Hausse des dépenses de l’Élysée : « S’il faut de la transparence concernant le budget de l’Élysée, il faut éviter de tomber dans le voyeurisme », déclare René Dosière

Par Julian Herrero
2 août 2024 17:15 Mis à jour: 2 août 2024 17:44

ENTRETIEN – Dans un rapport publié ce lundi sur les « comptes et la gestion des services de la présidence de la République », la Cour des comptes a souligné une « forte hausse des dépenses » du palais de l’Élysée. « Les charges (125,5 millions d’euros) ont augmenté de 14 % […] par rapport à l’exercice 2022 » est-il écrit. Le budget de la présidence est aujourd’hui en déficit de 8,3 millions d’euros. Pour l’ancien député socialiste de l’Aisne et auteur de Frais de palais : La vérité sur les dépenses de l’Élysée (L’Observatoire, 2019) René Dosière, le rapport de la Cour des comptes est « excellent » mais tombe parfois dans le « voyeurisme ».

Epoch Times : René Dosière, pourquoi les dépenses de l’Élysée ont tant augmenté ?

René Dosière : Je crois qu’il est quand même utile de rappeler que l’Élysée dispose d’un budget complet depuis seulement 2008, c’est-à-dire un budget constitué de toutes les participations financières des différents ministres en regroupant l’ensemble des dépenses. Avant, on ne savait pas comment l’argent était utilisé.

Sur la base des travaux que j’ai menés pendant plusieurs années en tant que parlementaire, nous avons rendus les dépenses de l’Élysée transparentes. Nicolas Sarkozy a d’ailleurs décidé à l’époque que la Cour des comptes contrôlerait les dépenses du chef de l’État. Depuis 2009, l’institution de la rue Cambon publie donc chaque année un rapport sur les dépenses de la présidence de la République.

Je note que ce contrôle du budget effectué par la Cour des comptes est une première dans l’histoire de la vie politique française depuis 1789. Aucun chef d’État français, quel que soit son statut, roi, prince ou président de la République, n’avait de comptes à rendre sur la manière dont il dépensait son argent.

Et à l’étranger, la réalité n’est pas la même. Je crois qu’il n’existe aucun pays où les dépenses soient aussi transparentes et contrôlées. Par exemple, aux États-Unis, même s’il y a une tradition de transparence et plus de liberté de la presse, on ignore totalement les dépenses engagées concernant la protection du président américain ou ses déplacements à l’étranger.
Sur le continent européen, les pays où l’argent utilisé par un chef d’État ou de gouvernement est contrôlé par un organisme indépendant sont rares.

J’observe aussi que la Cour des comptes nous dit que le « Palais » a dépensé 125,5 millions d’euros en 2023. En réalité, elle souligne également qu’il y a quelques millions d’euros dépensés pour l’Élysée, mais qui ne figurent pas dans son budget, mais plutôt dans des budgets ministériels. Il y a, à mon avis, une dizaine de millions d’euros qui devrait revenir dans le budget de la présidence comme le réclame la Cour des comptes. Ces millions d’euros feraient augmenter le budget de l’Élysée, mais n’auraient pas d’effet sur la dépense publique puisqu’ils ne seraient plus dans les ministères concernés.

Cela étant, cette somme de 125,5 millions d’euros est, au regard de la dépense publique en France assez modeste, voire ridicule puisque si on prend l’ensemble des dépenses publiques, c’est-à-dire le budget de l’État, de la Sécurité sociale et des collectivités locales, tout ce qui est d’ailleurs financé par des prélèvements obligatoires, cotisations ou impôts, il faut savoir que pour 1000 € de dépenses publiques, le budget de l’Élysée représente seulement 10 centimes d’euros. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’économies à faire, mais d’autres dépenses sont plus importantes.

Si je prends un autre exemple très frappant, la France paye en une journée, au titre des intérêts de sa dette, un montant de l’ordre de 150 millions d’euros et donc supérieur au budget annuel de l’Élysée.

Maintenant, la Cour des comptes a constaté qu’en 2023, les dépenses du « Palais » ont été très supérieures au budget initialement prévu. L’Élysée avait d’ailleurs prévenu il y a quelques mois qu’il y allait avoir un dérapage. Les chiffres étaient donc connus de tous depuis longtemps. Simplement, la Cour explique les raisons de ce dérapage et souligne qu’il résulte de deux phénomènes qui tournent autour de l’activité de la présidence et du président : les nombreux déplacements du chef de l’État et l’augmentation du nombre de réceptions. Deux facteurs ayant engendré par définition, une hausse des coûts.

Par exemple, pour les déplacements, la Cour précise que le président utilise souvent l’avion le plus cher, c’est-à-dire l’Airbus A330 alors qu’il pourrait utiliser des avions moins coûteux. D’autant plus que le prix du kérosène a lui aussi augmenté.
Mais cette hausse des coûts des déplacements est aussi liée au fait que le chef de l’État emmène avec lui un nombre trop important de gens. Par conséquent, il faut réserver davantage de chambres d’hôtel et mobiliser plus de véhicules pour les déplacer. La Cour note par exemple que pour le déplacement en Chine en 2023, deux Airbus A330 et 50 voitures ont été nécessaires pour la délégation officielle.

Toutefois, même si le rapport est excellent, j’ai été choqué par le fait que la Cour des comptes donne le détail du coût d’une réception d’un chef d’État étranger à l’Élysée, ce qui a été dépensé en nourriture, en boissons, fleurs etc.

Dans mes travaux, je m’étais toujours refusé à donner ces précisions parce que je considère que quand on invite quelqu’un chez soi, on n’a pas à lui dire combien cela coûte. C’est une marque de courtoisie.

S’il faut de la transparence concernant le budget de l’Élysée, il faut éviter de tomber dans le voyeurisme qui, inévitablement, donne à l’opinion publique le sentiment que son argent est gaspillé. Rentrer dans ces détails pourrait aussi poser des problèmes diplomatiques. Certains chefs d’État pouvant estimer qu’ils ont été moins bien reçus que d’autres. La Cour des comptes a donc commis une maladresse. Je le regrette.

Cette hausse est-elle inédite depuis Nicolas Sarkozy et est-il possible de mieux maîtriser les dépenses tout en ne détériorant pas l’image de la France ?

Entre 2007 et 2008, on a eu des dépenses qui étaient sans doute supérieures, mais les comptes étaient moins clairs. C’est donc effectivement inédit puisque les prévisions budgétaires ont été largement dépassées.

Pour répondre à la deuxième question, oui, c’est possible. La Cour le dit en expliquant par exemple que l’on peut faire des économies dans la préparation des voyages présidentiels et les divers secteurs qui interviennent pour les préparer pourraient être mieux coordonnés, notamment la diplomatie, le protocole, la communication, etc. Pour certains déplacements, l’utilisation d’avions moins coûteux pourrait être également possible.

Ce rapport va-t-il encourager la présidence de la République à mieux maîtriser son budget à l’avenir ?

Oui parce que depuis quinze ans que la Cour des comptes examine les budgets de l’Élysée, ses observations sont généralement suivies. Dans les premiers rapports en 2009 et 2010, les observations de l’institution étaient stupéfiantes. Elle avait découvert que le « Palais » fonctionnait sans se préoccuper de la législation. Et donc, il a bien fallu que la présidence de la République suive ses recommandations et organise par exemple pour l’achat de ses fournitures alimentaires et autres un appel à la concurrence. L’Élysée n’en avait jamais fait puisque les fournisseurs avaient toujours été les mêmes.

La présidence de la République suit donc aujourd’hui naturellement les recommandations de la Cour et fonctionne conformément à la législation habituelle des administrations, même s’il y a encore un certain nombre d’éléments à corriger ou à améliorer.

Cependant, certaines observations ne sont pas toujours suivies d’effet parce qu’elles sont difficiles à mettre en œuvre ou parce que l’Élysée estime que politiquement, il n’a pas à les appliquer.

Par exemple, la dépense en personnel (près de 800 personnes) représente la moitié du budget de l’Élysée. C’est plus important que les déplacements et les réceptions. Et le personnel est, pour l’essentiel, payé par les administrations d’origine, par exemple le ministère de la Défense ou le ministère de l’Intérieur. Au total 39 administrations différentes fournissent du personnel à l’Élysée et le payent.

Depuis 2009, l’Élysée rembourse ce personnel à chacune des administrations, mais ne fixe pas le montant de la rémunération. C’est le rôle des administrations d’origine. Il n’a donc pas la maîtrise sur l’évolution du traitement de ses fonctionnaires, plus précisément sur 80 % du personnel. Les 20 % restants étant des contractuels dont la rémunération est fixée directement par la présidence.

Par conséquent, la Cour des comptes préconise la modification de ce système pour que l’Élysée puisse avoir une maîtrise complète sur les dépenses de son personnel, mais le « Palais » refuse depuis des années cette modification et se contente du système actuel. Pour autant il n’est pas impossible qu’un jour prochain cette recommandation sera suivie d’effet, car l’Élysée est très soucieux des rapports de la Cour qui ont permis d’améliorer considérablement l’administration de la présidence de la République qui est aujourd’hui l’institution française la mieux contrôlée.

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