Je me demande parfois ce que cela signifie d’être le héros de l’histoire de sa propre vie. Comment pouvons-nous mener une vie vertueuse et digne malgré les épreuves ? Cette question n’a rien d’inhabituel. Des cultures de tous les temps et de tous les lieux se sont penchées sur cette question morale.
Albrecht Dürer, graveur allemand
Né en Allemagne à la fin du 15e siècle, Albrecht Dürer est l’un des nombreux artistes qui se sont intéressés aux questions morales à l’époque de la Renaissance. Il était un peintre et un dessinateur accompli, mais nombre de ses plus grandes œuvres sont des gravures. Il a poussé la gravure à de nouveaux sommets et l’a légitimée en tant que forme d’art indépendante.
L’une de ses plus grandes séries d’estampes est celle des Meisterstiche ou œuvres maîtresses, qui est un groupe de trois images : Saint Jérôme dans son étude, La Melencholia et Le Chevalier, la Mort et le Diable.
Selon le site Web du Metropolitan Museum of Art, ces trois gravures sur cuivre étaient « davantage destinées aux connaisseurs et aux collectionneurs qu’à la dévotion populaire », ce qui suggère que le symbolisme de ces gravures était spécifique à un public limité. La signification spécifique de ces trois gravures laisse encore les spécialistes perplexes aujourd’hui.
Cela dit, nous nous pencherons uniquement sur Le chevalier, la Mort et le Diable, qui correspond aux notions de moralité de la philosophie de la scolastique médiévale. Notre intention n’est pas de déchiffrer ce que les connaisseurs et les collectionneurs des années 1500 pensaient de cette imagerie symbolique, mais de voir si cette image suscite des questions morales pour nous aujourd’hui.
Le Chevalier, la Mort et le Diable
Dans Le Chevalier, la Mort et le Diable, Albrecht Dürer représente quatre personnages importants : le chevalier, homme armé, à cheval, la Mort présentant un sablier également à cheval, le diable et un chien.
Le chevalier est en armure complète, comme s’il était prêt à se battre. Il tient une lance et la maintient contre son épaule. De l’autre main, il saisit la rêne de son cheval. Il regarde directement devant lui tandis que son cheval avance. Un chien suit de près le cheval du chevalier.
Du point de vue de la composition, la Mort est à la gauche du chevalier. La Mort porte une couronne avec des serpents enchevêtrés et tient un sablier dans sa main. Elle est également assise sur un cheval qui incline la tête vers un crâne sur la souche d’arbre devant le chevalier. La Mort regarde directement le chevalier.
Le Diable observe intensément le chevalier par derrière. Albrecht Dürer dépeint le Diable comme un monstre chimérique : il a des oreilles de chèvre, des cornes de bélier, une corne de rhinocéros à l’arrière de la tête, un museau de loup avec un nez de cochon, et de longues bajoues qui pendent des deux côtés de sa bouche. Il tient une arme tranchante à la main et tend l’autre main vers le dos du chevalier.
Les rochers déchiquetés et les arbres noueux du terrain montagneux suggèrent un voyage difficile. Au loin, cependant, nous pouvons voir un château se détachant sur le ciel au sommet de la montagne.
Le héros moral
Je pense qu’il est évident que le chevalier est en voyage, mais un voyage vers où ? Quelle est sa relation avec les autres personnages de ce voyage, et comment cette relation peut-elle nous éclairer moralement ?
Commençons par ce que ces personnages peuvent symboliser. Je pense que le chevalier est notre héros moral. Il est en armure complète avec une lance, non pas pour combattre des ennemis mortels, je pense, mais pour se protéger de la Mort et du Diable pendant son voyage.
La Mort, la bouche ouverte et le sablier à la main, semble presque se moquer du chevalier. C’est comme si elle prévenait le chevalier : « Ton temps est presque révolu, et tu seras soumis à moi, le roi des morts. » Le cheval de la Mort s’incline également vers le crâne sur la souche de l’arbre, comme pour attirer l’attention du chevalier.
Les serpents sur la couronne de la Mort sont un ajout intéressant de A. Dürer. Les serpents symbolisent traditionnellement la vie et la mort. Dans la tradition chrétienne, cependant, les serpents ont été associés à la fois à la Mort et au Diable, et le but du Diable était de discréditer Dieu et de tenter les humains. Ainsi, les serpents représentés ici associent probablement la Mort au Diable et à la tentation.
Il est intéressant de noter que le chevalier ne regarde pas la Mort, c’est-à-dire qu’il n’est pas « tenté » par la peur de la mort. Il n’est pas préoccupé par le fait que son temps est limité. Son casque semble l’empêcher de regarder la Mort, même s’il le voulait. Au lieu de cela, le chevalier regarde droit devant lui et poursuit son voyage.
L’apparence chimérique du Diable suggère la capacité du Diable à prendre différentes formes pour parvenir à ses fins de manière trompeuse. Le Diable a la griffe étendue comme pour saisir le chevalier par-derrière. Le chevalier ne semble pas le remarquer, ce qui suggère également à quel point le Diable peut être rusé et trompeur.
Le chevalier semble être coincé entre le marteau et l’enclume, c’est-à-dire entre la mort et le diable, et ce sentiment est renforcé par le terrain rocailleux et noueux.
Mais l’attitude du chevalier suggère-t-elle quelque chose de différent ? Son apparence calme et stoïque pourrait signifier qu’il n’est pas intimidé par la Mort et le Diable.
Le chien à côté du cheval peut être un symbole de loyauté, mais de loyauté envers qui, quoi ? La loyauté envers le chevalier, très probablement. Ainsi, le chevalier représente le héros moral, c’est-à-dire celui qui reste insensible à la tentation (le Diable) et à la peur (la Mort) dans le but d’accomplir un voyage.
Le fait que le chevalier ait dépassé le Diable suggère peut-être qu’il a déjà surmonté les tentations du Diable, et le fait que son casque bloque la vue de la Mort indique qu’il ne se soucie pas de la Mort. L’attitude calme et non affectée du chevalier diminue même le pouvoir perçu de la Mort et du Diable.
Est-il donc vrai qu’être un héros moral sur le chemin de la vie consiste à ignorer sans crainte la tentation ?
Et quelle est la destination de ce voyage ? Le château semble être un lieu de paix par rapport au reste de l’image. Il semble même être un lieu de lumière et de gloire par rapport à l’environnement plus sombre et lugubre du dessous. Cela suggère-t-il qu’un esprit et un cœur paisibles sont la destination recherchée ? Si c’est le cas, la paix véritable exige un effort héroïque.
Les arts traditionnels contiennent souvent des représentations et des symboles spirituels dont la signification peut être perdue pour nos esprits modernes. Dans notre série « Atteindre l’intérieur : ce que l’art traditionnel offre au cœur », nous interprétons les arts visuels d’une manière qui peut être moralement perspicace pour nous aujourd’hui. Nous ne prétendons pas fournir des réponses absolues aux questions auxquelles les générations ont été confrontées, mais nous espérons que nos questions inspireront un voyage de réflexion dans le but de devenir des êtres humains plus authentiques, plus compatissants et plus courageux.
Eric Bess est artiste figuratif en exercice et candidat au doctorat à l’Institut d’études doctorales en arts visuels (IDSVA).
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