Hyperviolence, mexicanisation, territoires perdus, etc. : comment le narcotrafic menace la souveraineté française

Par Germain de Lupiac
4 novembre 2024 06:44 Mis à jour: 4 novembre 2024 08:18

« Point de bascule » face au narcotrafic, « mexicanisation » du pays : Bruno Retailleau a promis à Rennes une « guerre » longue et sans merci contre les trafics de drogue, notamment grâce à un nouveau texte législatif début 2025.

Pour lutter contre le narcotrafic, « soit il y a une mobilisation générale pour ce grand combat qui prendra des années, et on le gagnera, soit il y a la mexicanisation du pays », a déclaré le ministre de l’Intérieur.

« On est à un point de bascule »

« Les narcotrafiquants sont partout, en milieu urbain, mais aussi, je viens de le voir, en milieu rural. Ils n’ont plus de limite. Et on est à un point de bascule, vraiment », a redit le ministre de l’Intérieur lors d’un point presse à l’issue d’une visite à Rennes le 1er novembre 2024.

Cette visite dans la capitale bretonne intervient une semaine après qu’un enfant de 5 ans a été grièvement blessé par balles lors d’un règlement de compte lié à un trafic de stupéfiants dans le quartier de Maurepas.

L’enfant a été blessé de deux balles dans la tête lors d’une course-poursuite à Pacé près de Rennes samedi dernier, alors que la voiture que conduisait son père était prise en chasse par des hommes cagoulés, quelques heures après une première fusillade dans le quartier.

Des renforts de policiers de terrain vont également être envoyés à Maurepas pour pouvoir patrouiller 7 jours sur 7, contre 6 jours sur sept actuellement. Des annonces immédiatement saluées par la maire de Rennes Nathalie Appéré, dans un communiqué.

Une guerre des gangs d’une rare ampleur à Poitiers

« Les ‘narcoracailles’ n’ont plus de limites […]. Ces fusillades, ça ne se passe pas en Amérique du Sud, ça se passe à Rennes, à Poitiers », a déclaré le ministre de l’Intérieur.

À Poitiers, « ça a commencé par une fusillade devant un restaurant et ça s’est achevé par une rixe entre bandes rivales qui a engagé plusieurs centaines de personnes », a relaté le ministre de l’Intérieur, évoquant « 4 à 600 personnes » ayant participé ou assisté à cette rixe, en citant « un compte-rendu du préfet ».

Lors de cette fusillade, cinq personnes ont été blessées dont plusieurs grièvement. Selon une source policière, un adolescent de 15 ans a reçu une balle dans la tête et était entre la vie et la mort. Deux jeunes de 16 ans font aussi partie des blessés graves, selon la même source.

La lutte contre le narcotrafic, « une cause nationale »

Bruno Retailleau a plaidé le 15 octobre à Nanterre en faveur d’une « stratégie globale » contre le narcobanditisme à l’image de ce qui a été fait contre le terrorisme, afin de tenter d’éradiquer les réseaux qui « sont en train d’infiltrer un certain nombre de territoires ».

Lors de son intervention, des paquets de résine de cannabis (une tonne au total) saisis par des enquêteurs étaient installés derrière lui. Le ministre de l’Intérieur a parlé de « volonté politique », de « courage politique » pour bâtir une « stratégie globale » et la doter d’un « arsenal législatif ».

Il a repris à son compte les conclusions de la commission d’enquête parlementaire du Sénat sur le narcotrafic qui, en mai, avait étrillé le gouvernement d’alors, pour n’avoir pas pris la mesure « de l’ampleur de la menace ».

Darmanin avait érigé la lutte contre le trafic de drogue au rang de « mère de toutes les batailles » mais avec des résultats très mitigés. Pour sa part, Bruno Retailleau a dit considérer que la lutte contre le « narcobanditisme devait être envisagée comme une cause, un combat national ».

Une menace contre notre souveraineté

Au-delà de la réponse sécuritaire, le ministre a également réaffirmé sa détermination à « briser l’écosystème » du narcotrafic, notamment en s’attaquant aux consommateurs et à la « culture de la banalisation » de la drogue.

Le gouvernement, a-t-il annoncé, va lancer une campagne de communication très « cash » pour « mettre les consommateurs devant leurs responsabilités ». « Quand on fume, quand on prend de la coke, on participe à un système, à toute une chaîne qui sème la mort partout en France. »

« Moi, je vois bien sur le territoire français, des enclaves, des mini-États, des narco-enclaves qui sont en train de se constituer. Je vois bien, dans les rapports qu’on me fait, s’étendre la toile de la corruption qui menace jusqu’à notre souveraineté », a-t-il lancé plus tôt lors d’un échange avec une habitante de Maurepas.

« Le narcobanditisme », a-t-il insisté, « c’est la racine de l’hyperviolence ».

L’arsenal de réponses proposé par le ministre de l’Intérieur

Le ministre de l’Intérieur a évoqué la création d’un parquet national anti-stup, à l’image du Pnat (parquet national anti terroriste), d’un statut du repenti et d’un cadre pour les indics. Toutes propositions qui faisaient partie de la trentaine présentées par la commission d’enquête.

« Elles peuvent être améliorées », a ajouté M. Retailleau, relevant que la commission était présidée par un sénateur socialiste, Jérôme Durain, et avait pour rapporteur un sénateur LR, Étienne Blanc. Pour lui, cela démontre qu’il est possible « de regrouper les bonnes volontés ».

Il a expliqué que cette action ne pouvait pas être le fait « seulement du ministre de l’Intérieur ». « J’en ai déjà parlé avec Didier Migaud (ministre de la Justice). Ça doit être un travail sous la responsabilité du Premier ministre, Michel Barnier, qui est conscient des efforts qu’il va nous falloir produire. »

« Il doit y avoir pas seulement un changement de degré dans notre action, mais de nature », a dit encore le ministre.

La France en train de perdre la guerre contre le narcotrafic

En 2023, 450 victimes du narcobanditisme ont été enregistrées en France, soit 57 % de plus qu’en 2022.  Un « niveau historiquement jamais atteint », selon le procureur de la République Nicolas Bessone, qui constatait en décembre 2023 une « très forte augmentation des narco-homicides » en lien avec le trafic de drogue, leur nombre ayant plus que doublé en trois ans.

En 2022, 157 tonnes de substances illicites ont été saisies par les forces de l’ordre, dont 128,6 tonnes de cannabis et 27,7 tonnes de cocaïne. On dénombre environ 4000 points de deal en France, toujours plus florissants et plus violents, représentant un marché parallèle de près de 2,7 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel, selon des chiffres de l’Insee.

Selon le secrétaire national du syndicat Unité SGP Police, Jean-Christophe Couvy, interviewé par Epoch Times, « les experts évaluent à 21.000 le nombre d’emplois à temps plein générés par le trafic de drogue. Et au-delà de ces emplois, il ‘occupe’ 240.000 personnes sur tout le territoire. Le narcotrafic est pratiquement la première entreprise française en termes de revenus et en nombre de personnes employées. C’est démentiel. La plupart des ressources humaines des narcotrafiquants proviennent des quartiers. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’ils les enclavent ».

Lors d’une commission d’enquête au Sénat sur l’impact du narcotrafic en France, en mars 2024, l’ancien ministre de l’Économie Bruno Le Maire a souligné qu’il fallait être « lucides sur la présence massive de multiples drogues partout sur le territoire : tous les territoires sont concernés, les grandes villes comme les territoires ruraux, les grandes métropoles comme les petites communes ». Selon lui, la drogue est une des menaces « qui peuvent déstructurer la société française tout entière », a-t-il précisé.

Des semaines plus tôt, des magistrats marseillais tiraient la sonnette d’alarme face à la puissance du narcotrafic devant une commission d’enquête sénatoriale. « Je crains que nous soyons en train de perdre la guerre contre les trafiquants », avait estimé l’une des magistrates, vice-présidente du tribunal chargée de la coordination de la section sur la Criminalité organisée. « Il ne s’agit pas de faire de défaitisme que de dire que nous sommes en train de perdre la lutte contre le narcobanditisme, et contre la criminalité au sens large, si les moyens ne sont pas à la hauteur des enjeux » avait commenté l’Association française des magistrats instructeurs (Afmi).

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