Dans le quartier animé de Kowloon, à Hong Kong, Yan Kar-man, 88 ans, se penche sur une mousseline de soie magenta, s’efforçant de transformer ce tissu scintillant en une élégante robe brodée de papillons à col-haut. Il est l’un des derniers tailleurs de cheongsam, un habit féminin emblématique de la Chine du XXe siècle.
Cet homme aux cheveux blancs serait, selon les experts du textile, l’un des dix derniers tailleurs de cheongsams – littéralement « vêtement-long » – de Hong Kong. Au milieu des années 1960, ils étaient environ un millier, selon les archives du syndicat général des tailleurs de Shanghai.
C’est après avoir habillé des générations de femmes, des ménagères aux stars comme Michelle Yeoh et Shu Qi, que Yan Kar-man a enfin décidé de prendre sa retraite, au plus tôt fin septembre.
« Je ne vois plus très bien, mes yeux ne fonctionnent pas bien, et d’ailleurs, moi non plus, je dois prendre ma retraite » a-t-il déclaré à l’AFP en se penchant de plus près vers sa machine à coudre pour fixer une bordure brodée sur la robe.
Il hésite pourtant à donner une date exacte pour la fermeture du magasin, situé à Jordan, un des quartiers commerciaux les plus animés de Hong Kong. M. Yan a encore dix commandes de robes à terminer.
Inspirées des longues robes portées par les Mandchous sous la dynastie chinoise des Qing, et popularisées à Shanghai dans les années 1920, les cheongsams ont dominé la garde-robe des femmes chinoises pendant la majeure partie du XXe siècle.
Le vêtement – également appelée Qipao – reconnaissable à sa fente aux genoux et à sa coupe moulante, est notamment élégamment portée par l’actrice Maggie Cheung dans le film In the mood for love du réalisateur hongkongais Wong Kar-wai.
« Les femmes les portaient pour faire leurs courses au marché », se souvient Yan Kar-man, dont les murs de l’atelier sont recouverts de photos de reines de concours de beauté portant ses robes. Il compte parmi ses clientes plusieurs femmes célèbres.
Né dans la province du Jiangsu, en Chine continentale, M. Yan s’est rendu pour la première fois à Hong Kong en 1949, emmené par son oncle pour travailler en tant qu’apprenti dans un atelier. Sur place, l’adolescent qui avait abandonné l’école s’est découvert un talent.
À l’époque, une robe coûtait « juste quelques dollars (hongkongais) » se souvient M. Yan, tant le commerce des cheongsams était répandu et stable. Mais l’essor du secteur manufacturier à Hong Kong et de la mode occidentale a évincé le cheongsam de l’avant-scène de la mode hongkongaise et a poussé les ateliers de couture à la faillite. Malgré le fait que les techniques de fabrication du cheongsam ont été reconnues comme un héritage culturel en Chine continentale et à Hong Kong, M. Yan considère qu’il a peu de chances de transmettre son métier.
La technique traditionnelle de fabrication de la robe serait « en danger critique d’extinction » selon Brenda Li, une conseillère auprès de la Hong Kong Cheongsam Association. « On ne peut pas vivre de la confection de qipao parce que ce n’est plus la tendance », a déclaré M. Yan. Le maître, qui enseigne également dans un centre d’apprentissage situé à proximité de sa boutique, a affirmé que ses élèves étaient « loin d’être prêts à confectionner de vrais vêtements pour des clients ».
Désormais, les commandes viennent généralement de femmes âgées qui ont besoin d’une robe d’apparat pour le mariage de leur enfant. Chaque vêtement lui demande plusieurs semaines de travail, et le coût revient à quelques milliers de dollars hongkongais (quelques centaines d’euros).
« Combien d’anciens clients y a-t-il encore, et combien de travaux aussi détaillés pouvez-vous réaliser en un mois ? » demande Yan Kar-man, de manière rhétorique. « Ma génération a pratiquement disparu. »
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