Un des pères fondateurs de l’informatique en France a disparu récemment à l’âge de 80 ans. Dans une période où beaucoup de journalistes mettent en avant le mot « algorithme », Maurice s’en est allé en silence. Pour la première fois, car ce n’était pas son habitude de la boucler.
Un professeur des Universités se doit d’intervenir pour dire à l’État son désaccord quand le sujet concerne son champ de compétences. Maurice Nivat a respecté ce devoir jusqu’au dernier souffle.
Des mathématiques vers l’informatique
Maurice est né en 1937 à Clermont-Ferrand. Après Normale Sup’ il commence l’informatique en pratiquant des langages de l’époque comme Algol. Ses premières recherches sont encadrées par Marcel-Paul Schützenberger et il soutient sa thèse de doctorat d’État en 1967 à Paris. Il est ensuite nommé professeur à Paris VII en 1969.
Attention, vu d’aujourd’hui, on pourrait penser qu’il avait été nommé professeur d’Informatique mais le terme même d’« informatique » n’est rentré dans le dictionnaire qu’en 1962. Il n’y avait pas d’informaticien à cette époque. On faisait des mathématiques et parfois on avait besoin de machines ou plus précisément d’un « centre de calcul » où l’on allait perforer des cartes pour pouvoir lancer son programme afin de vérifier un résultat théorique ou invalider une conjecture mathématique. En 1970, Maurice et quelques mousquetaires des mathématiques font une conférence de presse pour annoncer la naissance de l’informatique théorique ! En 1975, Maurice fonde la revue Theoretical Computer Science et en sera le rédacteur en chef jusqu’à sa retraite en 2001.
Un « père fondateur » de l’informatique au XXe siècle
À partir des années 70, il lance un projet de recherche sur la sémantique des langages (grammaire de Chomski) : c’est ce qu’aujourd’hui on enseigne sous le nom de théorie des langages de programmation ou compilation, autant dire le cœur de l’informatique. Il en profitera pour étendre ces concepts aux automates à qui il manquait des langages afin de pouvoir s’imposer dans les usines 10 ou 20 ans après.
Jusqu’en 1985, Maurice sera le directeur naturel du Laboratoire d’informatique théorique et de programmation qu’il cofonda 10 ans plus tôt. Si l’on veut se faire une idée de ces travaux d’informatique théorique, il faut aller chercher sur Internet ce qu’est la Conjecture de Nivat. Cette conjecture, proposée par Maurice en 1997 cherche à généraliser en dimension 2 le théorème de Morse-Hedlund. On y discute bien sûr de théorie des langages, mais avant 2000, Maurice s’était rendu compte que l’imbrication avec d’autres problèmes comme en géométrie discrète pouvait aussi éclairer d’autres communautés.
Avec l’aide de Jean‑Marc Chassery, il réunit en 1999 des informaticiens théoriques sur le problème de la tomographie discrète et y travaille avec Alberto Del Lungo ou Robert Tijdeman. Maurice a ainsi laissé sa trace dans cette « informatique théorique » qui sert de juste milieu entre le monde des mathématiques et celui de l’informatique et a complètement renouvelé cette intersection des 2 sciences qui était avant l’apanage de « l’analyse numérique ».
Son bonheur pour la discussion rigoureuse du travail scientifique autant que son intérêt pour mettre en avant des jeunes chercheurs en ont fait ce personnage à la fois reconnu, humble, mais qui ne s’en est jamais laissé compter.
La bataille de l’informatique du XXIe siècle
Son départ en retraite a été l’occasion d’une seconde vie. Étant mathématicien de formation et informaticien de nature, Maurice a passé le reste de sa vie à essayer de faire comprendre aux politiques que l’avenir de la Nation passait par l’apprentissage de la science informatique dès le lycée. Sur ce plan, il a réussi. Il y aura dépensé beaucoup d’énergie. Une première lettre ouverte au président Sarkozy en 2007, une seconde au président Hollande en 2014 cosignée par tant d’entre nous. Cela finira par donner des fruits avec l’inscription de l’usage des outils numériques en primaire et collèges.
Toutefois, Maurice adressera une troisième lettre ouverte à la ministre Vallaud-Belkacem en 2015. Pourquoi ? Parce que depuis le début de cette lutte, Maurice, comme nous tous, étions certains que la seule issue sérieuse étaient de former un corps d’enseignants agrégés et capésiens en informatique.
Comme pour toutes les autres sciences, c’est une condition sine qua non de formation de qualité en France autant que d’ouverture vers l’industrie par une orientation précoce. Maurice ne verra pas cette réalisation et nous devrons encore nous battre sans lui pour que l’informatique soit enfin enseignée par des informaticiens. C’était son dernier combat que nous devrons honorer.
Jeanpierre Guedon, Professeur des Universités en Informatique, Université de Nantes
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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