Alors que l’attaque du Hamas sur Israël entraîne des manifestations dans le pays, il est important de comprendre l’influence des Frères musulmans dans le Hamas et l’islamisme dont ils sont issus et leur manipulation dans les pays occidentaux. Pour mieux comprendre, le terreau des troubles au sein du monde musulman, Florence Bergeaud-Blackler, docteur en anthropologie, chargée de recherche au CNRS et spécialiste de l’islamisme, a répondu à nos questions.
EPOCH TIMES: Tout d’abord, qu’est-ce qui vous a poussé à écrire le livre « Le Frérisme et ses réseaux, l’enquête » ?
FLORENCE BERGEAUD-BLACKLER: C’est un livre que j’ai écrit à l’issue de 30 ans de recherche sur les normativités islamiques en Europe et en particulier en France. C’est la suite d’un ouvrage précédent qui s’appelait « Le marché halal ou l’invention d’une tradition » qui parlait de la globalisation et de l’extension de la norme halal fondamentaliste dans le monde. Naturellement, j’ai été conduite à m’intéresser à l’idéologie que les Frères musulmans avaient transmise à presque quatre générations issues de l’immigration maghrébine et turque en Europe et en France.
Qu’entendez-vous par le Frérisme ?
Qu’est-ce que j’entends par le Frérisme? L’idéologie produite par deux branches de l’islamisme qui se sont rencontrées dans les années 1960 sur les campus européens et américain et se sont proposés une nouvelle mission, la prédication (da-wah) dans les pays occidentaux. Un certain nombre de travaux dont celui de Vidino aux États-Unis ou de Egyptson en Suède concernent les institutions de la confrérie. Pour ma part je me suis intéressée à l’histoire des idées, c’est un peu comme étudier le communisme en tant qu’idéologie diffuse dans la société.
Mon livre retrace l’histoire des idées de ce mouvement, levé à la fois par la branche arabe issue de la confrérie des Frères musulmans et la branche indo-pakistanaise issue de la Jamaat-i-Islami de Maududi. La synthèse de ces deux courants a été rendue possible par Saïd Ramadan, le père de Tariq Ramadan et de Hani Ramadan, qui à l’époque dirigeait l’Institut islamique de Genève. La branche missionnaire est issue d’une scission parmi les étudiants réfugiés, chassés par les autorités de leur pays d’origine en raison de leur militantisme guerrier.
Il y avait d’un côté ceux qui disent qu’il faut mener le combat en pays musulman, les qutbistes, qui considèraient qu’on ne peut pas vivre comme musulman dans une société mécréante. De l’autre, ceux qui disaient, au contraire, qu’il faut rester en Occident et travailler à éduquer les jeunes musulmans sur les terres non-musulmanes afin qu’ils propagent l’islam, conformément à la prophétie califale.
Ces derniers sont restés et ont adopté une stratégie différente de celle élaborée dans les pays d’origine. Le frérisme est cette mission prosélyte adaptée aux pays à minorité musulmane, il contourne le politique pour passer par l’économie, la culture, le droit. Ils islamisent par le haut et non par le bas, par l’intermédiaire des les élites. Ce qui les intéresse, ce n’est pas d’avoir une base électorale – puisqu’ils ne sont pas dans le jeu politique, c’est d’influencer les influenceurs comme les stars du rap ou du foot.
Vous écrivez que c’est un mouvement intellectuel qui organise des activités dès le plus jeune âge, puis dans les lycées et dans les universités et qui se fait par imprégnation, par reprogrammation des individus dans leur propre milieu.
La confrérie des Frères musulman comme la Jamaat-i-Islami ont des procédures de recrutement très réfléchies et très progressives. Elles visent l’endoctrinement de l’individu dans son milieu, de sorte qu’il imprègne son entourage. C’est la différence avec les mouvements sectaires, on ne retire pas l’individu de son milieu, au contraire, on le reprogramme dans son milieu.
Les Frères agissent aussi par entrisme et infiltration, ils placent un élément frériste dans un milieu, soit au contraire, ils influencent un élément existant dans un milieu, une entreprise, un métier, une association, un club de sport, et le frérisent. Cette méthode progressive a deux vertus, habituer l’individu mais aussi accoutumer l’espace dans lequel il vit, à sa vision de l’islam : le halal et le voile obligatoires, la nécessité de vivre l’islam intégralement etc.
C’est là que les Frères musulmans européens sont en rupture, d’une certaine manière, avec les Frères musulmans des pays musulmans qui sont beaucoup plus frontaux, qui appellent à la guerre, au soulèvement, à la révolution. Les Frères européens ne procèdent pas comme ça, ils procèdent par infiltration, par entrisme, par séduction, par le marché, par la culture, avec des intentions et un plan, qu’ils dissimulent. Ils habillent leur rhétorique des mots du multiculturalisme, de la paix, etc. ces choses qui endorment les Européens pour parvenir à leur projet. Car il faut parler de leur plan : ériger la société islamique, accomplir le califat, pas le califat de Raqqa, mais la société islamique moderne. C’est, si vous voulez, l’Occident ré-islamisé. C’est ce que les Frères appellent la ré-islamisation de la modernité.
Le Frérisme, c’est un système d’action, ce n’est pas un courant théologique ou une école juridique, c’est un système tourné vers la mission. Il faut inviter tous les musulmans à se rassembler. Ils ne doivent jamais se diviser, qu’ils soient réformistes libéraux, littéralistes, jihadistes, il faut amener tout le monde vers l’accomplissement du plan.
Le Frérisme se caractérise par 3 dimensions: la Vision, l’Identité et le Plan (VIP). Il faut inculquer chez le jeune enfant une vision du passé glorieux et d’un futur tout aussi glorieux, qui est l’accomplissement de la prophétie. Il faut ensuite que l’identité musulmane soit première par rapport aux appartenances nationales, régionales, etc. On est d’abord musulmans avant d’être un Européen, avant d’être un Français, avant d’être un Breton, etc. Et la troisième dimension, c’est qu’il faut suivre le programme, il faut suivre le plan parce que Dieu a prévu un plan pour les hommes. Ça n’est pas de la conspiration, c’est l’accomplissement du « Plan de Dieu », une idée que toutes les religions monothéistes comprennent.
Est-ce qu’on est dans le schéma d’une guerre totale qui inclut une atteinte à l’intégrité physique et une subversion des esprits ?
C’est un projet civilisationnel, c’est un projet théocratique qui s’oppose à la démocratie. Je tiens à dire que le projet des Frères musulmans est un projet islamiste, donc politico-religieux, qui doit être distingué de l’islam. Il y a des musulmans qui ne sont pas islamistes, il faut le rappeler, et heureusement ils sont encore les plus nombreux. Mais c’est vrai que l’idéologie frériste est en train d’infuser dans la société, pas seulement auprès des musulmans, mais aussi auprès de certaines franges de gauche anticapitalistes, qui se disent d’une certaine manière : « Les Frères, pourquoi pas ? Ils ont un projet, ils sont contre la radicalisation, ils veulent participer au bien-être de la société, ils combattent les américains et le capitalisme (ce qui est faux), ils sont contre les discriminations, ça peut être intéressant aussi pour nous, même si on n’est pas musulmans, même si on n’a pas l’intention de l’être, c’est quelque chose d’acceptable. »
Or, c’est là que les Frères ont été duplices. Car eux savent que leur projet est absolument incompatible avec la société démocratique qu’ils sont dans une stratégie d’alliance provisoire avec les gauchistes. Les théocrates ne peuvent pas vivre dans une société démocratique et inversement.
C’est un projet qui malheureusement est en train de déliter la société, de la démoraliser. Il est aidé en cela par le wokisme. Cette idéologie mondialiste, multiculturaliste, décoloniale qui refuse tout ancrage, est déconstructrice et destructrice et se sert du discours islamiste pour abonder son discours décolonial et inclusif. Cet islamisme, lui, a des arrière-pensées beaucoup plus claire que l’on peut lire dans les documents des Frères.
Si, par exemple, vous lisez le document « La stratégie de l’action culturelle islamique en Occident » – adopté par l’Organisation de la coopération islamique et rédigé par l’ISESCO (Organisation islamique pour l’éducation, les sciences et la culture, ndr), il a été rédigé par les Frères musulmans français à Château-Chinon en France, dès les années 1990. C’est un plan sur 30 à 40 ans, pour mettre en place des structures et des stratégies visant à retirer les musulmans de l’espace commun, à faire en sorte qu’ils soient éduqués dans l’espace du halal, qu’ils ne s’assimilent jamais, qu’ils rejettent la laïcité et toutes les valeurs démocratiques qui ne seraient pas placées dans l’espace musulman sous la loi de la Charia.
Le géopolitologue Alexandre Del Valle a fait des études sur le développement des différents courants religieux islamistes au Moyen-Orient et les gouvernements d’aspiration marxistes communistes, en se rendant compte qu’il y avait une profonde corrélation entre les deux dans leur développement au Moyen-Orient. Est-ce qu’il y a une relation qu’on peut établir, selon vous ?
La relation se trouve surtout du côté des islamo-gauchistes qui ont une conception de l’islam qui relève d’une espèce de théologie de la libération, destinée finalement à instaurer une forme de démocratie islamique, un peu comme les démocrates chrétiens. Ça, c’est vraiment la vision islamogauchiste. Pour eux, la religion reste quand même l’opium du peuple. Si vous prenez quelqu’un comme François Burgat, par exemple, il vous dira que l’islam n’est qu’un prétexte, une reformulation des termes endogènes ou indigènes de la politique qui conduit vers la démocratie. C’est un allié très utile pour les Frères car cette fable fait diversion, endort l’opinion publique et les élus qui veulent être rassurés.
Pendant très longtemps, on a diffusé l’idée, dans les universités aux États-Unis et en Europe, selon laquelle tous ces mouvements islamistes étaient des mouvements de sécularisation. C’est absurde. Mais on ne veut pas écouter les Frères musulmans quand ils expliquent qu’ils ne veulent pas de la sécularisation, car on n’a pas de solution face à un ennemi qui veut votre disparition alors que vous ne voulez pas la guerre. Ce que le frérisme veut, c’est l’application de la loi de Dieu dans tous les domaines privés et publics. Dieu a tout prévu pour l’homme – c’est ce qu’explique Maududi, l’islam est un système nécessaire et suffisant. Donc si vous adoptez un trait de l’islam, vous devez adopter les autres très naturellement puisque tout est bien agencé et donc vous n’avez pas besoin d’autres choses, de ce qui est en dehors de l’islam.
Si ces militants islamo-gauchistes avaient lu correctement ce que les Frères ont écrit dans des centaines de livres, peut-être qu’ils n’auraient pas suivi ce chemin marxiste ou post-marxiste. Mais hélas les gauchistes ne prennent pas les islamistes au sérieux.
Un sondage Elabe, paru récemment, indique que 68% des Français pensent que le conflit, suite aux attaques du Hamas contre Israël, va s’étendre en France. Qu’est-ce que vous en pensez ?
Le conflit israélo-arabe a toujours été l’objet d’un surinvestissement de beaucoup de causes politiques dans plusieurs pays du monde. C’est au départ un conflit territorial, puis il s’est islamisé à peu près dans les années 1920 avec le mufti de Jérusalem, puis il est redevenu une cause panarabiste décoloniale après la création d’Israël en 1948, pour ensuite se réislamiser après les années 1980 quand l’Iran a instauré une République islamique et que les groupes islamistes soutenus par la CIA à l’époque contre l’URSS se sont sentis pousser des ailes.
Ce conflit israélo-palestinien est aujourd’hui plus que jamais l’abcès de fixation qui sert à réunir l’Umma. Il coalise les musulmans contre l’ennemi commun le mécréant et en particulier le pire d’entre eux à leurs yeux, le juif. Dans les familles maghrébines et turques, il y a un antisémitisme latent, parce que ce sont des familles qui ont accès aux chaînes des pays d’origine qui maintiennent cette forme d’antisémitisme qui se drape derrière l’antisionisme. Oter la terre des Israéliens en criant dans les manifestations « Dieu est le plus grand », « de la mer au Jourdain, la Palestine sera libre », c’est vouloir l’éradication des juifs au nom de l’islam.
On ne peut pas mettre les protagonistes Hamas/Israël au même niveau puisqu’il y a une agression terroriste d’un parti terroriste d’un côté, alors qu’il y a une réponse guerrière légitime d’un État de l’autre. Les Israéliens, les démocraties en général, font la guerre mais elles évitent de tuer les victimes, qui sont surtout des victimes collatérales. Du côté du Hamas, on viole, décapite, brûle puis on danse autour des corps violés et mutilés d’enfants, on publie les vidéos sur Internet pour en faire profiter tout le monde, horrifier les uns, réjoui les autres. C’est ça qui fait la différence, presque civilisationnelle, entre les deux parties.
Est-ce qu’on peut dire que les Frères musulmans sont institutionnalisés dans la société française et si oui, à quel point ? Cela représente quelles organisations et combien de personnes ?
Les Frères musulmans sont une confrérie secrète, ils ne donnent pas leur nombre. Mais on peut dire qu’ils sont organisés en deux cercles. Il y a un premier cercle qui rassemble les membres assermentés, qui correspond peut-être à quelques milliers de personnes selon les ex-membres de la confrérie- les chiffres exacts ne sont pas connus. Puis il y a un cercle beaucoup plus large d’affiliés, qui eux travaillent pour la confrérie dans tout l’espace associatif que les Frères ont maillé au fil des 40 dernières années.
Ce maillage patient s’est fait presque sans qu’on le voie, sans qu’on réagisse, parce que les Frères l’ont fait très habilement. Je me souviens quand j’ai commencé à travailler il y a 30 ans auprès de cercles islamo-chrétiens, on voyait que les étudiants des Frères musulmans discutaient de paix, parlaient d’ouverture, etc. avec des curés et des prêtres. C’était pour leur emprunter leur langage, pour comprendre le fonctionnement du religieux dans une société laïque. Ils ont emprunté ces éléments de langage tout en gardant leur plan. En face d’eux, les prêtres ignoraient leurs intentions.
Encore aujourd’hui, certains continuent à nier l’existence d’une stratégie frériste malgré tous les documents que l’on a et toutes les preuves. Les Frères, on ne peut en effet les étudier que par les effets qu’ils produisent, puisqu’ils ne donnent pas de listes de membres. Évidemment, on les voit dans la société par la présence des hijab de plus en plus importante, par les revendications du hijab et du halal à l’école, la non participation à certain cours, les intimidations des professeurs qui finissent par modifier leurs cours pour ne pas blesser les croyants ou simplement par peur pour leur vie. Ils ne veulent pas être le prochain sur la liste de Samuel Paty et Dominique Bernard. Qu’est-ce que le hijab ? C’est un voile obligatoire que l’on doit mettre quand on est une femme et qui ne doit montrer que les mains et le visage. On ne doit jamais s’en départir, sauf quand on est chez soi devant les hommes de la famille.
Cette obligation du hijab, quand j’ai commencé à étudier l’anthropologie de l’islam en 1990, il était minoritaire, n’était pas considéré comme obligatoire. Il est redevenu, soi-disant obligatoire. Malgré l’éducation, malgré un niveau de vie où les gens vivent plutôt bien – même s’ils ne sont pas forcément riches, ils ne sont pas dans la misère, ils mangent à leur faim, ils n’ont pas de problèmes de territoire car ils sont nés en France ou en Europe et qu’ils sont considérés comme des citoyens – le séparatisme du halal qui ne concerne plus que la nourriture, mais qui concerne aussi les médicaments, les cosmétiques, les espaces, les voyages, etc.- s’étend. C’est ça l’empreinte du frérisme.
Est-ce que l’on peut dire qu’il y a une réinterprétation des codes islamistes dans un contexte de confrontation à la société civile ?
Les Frères agissent de deux manières, sur le texte et le contexte. D’une part ils puisent dans les textes de quoi séparer les enfants et les musulmans de l’espace commun, le plus possible, afin qu’ils gardent « leur islam » et qu’ils continuent à vivre dans leur culture, dans leur religion et dans leur civilisation. D’autre part, ils travaillent sur la société pour qu’elle accepte de plus en plus cette idéologie, que cette idéologie se diffuse. C’est ce que j’appelle la société « charia-compatible », qui accepte en fait ces éléments de l’islamisme intégraliste et dogmatique.
Les Frères travaillent toujours dans ces deux sens. Quand ils se heurtent, par exemple comme en France, à une laïcité qui protège la démocratie et limite le voile à l’école par exemple, alors les Frères travaillent sur l’acceptation, sur ce qui séduit, sur le marketing relayé par des grandes marques. Ils diffusent des campagne « Mon hijab, mon choix », « La liberté de me vêtir comme je veux », etc. Ils utilisent par subversion des arguments féministes et libéraux, qui viennent de la tradition sécularisée. Et à l’international ils se battent au plus haut niveau ONU, UE pour dénoncer la France comme un pays islamophobe. La France n’est pas islamophobe mais lutte, à raison, contre l’islamisme.
Il y a peu d’imams qui ont condamné les attentats commis par le Hamas en Israël…
Je ne connais qu’un seul imam qui a condamné publiquement le Hamas et ses exactions terroristes. C’est l’imam Chalghoumi qui fait l’objet d’une protection policière depuis des années, puisqu’il est menacé de mort. Ça ne veut pas dire qu’il n’y ait pas d’autres imams qui pensent comme lui, mais vont-ils prendre le risque de le dire, avec tous les ennuis qu’ils peuvent avoir par la suite, là est la question.
Toujours est-il que d’autres personnages, comme le recteur de la Grande Mosquée de Paris, le directeur de la FIF (Fondation de l’islam de France), ont été très silencieux. Eux qui appellent toujours à la paix dès qu’ils ont l’occasion de le faire, là c’était le silence radio pour des attaques terroristes absolument ignobles. Pas un mot pour condamner le Hamas.
Il y a une citation dans votre livre : « Le Frérisme est voué à détruire les cultures locales non par sa forme, mais par son sens, non pas son phénotype, mais pas son génotype. » Est-ce que vous pouvez expliquer cette phrase ?
Ce que je voulais dire par là, c’est que le Frérisme transforme les mots. Quand ils disent, par exemple : « Ma liberté, mon choix » de revêtir le hijab, ils tordent la vérité, car ils enseignent que le hijab est obligatoire pour les femmes.On ne peut pas avoir la liberté, le choix de quelque chose, si de toute façon à la fin, on vous l’impose. Ils affirment : « Nous, on est pour la République ». Oui mais quelle République ? Il y a des républiques qui sont démocratiques, comme c’est le cas de la France, mais il y a aussi des républiques islamiques. Vous voyez, ils ont appris à utiliser les mots pour leur donner une résonance qui soit acceptable dans la société européenne non-musulmane, et qui soit reçue par les musulmans dans leur propre langage.
Ce qu’on appelle le double discours. Le double discours, c’est quand vous tenez un discours à deux populations très différentes qui s’opposent et que chacun a l’impression que vous ne vous adressez qu’à lui. Celui qui a été vraiment le plus loin, c’est Tariq Ramadan qui est vraiment le grand maître du double discours. Il explique aux filles que le hijab va les libérer du joug masculin, car si elles le font pour Dieu, c’est qu’elles ne le font pas pour l’homme. Il fait passer cela pour de l’émancipation. En attendant il fait passer un autre message subliminal : la religion s’impose au quotidien. On est là dans une conception intégraliste du religieux qui descend de Dieu, comme le Coran est descendu sur le prophète. On est dans l’univers de la charia, on est dans l’univers de la théocratie.
Si personne ne fait parler Dieu, alors Dieu parle, et si Dieu parle pour tout ce qu’on fait dans la vie, alors on est en théocratie. Là a commencé dans les années 1990 un travail très efficace sur les jeunes musulmans français. Ils sont passés par l’école républicaine avec certaines valeurs, ils ont appris Liberté, Égalité, Fraternité, puis un prédicateur charmant qui sait jouer avec les mots arrive et leur dit: “Tous vos problèmes sont liés au fait que vous ne vous confiez pas à Dieu, qui lui va vous dire ce qui est bon pour vous” ou encore « vos problèmes sont liés au fait que vous n’êtes pas acceptés en tant que musulman ». On crée ce nouveau mythe de l’islamophobie. C’est de la manipulation pure et simple.
Tariq Ramadan était quelqu’un qui, parce qu’il utilisait justement nos mots, le champ sémantique de la multiculturalité, du relativisme, de « chacun sa culture, on identité, sa façon de voir », etc. a eu un discours qui plaisait beaucoup dans les années 90. Il a complètement floué les élus, ce qui les a empêché de voir le plan et les intentions des Frères musulmans. C’est ça le problème qu’on a avec les Frères, c’est qu’on ne veut pas voir leur plan pour ne pas être accusé de complotisme, or ce plan ne varie jamais. Si on ne l’arrête pas, il se réalisera.
Le premier entrisme des Frères s’est effectué à l’université, c’est aujourd’hui encore le cas. Est-ce que vous pouvez nous dire par quels types de structures ils peuvent entrer en action ?
Les islamistes passent toujours par les universités et par les influenceurs, c’est-à-dire les élites, pour s’installer quelque part. Ils arrivent d’abord et toujours sur les campus et c’est vrai aussi dans le monde musulman. Ça se traduit par des associations, les associations des étudiants islamiques de France, les Étudiants musulmans de France. Ils disent : « Nous sommes des musulmans ». Ils ne se situent jamais évidemment parmi les islamistes. Donc ils investissent jalousement toutes les activités musulmanes et ils lui donnent leur ADN.
Ils passent par des associations qui organisent tout ce qui est caritatif et sportif, des associations de lecture, des cercles islamo-chrétiens, des cercles de dialogue avec les Juifs, etc. Ils ont beaucoup investi le champ de la lutte contre le racisme, ce qui leur permet d’accuser tous ceux qui veulent les entraver, d’islamophobes et de racistes.
La lutte contre l’islamophobie est vraiment une arme essentielle pour ces Fréristes européens, puisque si vous n’êtes pas d’accord avec eux, avec leur revendication, c’est que vous avez a minima un « fond raciste ». Avec la sortie de ce livre, j’ai reçu des lettres d’injures, des menaces, de mes collègues à l’université, me demandant pourquoi j’étais devenue islamophobe ou d’extrême droite, me traitant de complotiste, des choses complètement absurdes. Ils appelaient à ne pas lire mon livre en se vantant de ne pas avoir lu. On est dans la diabolisation. Cette diabolisation, elle n’est pas le fait seulement des Fréristes, elle est le fait aussi de tout un milieu islamo-gauchiste qui les protège, qui agit comme un cordon sanitaire autour d’eux.
Est-ce qu’on peut dire que la France a pris leur parti plutôt que d’étudier leurs intentions ?
Dans les années 2000, il y a eu beaucoup de discussions autour du hijab à l’école, c’était le contexte du centenaire de la loi 1905 de séparation des Églises et de l’État.
La guerre des deux laïcités a commencé à ce moment-là. Une laïcité dite inclusive bienveillante pour les religions s’est imposée en accusant les laïques appelées « laïcistes » de soutenir l’extrême droite. Ce discours provenait d’intellectuels proches des catholiques ou des protestants qui avaient envie d’avoir plus de visibilité dans l’espace public. Ils se sont servis des musulmans et des islamistes pour porter leur cause en avant. Ils se sont prononcés contre la loi de 2004 qui interdit le hijab à l’école en arguant qu’il s’agissait d’une loi discriminatoire, alors qu’elle protégeait les mineures des injonctions islamistes. Ces laïques inclusifs restent des alliés utiles pour ne pas dire des idiots utiles des Frères.
Puis la culture de l’excuse socio-économique et de l’islamophobie s’est installé. À partir de 2015, on a commencé à dire: « Pourquoi sont-ils si violents ? C’est qu’ils doivent être malheureux » et vraiment discriminés. Aucune réflexion n’a été menée sur l’endoctrinement sur long terme, on a cherché les raisons du passage à l’acte des jihadistes dans l’embrigadement d’Al Qaeda et de Daesh, mais pas dans l’endoctrinement à bas bruit dans les mosquées, sur les réseaux sociaux, ou via le marché halal mondialisé.
À partir des années 2000, une nouvelle génération d’enfants de famille musulmane est née avec l’idée qu’un musulman ne peut consommer que ce qui est certifié halal, alors que de telles certifications n’existaient pas trente ans auparavant. Ils ne doivent pas manger en présence de leurs copains non-musulmans parce qu’on ne sait jamais s’il peut y avoir un échange de nourriture, ils pourraient s’empoisonner s’ils tombaient sur un morceau de jambon. Ce séparatisme progressif est le fait des Frères musulmans légalistes.
Mais cette surveillance des comportements s’accompagne inévitablement d’éclats de violence parce que tout ce sectarisme, toute cette volonté de purifier une population, de la mettre dans l’espace du permis et de l’éloigner de l’illicite, crée des maladies mentales. Cela crée des gens qui explosent soudainement au sens propre et figuré. Ils cherchent à atteindre la perfection et se sacrifie pour l’Umma s’ils n’y parviennent pas. Ils deviennent des martyrs.
On s’est intéressé à ces éléments dangereux en se disant, c’est là qu’il faut mettre le paquet – qu’est-ce qui leur arrive, comment faire pour les déradicaliser, pour les empêcher de partir en Syrie ou en Afghanistan. C’était le nouveau branle-bas de combat. Pendant ce temps-là, les Frères se présentaient comme les gens qui veulent la paix, qui ne veulent pas de ces excès, qui peuvent aider à déradicaliser.
Ils en ont d’ailleurs retiré beaucoup d’argent de l’Union européenne en proposant des projets de lutte contre l’islamophobie, la discrimination, pour l’antiracisme et les politiques dites inclusives. Ils en ont retiré beaucoup d’argent et surtout beaucoup de légitimité. Dès que vous avez décroché un projet européen avec le logo des étoiles sur fond bleu, dès que vous ramenez ça dans votre pays, dans votre association, le maire va vous donner un peu plus d’argent, telle entreprise va vous donner un peu plus d’argent et puis vous devenez quelqu’un important, vous devenez un notable. Voilà comment les Frères se sont établis peu à peu partout sur les territoires, ils sont devenus très influents au point de faire disparaître toutes les alternatives.
Aujourd’hui, quand on voit des attentats commis en France et en Europe, on entend plus facilement qu’ils sont le fait d’un fou dangereux, de quelqu’un qui est instable mentalement, que de quelqu’un qui répond à une idéologie radicale. Est-ce que c’est une erreur ou une part de complaisance des Européens?
C’est un aveuglement, c’est un déni. Il y a peut-être une part de complaisance. Il y a beaucoup d’éléments et il y a beaucoup d’ignorances aussi. L’université ne fait plus son travail, j’en suis une preuve. Mes travaux ne sont pas financés. Gilles Kepel en est une autre, sa chaire à l’ENS n’a pas été renouvelée. Les renseignements et le contre-terrorisme font leur travail mais ils ne sont pas écoutés par les politiques. Les médias publics, n’invitent pas que des gens comme moi qui n’apportent pas de bonnes nouvelles. Ils se contentent de citer la formule de djihadisme d’atmosphère. Mais quand on parle de djihadisme d’atmosphère, on reste dans le flou.
Je pense que Gilles Kepel, quand il a forgé ce terme, avait raison. Maintenant il ne faut pas en faire une formule qu’on sort à tout va. Derrière cette atmosphère, il y a des gens qui s’activent, qui agissent et on peut savoir comment ils fonctionnent, à condition de les lire.
Puisque vous évoquez ces fonds européens aux Frères musulmans, comment est-ce que l’Europe peut financer l’université islamiste de Gaza à hauteur d’1,7 million d’euros ou pourquoi les dirigeants français ou allemands sont-ils complaisants avec le Qatar qui abrite pourtant des terroristes ? Est-ce qu’on peut parler non plus de complaisance mais de complicité ?
On a trouvé quelques valises de billets chez une parlementaire européenne, des valises de billets venant du Qatar. Là, il y a une complicité, ce n’est plus de la complaisance. On ne peut pas ignorer ce que fait le Qatar et ce que ce pays représente. Maintenant, je crois qu’ils prennent les islamistes pour ce qu’ils sont eux-mêmes, des gens cupides et sans scrupules. Ils se disent: “Plus on va leur donner de l’argent, plus on va être gentil avec eux, plus on va les mettre dans des situations agréables et plus ils seront gentils avec nous. Plus ils vont être attirés par l’argent, plus ils s’éloigneront du conflit et de la guerre.
Cette façon d’acheter la paix fonctionne quand on a en face de gens qui n’ont que l’argent comme boussole. Ce n’est pas le cas du frérisme qui ne compte pas que les biens terrestres, ils s’intéressent aussi aux biens de salut. Mohammed Merah qui a tué des enfants dans une école juive n’a-t-il pas dit: “J’aime la mort comme vous aimez la vie » ?
Est-ce qu’on peut dire qu’il y a une guerre secrète qui est menée aujourd’hui en Occident et en France ?
Ça ne fait aucun doute, c’est une guerre idéologique, parfois terroriste et violente. Les Frères musulmans d’ailleurs sont un peu gênés par ces violences. Ils les provoquent par leur idéologie mais ça reste quand même marginal. Ils en sont un peu gênés parce qu’à chaque fois ça mobilise les services de police qui vont aller regarder ce qu’ils font de près, ils vont vouloir les interdire, etc. Mais en même temps, ils vont sonner l’alarme, avec des grands cris sur l’islamophobie, ce qui va leur permettre de rebondir.
Propos recueillis par David Vives
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.
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