Colère dans les médias de Rodolphe Saadé : la rédaction du quotidien La Provence a voté vendredi une grève « illimitée » contre la mise à pied de son directeur pour une Une sur Emmanuel Macron à Marseille, et les journalistes de La Tribune cesseront le travail mardi.
La direction de La Provence a jugé cette Une « ambiguë », tandis que le Syndicat national des journalistes a dénoncé des « pressions politiques ». Réunis en assemblée générale à l’appel de l’intersyndicale, les journalistes ont voté à 79%, sur 163 votes exprimés, une grève illimitée, réclamant la « réintégration immédiate » d’Aurélien Viers, à la tête de la rédaction depuis début 2023.
Une motion de défiance envers la direction
La rédaction a également adopté une motion de défiance envers la direction du titre et le groupe WhyNot Media, branche média de CMA CGM, dont le patron, le milliardaire franco-libanais Rodolphe Saadé, multiplie les acquisitions dans le secteur.
En solidarité, la rédaction de La Tribune-La Tribune Dimanche, autre propriété de l’armateur, a dans la foulée voté massivement pour une grève mardi. « L’interventionnisme de Rodolphe Saadé et de sa filiale médias WhyNot Media est inacceptable. Ces pratiques injustifiables laissent présager le pire pour l’ensemble des médias du groupe », a écrit la rédaction dans une motion de défiance.
Après avoir repris le groupe La Provence (quotidiens La Provence et Corse Matin) en 2022, Rodolphe Saadé a pris une participation dans M6, racheté La Tribune et annoncé la semaine dernière le rachat d’Altice Media, maison mère de BFMTV et RMC notamment.
Décisions « scandaleuses »
Pointant les décisions « scandaleuses » prises à La Provence cette fin de semaine, les sociétés des journalistes de la chaîne et de la radio, ainsi que plusieurs syndicats d’Altice Media, ont appelé à un « rassemblement symbolique » sur leur site et dans les rédactions en région lundi à 10h00.
Rodolphe Saadé était lui-même venu mardi tenter de rassurer les représentants du personnel notamment sur sa volonté de ne pas interférer directement dans le travail des rédactions d’Altice Media. « Cet engagement aura duré à peine 48 heures », soulignent ces représentants dans un communiqué.
La crise est partie de l’annonce de la mise à pied de M. Viers pour la Une de jeudi, barrée du titre « Il (Emmanuel Macron, ndlr) est parti et nous, on est toujours là… », reprenant les mots d’un habitant cité en page intérieure. Le titre surplombe une photo montrant deux personnes, de dos, regardant passer une policière en patrouille dans une cité paupérisée de la deuxième ville de France, où Emmanuel Macron était venu par surprise mardi annoncer une opération « place nette XXL », qu’il présentait comme « sans précédent » contre le narcotrafic.
Dans un encart « À nos lecteurs » vendredi en Une, le directeur de la publication, Gabriel d’Harcourt, présente les « plus profondes excuses » du journal pour celle de jeudi, qui a « induit en erreur nos lecteurs ». Elle pouvait « laisser croire que nous donnions complaisamment la parole à des trafiquants de drogue décidés à narguer l’autorité publique, ce qui ne reflète en rien les valeurs et la ligne éditoriale de votre journal », écrit-il.
En pages intérieures, dans un des articles sur les suites de la visite présidentielle, titré « La Castellane, le jour d’après », la citation incriminée était cependant clairement attribuée à un habitant de cette cité gangrenée par la violence du narcotrafic : « C’est drôle, réagit Brahim, hier (mardi) ils ont trouvé tous les moyens nécessaires pour encadrer la visite du président. Il est parti, et nous on est toujours là, dans la même galère ».
« Une ingérence éditoriale inadmissible »
« Le problème vient de la construction de la Une », a déclaré M. d’Harcourt à l’AFP, jugeant celle-ci « ambiguë ». « Le reste du traitement rédactionnel est très bon », a-t-il assuré. « C’est une ingérence éditoriale inadmissible, on ne peut pas laisser passer cela », a réagi auprès de l’AFP Audrey Letellier, déléguée du Syndicat national des journalistes (SNJ), majoritaire, tout en soulignant que la rédaction n’avait jusqu’alors pas reçu de pressions de son propriétaire.
Une autre source au SNJ du journal a dénoncé un « prétexte ». « On sait qu’hier (jeudi) il y a eu des pressions politiques et que Gabriel d’Harcourt a été convoqué à la tour », a dit cette source à l’AFP, en référence au gratte-ciel du siège marseillais de l’armateur CMA CGM. M. d’Harcourt a lui réfuté toute pression.
M. Saadé est souvent présenté comme proche du Président Emanuel Macron, qui s’est à plusieurs reprises rendu au siège de CMA CGM lors de ses visites à Marseille.
Interpellée jeudi par des députés sur le cas de Rodolphe Saadé, la ministre de la Culture Rachida Dati a rappelé qu’« aujourd’hui la loi est très claire : l’intérêt de l’actionnaire ne peut pas compromettre l’indépendance du journaliste ».
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