Son procès a fait entrer la question des méthodes d’entraînement dans le prétoire : l’entraîneur de gymnastique Vincent Pateau, responsable du pôle France de Marseille, saura jeudi si la justice le juge coupable de harcèlement moral envers cinq jeunes sportives.
Le 31 mars dernier, quinze mois de prison avec sursis et une suspension d’entraînement ont été requis contre l’entraîneur de 44 ans, accusé d’avoir installé une « atmosphère de terreur » à l’entraînement par des brimades, remarques sur le poids, moqueries, propos grossiers ou blessants.
« Les méthodes mises en œuvre pour accompagner les athlètes de haut niveau dans un dépassement de soi doivent connaître les limites de la loi », avait lancé la procureure Véronique Fabron dans son réquisitoire.
La libération de la parole dans la gymnastique mondiale s’est engagée depuis la condamnation en 2018 de l’ex-médecin de l’équipe américaine, Larry Nassar, pour avoir agressé sexuellement au moins 265 gymnastes, dont Simone Biles.
Des mots qui « m’ont fait perdre l’estime de moi »
C’est « la recherche de la performance comme but ultime et non comme moyen du bien-être » qui explique l’ « utilisation de moyens nocifs sur le plan physique et mental quelle que soit la bonne volonté qu’on peut avoir », explique à l’AFP Philippe Liotard, anthropologue, spécialiste des vulnérabilités et des violences dans le sport. Selon lui, il existerait « une croyance selon laquelle si on ne maltraite pas les enfants, ils ne peuvent pas être performants ».
« Le plus dur, c’est les mots qui me restent, « T’es une faible, t’es une moins-que-rien ». Ils m’ont fait perdre l’estime de moi », avait témoigné fin mars l’une des plaignantes, Coline, aujourd’hui âgée de 17 ans.
Pour le directeur technique national (DTN) de la Fédération française de gymnastique, Kévinn Rabaud, la violence est aussi venue de « modèles de répétition à outrance jusqu’à la réussite, dans la négation de l’humanité des gymnastes ».
Les jeunes gymnastes les plus vulnérables
La difficulté est alors de placer le curseur. Certaines pratiques sont « analysées comme des violences avec le regard qu’on a aujourd’hui, alors qu’il y a 20 ans ou 30 ans, c’était vu comme normal », estime Violaine Chabardes, responsable de l’accompagnement des victimes de l’association Colosse aux pieds d’argile, avec laquelle travaille la fédération française.
Les jeunes gymnastes sont les plus vulnérables. C’est dans l’ « âge d’or », selon l’expression de Vincent Pateau, entre 7 et 15 ans qu’elles progressent le plus vite. Mais il peut être compliqué de fixer la limite face à des « figures d’autorité » pour des « esprits pas encore tout à fait formés », Kévinn Rabaud.
Joint par l’AFP, Vincent Pateau, l’entraîneur au centre de cette affaire, pointe les effets néfastes de la recherche de la performance et de la pression de l’entourage : il explique ainsi que voir « une gymnaste qui pleure tous les matins » a pu devenir « routinier et normal pour tout le monde ».
Des phénomènes d’emprise peuvent conduire des victimes à garder le silence.
« On se fait piéger parce qu’il y a des échéances compétitives, des évaluations de structures, par des parents « , plaide-t-il, évoquant une responsabilité collective. Moins d’une dizaine de cas — du harcèlement verbal pour la plupart, des violences sexuelles dans deux affaires — sont parvenus à la fédération française. Mais dans un sport dit « à maturité précoce », des phénomènes d’emprise peuvent conduire des victimes à garder le silence.
La « culture de l’obéissance, de l’ordre, de la discipline » développerait également l’ « idée qu’il faut en passer par là, serrer les dents, que c’est l’apprentissage du métier », estime Philippe Liotard.
La fédération s’occupe « avec la plus grande fermeté tous les cas de violences qui lui sont signalés », assure Kévinn Rabaud, qui reconnaît un travail « en cours » qui « demande à être amplifié ». Elle se porte systématiquement partie civile dans les procès intentés par des gymnastes, et aborde la relation entraîneur-entraîné dans ses formations.
« Notre priorité est d’avoir des gymnastes épanouis »
Pour Vincent Pateau, « c’est sur les entraîneurs de club qu’il faut mettre des moyens ». Il prône également un suivi psychologique de tous les entraîneurs et une évaluation de la « motivation réelle de l’enfant à faire du haut niveau ».
À l’image de la fédération américaine, qui s’est lancée dans une « transformation culturelle » pour prouver que le bien-être n’est « pas incompatible » avec l’excellence, la fédération française prône une nouvelle culture de la gymnastique. « Notre priorité est d’avoir des gymnastes épanouis », explique le DTN, par un enseignement « moins dirigé, moins autoritaire », « peut-être un peu plus long » mais « plus efficace ».
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