Habiter la terre différemment

novembre 15, 2016 4:32, Last Updated: novembre 15, 2016 4:32
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Lors de mon passage en Bretagne, en plein pays bigouden, j’ai découvert les kerterres, sortes de petites maisons de hobbits (ou plutôt de korrigans, créatures légendaires bretonnes). Inventées par Évelyne Adam, ces maisons-sculptures toutes rondes – ou ovales – nous amènent dans un monde féérique où une autre manière de vivre est possible, en harmonie avec la nature.

« L’idée de base, c’était de construire moins cher pour les générations qui arrivent, et moins cher pour la terre, c’est-à-dire moins d’arbres et moins de matériaux », remarque Mme Adam. Il y a 20 ans, elle était professeure de piano et ne pensait pas qu’elle savait faire des maisons. Elle avait fait construire une maison au toit de chaume sur cette terre, en gérant un peu les travaux.

Puis, elle a eu l’idée de mélanger la longue fibre de chanvre qu’on lui avait donnée avec de la chaux et elle en a fait sa première kerterre, toute petite. Même si les formes rondes traditionnelles de l’igloo et des huttes africaines existaient déjà, elle n’avait vu nulle part cette technique qui s’est avérée très solide bien qu’elle n’ait aucune armature. En effet, cette première maison féérique – appelée maintenant Mémé Kerterre – est là pour le prouver depuis 19 ans. Elle a carbonaté, devenant dure comme de la pierre.

L’intérieur de la kerterre d’Évelyne Adam (Nathalie Dieul/Epoch Times)

Ayant trouvé la technique intéressante, elle en a construit deux en argile, un matériau encore moins cher que la chaux. Mais, finalement, elle est revenue au chanvre et chaux qu’elle préfère. « L’argile est beaucoup plus fragile. S’il y a une fuite, c’est dangereux puisqu’il n’y a pas de structure. Alors que chanvre et chaux, s’il y a une fuite, ça ne bouge pas. »

C’est le début d’une aventure qui l’amènera bien plus loin qu’elle n’aurait jamais pu imaginer : Évelyne Adam vit maintenant à l’année dans sa kerterre et elle gagne sa vie en donnant des formations pour enseigner comment en fabriquer. À 57 ans – l’âge où elle devrait normalement tricoter dans son coin, selon son expression –, le fait de vivre et dormir près de la terre lui donne une énergie contagieuse. Lors des stages qui ont eu lieu dans toute la France, une cinquantaine de ces maisons-sculptures ont été réalisées, et chacun des participants a pu par la suite en construire d’autres à sa guise.

Construction

Imaginez bâtir votre propre maison vous-même, une maison qui ne génère aucun déchet à la construction, avec des matériaux locaux. Et pour couronner le tout, le prix de revient des matériaux pour les murs et les toits est seulement de 400 à 500 euros (580 à 780 $ CA) ! Il faut évidemment ajouter le coût des huisseries. Le prix varie légèrement en fonction de la grandeur et selon l’épaisseur des murs.

Cheminée d’argile modelée en une journée. (Nathalie Dieul/Epoch Times)

La structure d’une kerterre peut être réalisée par 10 personnes en seulement cinq jours. Soit vous participez à un stage pour apprendre la technique, soit vous recevez un stage chez vous. Dans ce cas, vous payez juste les matériaux et mettez à disposition des stagiaires un terrain pour camper ou un endroit pour les héberger, un lieu pour cuisiner et un accès à une douche et à des toilettes. Une fois la structure réalisée, il reste encore quelques jours de travail pour les finitions intérieures et extérieures. L’isolation du sol est réalisée avec une couche de chanvre en vrac, puis une couche de fougère recouverte d’un tapis.

Environnement

« Ce n’est pas cher pour l’humain, mais ce n’est pas cher pour la terre non plus, parce que pour pouvoir faire des poutres de bois, il faut attendre de 20 à 30 ans, alors que pour faire du chanvre il faut un an. Et on peut refaire du chanvre tous les ans, donc ça demande moins à la terre », souligne celle qui a décidé de développer ce projet pour la planète.

Au-delà de la construction d’une maison zéro déchet, c’est tout un mode de vie respectueux de l’environnement que propose Mme Adam. Par exemple, en une journée, elle a modelé une belle cheminée toute ronde avec de l’argile. En creusant la terre pour y prendre l’argile, elle a fait une marre, ce qui a créé un biotope. Elle ramasse du bois mort pour faire le feu qui chauffe sa maison. « Tout ça ne coûte rien, ni à la terre ni à moi. »

Jardin-jungle

Dans la même lignée, l’inventrice des kerterres a développé la théorie du jardin-jungle qu’elle met en pratique sur sa terre où une douzaine de ces petites maisons-sculptures se fondent dans le paysage. Le concept du jardin-jungle va encore plus loin que celui de la permaculture. Il n’exige pratiquement aucun travail, surtout aucun désherbage ni arrosage.

Le jardin-jungle d’Évelyne Adam (Nathalie Dieul/Epoch Times)

À l’ombre des grands cyprès, il n’y avait que du sable dans cet ancien champ de carottes. On avait dit à Mme Adam que rien n’y pousserait. Elle y a amené des feuilles mortes, de la consoude qui pousse en permanence et dont elle donne les feuilles à son jardin. Cela a créé de l’humus et, aujourd’hui, elle a une terre d’une richesse remarquable sur laquelle poussent des légumes impressionnants, comme cette courgette d’une soixantaine de centimètres qu’elle cueille devant mes yeux.

Sa théorie veut que lorsqu’il y a un envahisseur, non seulement il ne faut pas l’enlever, mais encore rapporter des graines de cet envahisseur, « parce que si la terre le fait, c’est qu’elle en a besoin ». Ainsi, le jardin-jungle a successivement été envahi de chiendent, de prêle puis de liseron. Aujourd’hui, il n’y a plus d’herbe, mais des arbres fruitiers qui croulent sous les fruits et une végétation luxuriante qui pousse toujours plus haut et donne de bons gros légumes en quantité.

Ce n’est pas cher pour l’humain, mais ce n’est pas cher pour la terre non plus.

– Évelyne Adam, inventrice des kerterres

Vivre dans une kerterre

Il peut sembler difficile de vivre toute l’année dans une si petite maison dans le climat humide de la Bretagne. Au contraire, Évelyne Adam y est heureuse depuis sept ans, se sentant plutôt privilégiée. « J’ai l’abondance d’eau, j’ai l’abondance de chaleur », soutient la lumineuse quinquagénaire qui apprécie le fait de n’avoir que très peu de ménage à faire.

(Nathalie Dieul/Epoch Times)

Ce qu’elle aime le plus de sa vie en kerterre ? « Je crois que j’aime tout ! », dit-elle en riant. Mais c’est surtout dormir près de la terre. « On peut le comprendre seulement quand on le vit, mais dormir toutes les nuits avec la planète, avec ma grosse copine planète, c’est trop bien », assure-t-elle joyeusement. Ici, même les deux poules ont leur propre mini-kerterre et préfèrent dormir sur le sol que dans le pondoir.

Il y a aussi les petits plaisirs poétiques du quotidien : avoir son feu dans sa cheminée d’argile toute ronde, faire chanter l’eau de son bassin intérieur, en la mettant dans une poterie qui filtre l’eau.

Lors des fameuses tempêtes bretonnes de grand vent et de pluie, la kerterre de l’ancienne professeure de piano ne prend pas l’eau. Le vent, qui peut parfois atteindre jusqu’à 150 km/h, ne fait pas peur lorsqu’on habite dans une kerterre. « Le vent passe et c’est beaucoup moins susceptible de s’écrouler [qu’une maison conventionnelle]. Une fois qu’on a obtenu la clé de voûte, on a la solidité. C’est beaucoup plus solide que des murs droits. »

 

Même si elle vit une vie simple, Évelyne Adam assure que ce n’est pas un retour en arrière, mais plutôt une marche en avant. Elle apprécie certains aspects de la technologie qu’elle utilise plus raisonnablement que d’autres personnes. Un panneau solaire lui permet par exemple de s’éclairer, de brancher son ordinateur et de regarder un film le soir. « On parle beaucoup de sobriété, de faire attention, de faire moins. L’humain n’aime pas ça, il ne reculera pas. On est fait pour aller toujours plus loin. Je parle de marche vers l’abondance », souligne-t-elle.

Des étagères dans une kerterre (Nathalie Dieul/Epoch Times)

L’avenir des kerterres

Évelyne Adam imagine des kerterres un peu partout sur la planète, dans les pays défavorisés, les endroits susceptibles d’avoir des tremblements de terre (elle pense que sa structure en dôme devrait bien y résister), mais aussi pour les sans-abri. Avec son équipe, elle a proposé d’enseigner la technique aux migrants qui arrivent en grand nombre en Europe, sans succès à cause de décisions politiques. Elle est pourtant certaine que les migrants en feraient des merveilles.

Au Québec, la construction d’une première kerterre a commencé à la fin août 2015. Une autre spécialiste des kerterres, Alexandra Burri, s’est déplacée spécialement au Québec pour y donner cette formation à Frelighsburg. Elle a essayé d’adapter le concept au climat nordique en y ajoutant du bois et un toit. Elle n’a toutefois pas pu me renseigner sur l’avancement des travaux de finition après son départ, et la personne ressource au Québec n’a pas donné suite à ma demande de renseignement. Il serait pourtant intéressant de savoir comment cette kerterre avait vécu son premier hiver québécois.

Mme Adam imagine aussi plusieurs dômes collés les uns aux autres, dont un grand dôme salle de bain, pour en faire de vraies maisons. Elle a commencé à construire une kerterre beaucoup plus grande, déjà elle voit que ça fonctionnera.     « Ce sont les prémices. J’appelle ça la préhistoire de la nouvelle histoire. C’est préhistorique, mais c’est déjà joli. Parce qu’il faut une nouvelle histoire, on le sait bien, il faut habiter la terre différemment », conclut la passionnée.

Pour essayer une kerterre, il est possible de louer la kerbulle pour 45 euros (65 $ CA) (Nathalie Dieul/Epoch Times)

Pour en savoir davantage : www.kerterre.org

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