels. Les portraits qui ont survécu aident le spectateur moderne à comprendre comment le goût de chacune de ces femmes a transcendé les frontières et les époques.
Marie-Antoinette
Marie-Antoinette a été peinte tout au long de sa vie, depuis son enfance dans les palais viennois de sa mère, l’impératrice du Saint-Empire romain germanique, jusqu’à son adolescence à la cour de France en tant que dauphine (épouse de l’héritier du trône de France), et plus tard à l’âge adulte en tant que reine de France. Le peintre qui l’a le mieux représentée est Élisabeth-Louise Vigée Le Brun.
Vigée Le Brun était l’une des artistes les plus talentueuses de la France du XVIIIe siècle et, de fait, l’une des femmes artistes les plus importantes de l’histoire. Lorsque Vigée Le Brun et Marie-Antoinette se sont rencontrées pour la première fois, elles avaient le même âge et ont rapidement développé une étroite amitié. La reine aida l’artiste à être admise à la prestigieuse Académie royale de peinture et de sculpture et, au fil des ans, Vigée Le Brun fut appelée à réaliser 30 portraits de la reine.
L’un de ces portraits, aux couleurs magnifiques et aux détails exquis, est Marie-Antoinette à la rose. Ce tableau représente la reine dans une « robe à la française » en soie bleu-gris, ornée de rubans et de dentelle. Cette robe a probablement été confectionnée par Rose Bertin, la couturière de la reine qui a jeté les bases de la haute couture. Sur la photo, le pouf poudré de la reine laisse apparaître un turban rayé et vaporeux garni de plumes d’autruche. L’image soigneusement élaborée de l’ensemble démontre la royauté de Marie-Antoinette et l’acquisition de la nationalité française.
Ce tableau illustre également l’amour légendaire de Marie-Antoinette pour les bijoux. Dans l’œuvre, elle porte un collier de perles à deux rangs et des bracelets assortis. À cette époque, les perles avaient plus de valeur que les diamants. Un grand pendentif en perles ayant appartenu à Marie-Antoinette, qui était passé par la famille de sa fille, a été vendu chez Sotheby’s en 2018 pour un montant record de 36 millions de dollars. Lors d’une conférence sur Marie-Antoinette à l’école de bijouterie L’ÉCOLE, l’historien du bijou Gislain Aucremanne, a déclaré que le prix de la perle « a révélé une fois de plus l’intérêt et la passion que tout le monde, grand public et collectionneurs intenses, a toujours éprouvés pour Marie-Antoinette ».
La « Chemise à la Reine »
Au Salon de peintures de 1783, à Paris, Elisabeth Vigée Le Brun avait d’abord présenté un Portrait de la Reine en gaulle, nommé Marie Antoinette en robe chemise, c’est-à-dire vêtue d’une robe en chemise de mousseline. Cette robe resta dans la postérité sous le nom de chemise à la Reine. Ainsi habillée et coiffée d’un chapeau de paille, Marie-Antoinette fit scandale ! Cette tenue légère était en effet indigne de son rang, la reine ne pouvant être vue comme une simple femme.
La reine, lassée de porter des robes lourdes et élaborées à la cour, adorait ce nouveau style de robe en mousseline, ceinturée et peu ornée, qui devint le style de prédilection des dames à la mode en France et dans d’autres pays. Comme l’explique Aucremanne dans l’exposé de L’ÉCOLE, au XVIIIe siècle, « tout le monde en Europe vivait à la française ». Cependant, les critiques français se sont offusqués de la ressemblance de la robe avec le sous-vêtement chemise de l’époque.
Devant la controverse il fut aussitôt remplacé par le fameux portrait de Marie-Antoinette à la rose où la reine arbore une robe de cour plus classique.
Cependant, la « robe à la française » est devenue démodée avec la Révolution française, tandis que la popularité de la robe chemise de Marie-Antoinette s’est prolongée jusqu’à l’ère napoléonienne.
Madame Bonaparte
L’impératrice Joséphine, d’origine martiniquaise, grande dame de goût au sein de l’empire de son mari et grande protectrice des arts et de la botanique, a repoussé les limites de la tenue vestimentaire. La cour napoléonienne s’est inspirée symboliquement des dynasties françaises du haut Moyen Âge et de l’Empire romain, en contournant délibérément la monarchie française déchue.
La robe-chemise, semblable à une tunique romaine, était un modèle parfait pour renforcer l’image de Napoléon en tant qu’héritier des empereurs romains. Sous Joséphine, la robe chemise diaphane ne rappelle plus la bergère ou la laitière des contes de fées, comme c’était le cas sous Marie-Antoinette, mais elle est rendue plus transparente avec un décolleté plus bas. Ce type de robe se fermait juste sous le buste et était connu sous le nom de robe style Empire. C’est un style toujours en vogue aujourd’hui.
On peut voir Joséphine ainsi vêtue dans son portrait au palais de la Malmaison par François Gérard. Le public était alors captivé par la tenue que Joséphine porterait ensuite. Carol Woolton, rédactrice en chef du British Vogue, déclare dans un épisode du podcast « If Jewels Could Talk » que Joséphine reste une « inspiration ultime pour ce qui se passe à Paris ».
Le diadème de l’impératrice Bonaparte
Le tableau de Gérard représente l’impératrice coiffée d’un diadème. Joséphine a choisi le diadème comme parure parce qu’il rappelle la Rome antique et que les reines de France précédentes n’en portaient pas. Elle portait des diadèmes bas sur le front, dans un style connu sous le nom de « à la Joséphine ». Ce style est redevenu populaire plus de cent ans plus tard, dans les années folles. Contrairement à Marie-Antoinette, Joséphine portait ses cheveux non poudrés et en boucles souples.
Dans le portrait de Joséphine à la Malmaison, l’impératrice porte précisément un diadème serti de camées. L’engouement de l’époque napoléonienne pour l’art antique de la glyptique – camées (gemmes gravées avec une image en relief) et intailles (gemmes dont le dessin est taillé en creux dans la surface) – a été renforcé par les découvertes archéologiques de l’époque. Deux diadèmes, réputés provenir de la vaste collection de camées et d’intailles de Joséphine, ont été mis en vente chez Sotheby’s en 2021 et vendus pour un montant total de 763.000 dollars.
Impératrice Eugénie
L’impératrice Eugénie, issue de la noblesse espagnole, est l’épouse de l’empereur Napoléon III, neveu de Napoléon Ier et petit-fils de Joséphine. Contrairement à Joséphine, Eugénie est fascinée par Marie-Antoinette et adopte son style, qu’elle adapte au milieu du XIXe siècle. Le portrait intitulé L’impératrice Eugénie de Franz Xaver Winterhalter, peintre réputé pour ses portraits luxuriants de la royauté, rappelle le Marie-Antoinette à la rose de Vigée Le Brun. Eugénie est représentée dans une robe de soie jaune luxueuse et élaborée, ornée de franges, de dentelles, de rubans, de nœuds et de glands, avec une coiffure propulsée et des rangs de perles.
Tout comme Marie-Antoinette et Joséphine, Eugénie a également popularisé de nouveaux styles et de nouvelles marques. L’historienne de l’art Emily Selter, dans The Adventurine, décrit Eugénie comme « l’icône de style de facto de l’époque. Elle changeait de vêtements et de bijoux trois ou quatre fois par jour et portait rarement deux fois la même tenue. Charles Frederick Worth confectionnait ses robes. Louis Vuitton fabriquait ses malles ».
Charles Frederick Worth, un Anglais, était un créateur basé à Paris et considéré comme le père de la haute couture. Eugénie était une mécène passionnée. Grâce à son soutien, Charles Frederick Worth apporta des modifications à la crinoline de rigueur, un jupon rigide porté sous une jupe ample, puis introduisit une nouvelle silhouette radicale qui fit fureur : la tournure.
La broche dite Grand nœud de corsage
Après la chute de Napoléon III, le nouveau gouvernement français (la Troisième République française) a vendu une grande partie des joyaux de la couronne française lors de la « vente aux enchères du siècle ». La raison officielle était qu’il s’agissait d’articles de luxe immoraux dont les recettes seraient utilisées à meilleur escient, mais la véritable raison était que le gouvernement craignait que si les différents prétendants au trône français pouvaient porter ces bijoux chargés de pouvoir culturel et politique, ils constitueraient une menace pour la stabilité du nouveau gouvernement.
Lors de la vente aux enchères, une marque de bijoux américaine, Tiffany’s, a acheté plus des deux tiers des lots. L’une des pièces maîtresses et, en fait, l’un des bijoux les plus célèbres de l’époque, était une grande broche dite Grand nœud de corsage incrustée de diamants qui avait été fabriquée sur mesure en 1855 par François Kramer pour Eugénie. Ce bijou, composé de 2634 diamants, fut acquis en 1887 par la riche Américaine Caroline Astor.
En 2008, le bijou est réapparu aux enchères, cette fois chez Christie’s. Ces dernières années, la France a souhaité se réapproprier son patrimoine culturel. Cette broche a fait l’objet d’une vente privée avec l’association des Amis du Louvre, qui a pu négocier une vente de gré à gré avec Christie’s et acquérir le bijou pour 6,72 M €.
Aujourd’hui, elle est exposée avec d’autres bijoux récupérés au Louvre, où elle fait l’admiration des visiteurs.
Si la reine Marie-Antoinette, l’impératrice Joséphine et l’impératrice Eugénie ont des styles et des histoires qui leur sont propres, elles ont aussi de nombreux points communs. Toutes ont été mariées à des monarques qui ont fini par être destitués. Toutes sont nées à l’étranger et font pourtant partie intégrante de l’histoire et de la culture française. À leur époque, Paris était le centre suprême du luxe, tout comme aujourd’hui, et elles en étaient les cheffes de file de la mode, toujours admirées de nos jours.
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