Grenoble : nouvel épisode d’une ville abandonnée au narcotrafic

Par Ludovic Genin
11 septembre 2024 07:51 Mis à jour: 11 septembre 2024 17:53

Lilian Dejean, agent de propreté âgé de 49 ans, était en service le matin du dimanche 8 septembre au centre ville de Grenoble, lorsqu’il a été atteint de deux balles dans le thorax en tentant d’empêcher l’auteur d’un accident de s’enfuir. Il est décédé peu de temps après. L’homme soupçonné de l’avoir tué était connu de la justice pour vols, violences et trafic de stupéfiants.

Depuis le début d’année, Grenoble a été le théâtre de nombreuses fusillades : 17 épisodes de violence par arme à feu ont été recensés dans la cité alpine, ce qui fait dire au procureur de la République, Éric Vaillant, que nous assistons à une intense « guerre des gangs ».

« C’est une violence inouïe qui s’est abattue sur notre collègue », a lancé le maire écologiste Eric Piolle lors d’un hommage depuis les marches de l’Hôtel de Ville. « Nous n’en pouvons plus de ces armes à feu partout », a-t-il asséné, faisant part de sa « tristesse » et de sa « colère ». « Il y a un enjeu de société qui est posé », a ajouté l’édile, qui refuse pour autant d’armer sa police municipale.

Grenoble, en proie à une « guerre des gangs »

La capitale des Alpes a connu plusieurs accrochages sanglants dans les quartiers sensibles de Saint-Bruno, Berriat ou Teisseire, tous situés en centre-ville. « Une guerre des gangs intense, avec des fusillades quasi-quotidiennes, sévit depuis quelques semaines dans l’agglomération grenobloise », a dénoncé le procureur de la République Éric Vaillant, pour qui désormais la situation est « très comparable » à celle de Marseille, même si les bilans humains sont heureusement moins élevés.

« La violence gratuite et aveugle, la crainte de la balle perdue, des règlements de compte, tout cela doit cesser, dans notre pays où les armes à feu circulent bien trop librement », a déclaré Amandine Demore, maire PCF de la ville d’Échirolles, une commune limitrophe de Grenoble où se sont déroulées ces derniers mois plusieurs fusillades meurtrières.

La dernière fusillade en date, sur fond de narcotrafic, a fait un blessé par balle et remonte à la nuit du 21 au 22 août. Il s’agit du 17e épisode de violence par arme à feu sur le territoire depuis le début de l’année, mais il y a eu une « accélération des faits criminels » depuis une dizaine de jours, reconnaît la préfecture.

Quelque 1150 usagers et 350 trafiquants ont été interpellés en Isère depuis le début de l’année et des CRS ont été déployés pour seconder les agents locaux.

Un sentiment d’abandon de l’État

Si les trafics et les rivalités entre bandes ont toujours existé, « c’est l’usage d’armes qui est nouveau », se désole Amandine Demore. Quatre des attaques les plus récentes se sont déroulées dans cette ville de 36.000 habitants du sud de Grenoble. Certaines ont eu lieu quasiment en face de l’hôtel de ville, dans un immeuble partiellement habité et abritant plusieurs commerces, le « Carrare ».

« Il y a eu des tirs, des coups de feu sur l’agglomération, mais là, d’avoir autant de blessés, ça n’est jamais arrivé », regrette la maire d’Échirolles, décrivant la peur des balles perdues, l’incompréhension et au final le sentiment « d’abandon par l’État » qui gagnent ses administrés.

« Ça se dégrade partout », abonde une Échirolloise sexagénaire rencontrée en ville. Désignant un jeune guetteur ostensiblement campé en pleine rue sur une chaise de bar en plastique au pied du Carrare, elle dit faire surtout « attention à ne pas être suivie » et plus généralement à « ne se mêler de rien pour ne pas avoir d’ennuis ».

« On est obligé de rester humble. On ne peut pas fanfaronner sur un sujet pareil. Il y a tellement d’argent ! », reconnaît le procureur de Grenoble Éric Vaillant. Selon lui, certains points de deal pourraient atteindre un chiffre d’affaires d’environ 35.000 euros par jour. Pas de quoi espérer que la situation s’apaise prochainement.

Le maire de Grenoble refuse d’armer sa police municipale

Le maire écologiste de Grenoble Éric Piolle, pris à partie par certains élus de droite après le meurtre de Lilian Dejean, a vivement défendu sa politique sécuritaire et son refus d’armer les policiers municipaux. « Nous sommes pleinement engagés dans la lutte pour la tranquillité de nos habitants » en coopération avec la police nationale, a-t-il déclaré sur BFMTV, le 10 septembre.

« Éric Piolle est un maire qui n’est pas sécuritaire et autoritaire, il ne parle que de prévention », avait jugé le maire de Nice Christian Estrosi sur RMC. « La mairie de Grenoble refuse que la police municipale soit armée » et « la vidéosurveillance », avait ajouté sur Europe 1 l’ex-ministre Brice Hortefeux, en dénonçant un « aveuglement idéologique ».

Face à ces critiques, l’écologiste a tenu sa ligne : « En tant qu’employeur, je considère qu’armer d’armes à feu notre police municipale, c’est les exposer à la fois à des missions qui ne sont pas les leurs, et à des risques que je ne suis pas prêt à prendre pour eux. »

En matière de sécurité, « il y a un problème évidemment à Grenoble », a-t-il reconnu en évoquant des épisodes de violence « extrêmement chauds, intra-deal » de drogue cet été dans la métropole alpine. « Mais sur les homicides, nous sommes en dessous de la moyenne nationale », a-t-il assuré.

En 2023, il y a eu 15 homicides en Isère, soit 1,17 homicide pour 100.000 habitants, contre 1,5 pour la moyenne nationale, selon des statistiques du ministère de l’Intérieur, qui ne détaille pas par ville.

La France en train de perdre la guerre contre le narcotrafic

En 2023, 450 victimes du narcobanditisme ont été enregistrées en France, soit 57 % de plus qu’en 2022.  Un « niveau historiquement jamais atteint », selon le procureur de la République Nicolas Bessone, qui constatait en décembre 2023 une « très forte augmentation des narco-homicides » en lien avec le trafic de drogue, leur nombre ayant plus que doublé en trois ans.

En 2022, 157 tonnes de substances illicites ont été saisies par les forces de l’ordre, dont 128,6 tonnes de cannabis et 27,7 tonnes de cocaïne. On dénombre environ 4000 points de deal en France, toujours plus florissants et plus violents, représentant un marché parallèle de près de 2,7 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel, selon des chiffres de l’Insee.

Selon le secrétaire national du syndicat Unité SGP Police, Jean-Christophe Couvy, interviewé par Epoch Times, « les experts évaluent à 21.000 le nombre d’emplois à temps plein générés par le trafic de drogue. Et au-delà de ces emplois, il ‘occupe’ 240.000 personnes sur tout le territoire. Le narcotrafic est pratiquement la première entreprise française en termes de revenus et en nombre de personnes employées. C’est démentiel. La plupart des ressources humaines des narcotrafiquants proviennent des quartiers. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’ils les enclavent ».

Lors d’une commission d’enquête au Sénat sur l’impact du narcotrafic en France, en mars 2024, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire a souligné qu’il fallait être « lucides sur la présence massive de multiples drogues partout sur le territoire : tous les territoires sont concernés, les grandes villes comme les territoires ruraux, les grandes métropoles comme les petites communes ». Selon lui, la drogue est une des menaces « qui peuvent déstructurer la société française tout entière », a-t-il précisé.

Des semaines plus tôt, des magistrats marseillais tiraient la sonnette d’alarme face à la puissance du narcotrafic devant une commission d’enquête sénatoriale. « Je crains que nous soyons en train de perdre la guerre contre les trafiquants », avait estimé l’une des magistrates, vice-présidente du tribunal chargée de la coordination de la section sur la Criminalité organisée. « Il ne s’agit pas de faire de défaitisme que de dire que nous sommes en train de perdre la lutte contre le narcobanditisme, et contre la criminalité au sens large, si les moyens ne sont pas à la hauteur des enjeux » avait commenté l’Association française des magistrats instructeurs (Afmi).

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