Des moines bouddhistes et jaïns aux mystiques soufis, toutes les religions reconnaissent des traits communs à la sainteté. L’abnégation, la patience, l’humilité, la bienveillance en sont quelques exemples.
Au Moyen Âge, la civilisation européenne a incarné cet idéal dans le statut qu’elle accordait aux membres des disciplines monastiques. Pour l’esprit médiéval, les moines et les moniales remplissaient une fonction éminemment pratique : ils accomplissaient des œuvres de charité et priaient pour l’humanité.
Hildegarde de Bingen est l’une des plus grandes figures de ce mouvement. Ses écrits n’embrassent pas la dichotomie stéréotypée qui oppose l’ascète profond mais austère à l’hédoniste joyeux et superficiel. Pour elle, la vie n’était pas seulement une épreuve d’endurance, mais une source de beauté et de plaisir.
Prophétesse née
Hildegarde de Bingen est née en 1098 à Bermersheim, en Allemagne, cadette d’une famille de dix enfants. Dès son plus jeune âge, elle est sujette à des visions vives et émotionnellement intenses. Comme elle l’a vu plus tard, Dieu les a « imprimées » dans son âme pendant qu’elle était dans le ventre de sa mère. À l’âge de 3 ans, elle a vu « une grande lumière ». Sa première vision clairement décrite est survenue à l’âge de 5 ans, lorsqu’elle a prédit le moment précis de la naissance d’un veau et sa couleur. Si certaines de ces visions étaient attrayantes, comme des châteaux incrustés de joyaux, beaucoup étaient bizarres, voire horribles : des bêtes crachant du feu ou des femmes enceintes portant des hommes adultes dans leur ventre.
Hildegarde de Bingen était une enfant malade qui l’est restée à l’âge adulte. Sa fragilité était considérée comme une preuve supplémentaire de sa forte nature spirituelle. À l’âge de 8 ans, ses parents l’envoyèrent au monastère de Disibodenberg. Elle y vécut avec une anachorète nommée Jutta, et y passa la plupart de son temps à lire des livres.
Le monastère attira d’autres religieuses, devint un couvent et finit par élire Hildegarde de Bingen comme abbesse après la mort de Jutta. Au début de sa vie, ses visions troublantes rebutaient les gens, aussi elle les garda pour elle. Mais après être devenue abbesse, elle commença à les écrire. Vers 1151, elle produisit son premier livre, Scivias, ou Connais les voies du Seigneur, avec la bénédiction du pape Eugène III. Rédigé sur une période de dix ans, il contient des descriptions et des interprétations de 26 visions concernant la création, la rédemption et la sanctification.
Hildegarde de Bingen était reconnue comme une voyante. Elle écrivit d’autres livres de sagesse et de médecine populaire, composa de la musique, parcourut l’Allemagne en prononçant des sermons et conseilla de hauts responsables de l’Église et de l’État. Elle attira de nombreux disciples et fonda une abbaye à Rupertsberg. Lorsque celle-ci devint trop grande, elle en fonda une autre à Eibingen. Construite en 1165, cette dernière structure existe encore aujourd’hui.
La luxuriance de l’âme
Le monastère de Disibodenberg, situé sur un site entre deux rivières, était entouré d’une végétation abondante. Aujourd’hui encore, ses ruines dégagent l’ambiance d’un lieu paisible et saint. Il a inspiré un concept central qui imprègne tous les écrits d’Hildegarde de Bingen : « viriditas ». Ce mot qui signifie littéralement « verdure » est souvent traduit de différente façon, comme « fraîcheur », « vitalité », « fécondité », « humidité ». Cependant, le mot a plutôt une connotation de luxuriance vivifiante. Hildegarde l’a utilisé pour décrire le souffle divin dans toutes les bonnes choses, grandes et petites. Les saints incarnent la viriditas, tandis que les moines et les nonnes paresseux en sont dépourvus. C’est à la fois la source de la vertu et un objectif que les novices doivent s’efforcer d’atteindre.
« L’âme est la force vitale du corps, écrit-elle, tout comme l’humidité (viriditas) est la force vitale d’une plante. L’humidité permet à une plante de croître et d’être fructueuse ; ainsi l’âme permet au corps de se comporter comme il se doit et d’être vertueux » (Livre des œuvres divines, 4.21).
Hildegarde de Bingen ne voyait pas le monde matériel comme un simple voile de larmes ou un berceau de tentations, mais comme un lieu magnifique où l’homme et la nature existent en équilibre. Elle nous enjoint d’utiliser toutes nos facultés – l’âme, le corps, les émotions et l’esprit – pour apprécier la création : « Vous comprenez si peu ce qui vous entoure parce que vous n’utilisez pas ce qui est en vous » (Scivias, 1.2.29). Elle pensait que la sagesse donnait aux gens la liberté morale de cultiver de bonnes habitudes et de s’épanouir dans un but plus élevé : « Bien qu’ils soient de petite taille, les êtres humains sont puissants en esprit. Alors que leurs pieds sont sur le sol, leurs têtes peuvent atteindre de grandes hauteurs spirituelles » (Physica, 761).
La science rencontre la foi
Les chercheurs modernes ont diagnostiqué chez Hildegarde de Bingen diverses pathologies pour expliquer ses visions. Le célèbre neurologue Oliver Sacks a peut-être fait l’identification la plus convaincante dans son livre Migraine.
Il s’est référé à un manuscrit de Scivias écrit vers la fin de la vie d’Hildegarde, dans lequel ses étranges visions sont accompagnées d’illustrations tout aussi étranges. Il a observé que les dessins basés sur les descriptions d’Hildegarde de Bingen – des figures rayonnant de lumière et se détachant sur des lignes concentriques et ondulées – sont très similaires à un type de migraine qui se manifeste par des lumières vives sur un fond sombre. L’expérience d’Hildegarde de Bingen des étoiles tombant dans la mer, qu’elle interprétait allégoriquement comme représentant la chute des anges rebelles du ciel, est littéralement, selon les termes de Oliver Sacks, « une pluie de phosphènes en transit à travers le champ visuel, leur passage étant suivi d’un scotome négatif ».
Mais une telle rationalisation écarte-t-elle l’origine divine des visions d’Hildegarde de Bingen ? Oliver Sacks répond par la négative. Sa maladie a changé le cours de sa vie et lui a donné « l’inspiration extatique » pour diriger, conseiller, guérir les autres et être une force pour le bien dans le monde. Malgré leurs origines physiologiques, ses expériences mystiques étaient authentiques et leurs effets réels. La leçon à en tirer est que la science et la foi, loin d’être incompatibles, s’interpénètrent en réalité.
Courage et canonisation
Tout au long de sa vie, Hildegarde de Bingen a fait preuve de courage moral en s’opposant aux autorités qui voulaient contrôler son statut de visionnaire pour leurs propres intérêts. Lorsque l’abbaye de Disibodenberg s’est enrichie grâce à l’afflux de dons dû à la présence d’Hildegarde, l’abbé a d’abord refusé de la laisser partir avec ses moniales pour en fonder une autre (en d’autres termes, il manquait de « viriditas »). Lorsqu’elle persiste dans son ambition, il incite ses moines à susciter l’hostilité de la population locale. Accusée de folie et de falsification de ses visions, Hildegarde tombe malade dans son lit. Pendant des semaines, elle ne bouge pas et ne parle pas. Finalement, l’abbé, craignant qu’elle ne meure, accède à sa demande et sa santé se rétablit.
En d’autres occasions, elle a réglé des conflits avec des moines autoritaires en faisant appel au pape. Finalement, elle a acquis l’indépendance nécessaire pour diriger ses moniales avec un minimum de surveillance. Son exemple moral et ses réalisations lui ont valu une admiration durable et, en 2012, la « Sibylle du Rhin » a été nommée docteur de l’Église, l’une des 37 théologiennes estimées à recevoir ce titre. Les personnes en quête de spiritualité continuent de trouver un encouragement dans son mélange des domaines matériel et immatériel.
Dans son livre Les causes et les remèdes, Hildegarde de Bingen écrit : « Lorsque les éléments dont le monde est fait travaillent en harmonie, le sol est sain, les arbres donnent des fruits abondants, les champs donnent des récoltes abondantes, et tous sont heureux. Mais si les éléments ne travaillent pas en harmonie, le monde devient malade. Il en va de même pour les êtres humains ».
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