ENTRETIEN – Guy de La Fortelle est à la tête du média L’investisseur sans costume dans lequel il analyse l’actualité économique et financière. Pour Epoch Times, il revient sur les annonces faites à Davos par Emmanuel Macron sur les eurobonds et la dette publique de la France.
Epoch Times – Au mois de janvier se tenait le Forum économique mondial de Davos. Un sommet international qui a réuni de nombreux chefs d’État et de gouvernement. Emmanuel Macron était présent. Lors de sa prise de parole, il a appelé les Européens à relancer la dette commune européenne pour financer des investissements publics, notamment via l’émission « d’eurobonds », comme lors de la crise sanitaire. Que pensez-vous des annonces du président de la République ?
Guy de La Fortelle – Si on se place dans la perspective d’Emmanuel Macron, nous sommes des économies surendettées qui devront investir des montants astronomiques pour financer la transition énergétique. Cette manière de voir les choses pose un problème parce qu’elle implique un endettement supplémentaire.
On ne peut pas se permettre de rentrer dans des cycles d’endettement pour déployer leur transition verte. S’il voulait vraiment faire ça sérieusement, il faudrait d’abord s’occuper du passif puisque, d’un point de vue capitalistique, il y a énormément de sociétés inefficaces que l’on appelle « entreprises zombies ». C’est le terme utilisé dans les milieux économiques et financiers pour désigner les sociétés qui ne peuvent soutenir leurs intérêts sans s’endetter davantage. Autrement dit, des entreprises qui ne rembourseront jamais leur dette. C’est un phénomène mondialisé.
Vous pouvez trouver ces « entreprises zombies » en Occident, mais aussi en Chine. Sur le continent européen, beaucoup de PME dans le secteur des télécoms sont dans ce cas de figure et elles n’ont jamais été nettoyées. Il faudrait peut-être commencer par s’en occuper et libérer les ressources pour mieux les utiliser.
Pour revenir en détail sur les eurobonds, ils sont très vicieux. L’euro est une monnaie. C’est un mariage à chambre à part et avec séparation de biens. Il y a encore une énorme autonomie des banques centrales nationales. C’est-à-dire qu’on parle toujours de Francfort, de la BCE, mais tous les bilans sont logés banque par banque et par conséquent la première chose, c’est de vouloir faire des eurobonds.
Il y a une forme d’anomalie avec le niveau d’intégration de la zone euro qui n’est pas du tout aussi intégrée qu’on veut nous le faire croire. Quand Emmanuel Macron veut relancer les eurobonds, il essaye de diluer la dette française dans la dette allemande. Mais c’est un vœu pieux et vouloir amplifier les eurobonds c’est mettre la charrue avant les bœufs.
Si vous voulez émettre des eurobonds, vous êtes obligés à la fin d’avoir tout intégré dans un ministère des Finances européen, ce qui n’est absolument pas le cas aujourd’hui. Il n’y a pas d’intégration européenne. Nous l’avons vu récemment avec la mobilisation des agriculteurs.
La présidente de la Banque Centrale Européenne (BCE), Christine Lagarde s’est également rendue à Davos. Au cours d’un entretien à une chaîne de télévision américaine, elle a affirmé que la BCE pourrait baisser ses taux d’intérêt d’ici l’été prochain. Comment voyez-vous la situation ?
Pour être très honnête, Christine Lagarde ne sert à rien, et ce, pour deux raisons.
Premièrement, ce n’est pas la première fois, aux États-Unis, comme en Europe, que vous avez un patron de banque centrale qui n’est pas un spécialiste de l’économie monétaire. Le président de la Fed, Jérôme Powell et la présidente de la BCE, Christine Lagarde sont tous deux avocats.
Deuxièmement, Christine Lagarde est tenue par les États-Unis. Elle ne peut absolument pas baisser les taux tant que l’Amérique ne le fait pas. Si vous regardez, la BCE monte ces taux après les États-Unis parce qu’ils sont obligés, autrement, il y a une fuite des capitaux qui ne peuvent pas suivre. Cela étant, il peut y avoir des scénarios que je n’ai pas vus, mais je serais très étonné que la BCE baisse les taux avant les États-Unis. Ce qui est très vicieux, c’est qu’outre-Atlantique, les hausses de taux ont été compensées par de la création monétaire.
La dette publique de la France s’établissait au troisième trimestre 2023 à 3.000 milliards d’euros, l’équivalent de 112 % du PIB, faisant de nous l’un des pays européens les plus endettés avec l’Espagne, le Portugal, l’Italie et la Grèce. Selon vous, pourquoi la France n’arrive-t-elle pas à inverser la tendance ?
La France a beaucoup plus de dettes que ça. Si vous voulez regarder l’endettement d’une économie, il faut également se pencher sur les dettes privées et les dettes hors bilan. Par exemple aux Pays-Bas, ils ont une dette publique très faible (48,6 % en 2019). Ils étaient dans les critères de Maastricht. Mais ce que vous ne voyez pas, c’est que les Néerlandais ont cette pratique un peu étrange qui est celle, par exemple d’acheter ,une maison à 1 million d’euros ; ils empruntent 1,5, et, avec ce million cinq, ils vont dépenser et donc s’endetter énormément. In fine, vous avez un surendettement des ménages qui compense largement le faible endettement public.
Si vous regardez l’endettement total en France, on a un hors bilan massif : environ 1500 milliards d’euros. C’est assez difficile à cerner parce que le hors bilan inclut toutes les dettes qu’on va devoir payer et qu’on ne compte pas, pour plusieurs raisons : d’abord, il y a les engagements conditionnels et la France apporte ensuite des garanties pour plein de choses.
Par exemple, la SNCF avait une dette colossale qui était dans le hors bilan conditionnel de l’État, et quand nos dirigeants ont voulu transformer la SNCF en société anonyme, ils ont réalisé qu’en cas de transformation, l’entreprise ferait très rapidement faillite. Le gouvernement a donc réintégré 20 milliards d’euros de dettes hors bilan. Ensuite, vous avez une partie qui est irrévocable, celle des régimes spéciaux de la SNCF et de la RATP, qui représentent environ 300 milliards d’euros.
Il y a deux ans, dans une émission de Sud Radio, vous aviez déclaré que « depuis 2017, le fonds d’investissement américain BlackRock rachète massivement notre dette ». Combien de dette française détient-il aujourd’hui ? Qui d’autre détient la dette de la France ?
Aujourd’hui, il faut savoir qu’il y a trois catégories d’acteurs qui détiennent la dette publique française : les Français eux-mêmes, notamment avec les assurances-vie (1900 milliards d’euros) ; les investisseurs étrangers, c’est-à-dire les grands fonds de pension américains, les fonds souverains d’Abou Dhabi, du Qatar ; et la BCE qui en détient 20 %.
Le gestionnaire d’actifs BlackRock possède 7% de la dette publique française, ce qui est très important. Cela fait des années que la société américaine souhaite pénétrer le marché français. Au départ, en 2017, BlackRock voulait capter l’épargne des gros salaires français en mettant un plafond à partir de 10.000 €. Plus récemment, pendant la réforme des retraites, ils ont envoyé des notes à l’Élysée.
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