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Harcèlement moral au travail : l’entreprise a sa part de responsabilité

février 2, 2018 20:01, Last Updated: février 2, 2018 20:01
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En cas de harcèlement moral au travail, la personnalité pathologique du harceleur est souvent considérée comme seule cause de la situation. Pourtant, les facteurs de harcèlement moral sont nombreux, et peuvent notamment être organisationnels. Dans ce cas, ils touchent au fonctionnement de l’entreprise dans son ensemble et relèvent directement du pouvoir de direction de l’employeur. Celui-ci a tout intérêt à les identifier, car ils constituent la clé de voûte de la lutte contre le harcèlement moral au travail. En les modifiant, l’employeur peut remplir l’obligation légale de prévention qui lui est imposée d’agir en amont pour éviter les actes potentiellement harcelants.

Qu’est-ce que le harcèlement moral ?

Sciences juridiques et sciences sociales s’accordent pour définir le harcèlement moral comme un ensemble d’actes répétés et persistants, créant un impact négatif sur le harcelé ou ses conditions de travail, sans être nécessairement perpétrés intentionnellement. Selon la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002, qui établit le harcèlement moral sur le plan pénal et civil, la caractérisation du harcèlement n’exige pas l’existence d’un lien hiérarchique entre l’auteur des pressions et la victime. Le déséquilibre des pouvoirs qui caractérise la situation de harcèlement provient simplement du sentiment d’impuissance de la victime, qui ressent une impossibilité à se défendre, quelle que soit la position du harceleur dans la structure.

Les facteurs organisationnels du harcèlement moral

Il existe principalement trois facteurs organisationnels responsables du harcèlement moral sur lesquels les employeurs peuvent agir : les modes de management, l’organisation du travail, et le changement organisationnel. Deux modes de management favoriseraient ainsi le harcèlement moral. Le style autoritaire serait une source de harcèlement, en particulier dans les structures rigides, naturellement plus exposées, telles que l’armée, les prisons, ou les organisations paramilitaires. Mais l’inaction, le style « laisser faire », sont également à proscrire pour éviter le harcèlement « horizontal », sans lien hiérarchique entre l’auteur et la victime.

Sur le plan juridique, le harcèlement moral est essentiellement perçu dans sa dimension interpersonnelle, c’est-à-dire d’un individu sur un autre. En effet, la sanction d’un harcèlement organisationnel ou collectif était difficilement concevable dans le respect des textes en vigueur, car les juridictions prud’homales exigeaient l’intention de nuire de l’auteur du harcèlement. Les juridictions sociales ont néanmoins admis l’existence d’un harcèlement non intentionnel, ce qui a permis de sanctionner tout mode de management pathogène, même si ce dernier n’a pas atteint sa cible. Puisque l’intention de nuire n’est plus à démontrer, il est désormais possible de sanctionner tout responsable d’une structure dans laquelle se sont déroulés des faits de harcèlement moral, même si ce responsable n’est pas directement impliqué.

En 2009, la Cour de cassation a ouvert la brèche en se positionnant pour la première fois en faveur de la répression d’un harcèlement managérial ou stratégique. Un harcèlement moral peut désormais être caractérisé dès lors que des méthodes de gestion mises en œuvre par un supérieur hiérarchique se manifestent, pour un salarié déterminé, par des agissements répétées ayant « pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation de ses conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits ou à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale, ou de compromettre son avenir professionnel », conformément à la définition légale posée par l’article L 1152-1 du code du travail.

L’appréciation des juges

D’après les critères légaux, qui définissent le harcèlement par ses effets, une méthode de gestion ne peut donc être sanctionnée qu’à la condition d’affecter un salarié pris individuellement. Sous cette réserve, qui limite la répression d’un harcèlement collectif ou systémique, la Cour de cassation a qualifié de harcèlement moral le fait pour un directeur d’établissement de soumettre ses salariés à une pression continuelle, des reproches incessants, des ordres et des contre-ordres dans l’intention de diviser l’équipe, ou encore le fait de communiquer avec un salarié exclusivement par l’intermédiaire d’un tableau. Les juges stigmatisent ainsi régulièrement le management de style autoritaire, qui crée un déséquilibre des pouvoirs dans l’entreprise, tout comme le fait de remettre en cause les méthodes de travail d’un salarié sans motif, par des propos insultants ou du dénigrement répété.

L’organisation du travail peut également influencer le juge dans la qualification de harcèlement moral, en particulier concernant les charges excessives de travail, ou encore les conditions physiques de travail imposées aux salariés : bureaux aux dimensions trop restreintes, travail en open space, températures inconfortables ou bruit excessif, etc. Cet effet néfaste serait aggravé lorsque les salariés ont trop ou pas assez d’autonomie. Contradiction et manque de clarté dans les tâches imparties favoriseraient également l’émergence du harcèlement.

Enfin, un troisième facteur avancé pour expliquer le phénomène serait le changement organisationnel affectant l’entreprise. Le changement d’environnement de travail dû à des restructurations ou encore à une réorganisation complète des services crée potentiellement une dégradation objective des conditions de travail des salariés, qui peut être source de harcèlement.

Les actions préventives de l’employeur contre le harcèlement systémique ou organisationnel

L’employeur a le devoir juridique de prévenir les actes de harcèlement dans l’entreprise, au titre d’une obligation de sécurité de résultat. Cette action ne doit pas se limiter à identifier individuellement les harceleurs potentiels. Il convient d’agir en amont, au niveau organisationnel, puisque le harcèlement a pour origine, en partie, des facteurs organisationnels. Par exemple, l’employeur aurait intérêt à édicter un règlement anti-harcèlement dans l’entreprise, qui listerait précisément les actes prohibés ainsi que les sanctions encourues.

Une autre piste consiste à évaluer le risque de harcèlement dans l’entreprise grâce à des enquêtes sur les risques psycho-sociaux ou encore des interviews individuelles de salariés, totalement anonymes. Enfin, la lutte contre le harcèlement passe obligatoirement par des actions de formation auprès des managers chargés de l’identifier, de le prévenir et d’agir efficacement pour l’éviter. Le bien-être des salariés au travail est à ce prix.

Marc Ohana, Professeur de comportement organisationnel − Professor of Organizational Behavior, Kedge Business School et Clémentine Bourgeois, Professeure associée de droit, Kedge Business School

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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