Histoire d’un Compagnon des devoirs, charpentier de l’après-guerre

septembre 27, 2016 10:28, Last Updated: octobre 21, 2016 11:57
By

La moustache blanche mais la répartie facile… Louis Marguet est un Compagnon charpentier. À presque 86 ans, il aime encore présenter le musée du Compagnonnage. Il s’est prêté au jeu de parler de lui et de sa vie de Compagnon en France dans les années 50.

Epoch Times: Parlez-nous de vous, de votre parcours…

Louis Marguet : Je suis né en 1930. J’ai perdu mes parents alors que j’étais tout jeune, ma mère à 2 ans, mon père à 10 ans. Aussitôt que j’ai pu travailler, il a bien fallu que je me raccroche à quelque chose, et comme j’aimais le bois, j’étais dans la campagne, dans le Jura, le Doubs exactement.

J’ai voulu apprendre le métier de menuisier, mais il n’y avait plus de place ; alors j’ai appris la charpente car il y avait de la place. Quand j’ai vu ce que c’était la charpente, je m’y suis plu car j’aimais le travail du bois, mais aussi parce qu’il y avait des recherches géométriques comme la géométrie dans l’espace et c’est quelque chose de passionnant.

Il faut aussi étudier la résistance des matériaux : il faut mettre la section juste. Si vous mettez trop de bois, c’est inutile et si vous n’en mettez pas assez, c’est grave ! Si vous utilisez un morceau de bois qui a un nœud par exemple pour faire un chevron, il sera coupé en deux… Il faut être prudent. Pour les grandes pièces, il y a les assemblages. Il faut concevoir les assemblages en fonction des efforts qui sont transmis dans la pièce, soit en traction, soit en compression… De toutes façons, la résistance des matériaux concerne de nombreux métiers.

Il fallait que j’apprenne mon métier comme il faut, mais il n’y avait personne pour me payer des études. Entre temps j’ai eu l’occasion de connaître les Compagnons par une petite publicité. J’ai écrit pour savoir s’il y avait de la place et ce que je pouvais faire chez eux. Ils m’ont répondu que les cours étaient gratuits, et qu’en fonction de ce que je savais faire, je pouvais être payé. Je me suis dit que si les cours étaient gratuits, que j’ai du travail et que je suis un peu payé, je vais toujours bien arriver à manger !! Alors je suis parti et j’ai commencé à Lyon comme ça. En 1950. J’avais 20 ans.

Ensuite, j’ai été « adopté » par les Compagnons et je suis parti à Grenoble, Marseille, puis Toulouse et les Pyrénées. Je suis aussi monté à Paris pour les cours du soir. La formation continue n’était pas gratuite comme maintenant. Puis, je suis parti du coté du Mans pour y construire une église là-bas. Je suis ensuite revenu à Paris pendant 3 ou 4 hivers et je me suis mis à mon compte. J’ai monté une petite entreprise artisanale de charpente en banlieue et ça n’a pas mal marché.

Epoch Times: Êtes-vous retourné dans le Jura ?

Louis Marguet : J’ai racheté la moitié d’une ferme où est née ma mère. Même si on travaille partout sur le globe, on aime bien revenir à ses origines.

Epoch Times: Gardez-vous des souvenirs particuliers, des anecdotes de votre vie de Compagnon ?

Louis Marguet : En 1950, il y avait très peu de centres bien installés, mais il y avait des groupes de Compagnons qui avaient pour vocation de transmettre leur savoir, notamment par des cours du soir. Mais c’était un peu artisanal, car il n’y avait pas de siège organisé, alors on était parfois des équipes de 2 ou 3, ou 20 ou 40. Alors qu’aujourd’hui, on a un siège bien organisé, nous proposons de la formation continue et faisons même de l’apprentissage.

En repensant à toutes ces années, je me rappelle surtout des travaux intéressants… Personnellement, j’ai pu faire une demi-douzaine d’églises, 6 ou 7. C’était la période où on construisait encore des églises. Et alors, à chaque fois, on avait des architectes qui vous « pondent » des formes un peu bizarres et qu’il faut réaliser. Il faut outrepasser les connaissances traditionnelles pour s’adapter aux exigences, tout en faisant un travail « qui tient la route »…

Des anecdotes, en voilà une aussi. Je partais de Grenoble, j’avais 21 ans, c’était l’été. Je n’avais pas grand-chose à manger d’ailleurs, c’était juste la fin des cartes d’alimentation. Le matin, je m’en souviens, au déjeuner, je mangeais une tomate… Les tomates étaient meilleures que maintenant, mais, quand même, ça ne nourrit pas beaucoup, surtout quand tu travailles au soleil toute la journée… Quand je suis reparti de Grenoble pour aller à Marseille, j’ai trouvé un transporteur qui voulait bien m’emmener. J’avais toute ma fortune avec moi, une petite malle, une caisse à outil, un vélo… c’était mon seul moyen de locomotion. Au moment de partir, le transporteur me voit chargé avec tout ça et me dit ainsi : « J’ai de la place pour toi mais pas pour tout ton matériel ! » J’ai donc demandé à un copain, Lucien, un jeune breton, de m’envoyer mes affaires dès que possible. « Oui, oui, pas de problèmes ! » me répond-t-il. A Marseille, j’ai trouvé des Compagnons sur place. Je logeais chez l’habitant. A Marseille, c’est un peu comme dans les îles, il y fait chaud. Donc, on peut vivre sans chauffage. Alors, je couchais sur un divan sous un petit auvent dans la cour.

Au bout de 8 jours, je n’avais toujours pas reçu mes vêtements. Je téléphone alors au copain breton, lui disant que j’étais bien étonné, car toujours rien reçu. « Ah ! ben oui, » me répond-il un peu abruptement. « – Ben, qu’est-ce qu’il y a, tu n’as rien envoyé? – Et bien non, je n’ai pas de sous ! » Ah ! J’ai alors du raccrocher car cela coûtait cher de téléphoner en ce temps là et, plus tard, quand j’ai eu un peu plus d’argent, je l’ai rappelé, lui demandant de m’envoyer mes affaires par port dû. Et là, il me répond : « Ben oui, mais où c’est çà, « port dû » ? » (rires)

J’ai travaillé quelques temps à Marseille, puis j’en suis parti… à Noël, pour aller à Toulouse car à Marseille, il n’y avait pas de professeur. Le travail étant simple, on travaillait entre nous et on s’expliquait ce que l’on connaissait. J’avais pourtant attaqué un travail un peu complexe, des croix de Saint-André sur une tour.

Donc, j’arrive à Toulouse pendant les fêtes de Noël, les salles de cours étaient fermées.

Mais un moniteur, un vieux garçon, était présent, le mégot au coin de la bouche. Je lui explique que je viens de Marseille mais qu’il n’y a pas de professeur et que j’ai un problème, mais je n’arrive pas à le résoudre… pourtant, il me semble que mon dessin est bon… Au bout d’un moment, il regarde et puis s’en va, sans rien me dire. Un jour passe, puis il revient. Je me dis alors qu’il est peut-être un peu sourd et je parle plus fort. Là, il me regarde avec un sourire un peu narquois, toujours avec son mégot, et me dit ainsi : « T’as qu’à chercher ! » Imaginez, je viens de Marseille et c’est tout ce que j’ai comme réponse. Enfin, le 3ème jour, il a bien voulu me répondre. Il m’avait fait tout de même chercher par moi-même.

Pour en savoir plus: http://www.museecompagnonnage.fr/temoignages/louis-marguet

Soutenez Epoch Times à partir de 1€

Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?

Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.

Voir sur epochtimes.fr
PARTAGER