Nous publions ici un extrait du livre de Yaël Nazé : « Astronomies du passé » (Belin)
Les textes indiens, souvent obscurs et cryptiques, n’ont pas facilité la reconnaissance de l’astronomie indienne. Beaucoup l’ont crue subordonnée à l’astronomie gréco-mésopotamienne puis, plus tard, à la science islamique. Pourtant, il semble que la civilisation indienne ait développé sa propre astronomie et effectué ses propres observations.
La plus ancienne source astronomique connue est le Rig Veda, un ensemble de textes sacrés. Ce volume posant les bases de la pensée astronomique indienne a été écrit alors que le Sarasvati était encore une grande rivière majestueuse – or ce cours d’eau s’est asséché en 1 900 av. J.-C. (quoiqu’on date souvent ces textes de 1 500 à 1 000 avant notre ère) !
La science qui y est consignée remonte donc à une époque encore plus ancienne que l’apogée de Babylone ou a fortiori de la Grèce. On y trouve des informations calendaires, notamment le problème d’intercalation d’un mois supplémentaire pour garder le calendrier lunaire en phase avec le Soleil et les saisons.
En outre, le chemin de la Lune y est divisé en naksatras – ces maisons lunaires sont au départ des astérismes situés le long de l’écliptique, mais comme à Babylone ce système est ensuite remplacé par un ensemble abstrait de divisions égales de l’écliptique (équivalent des « signes » du zodiaque) facilitant le travail astronomique.
Ce n’est que plus tard qu’on retrouvera une division de l’écliptique en 12 adityas liés au Soleil. Dans les écrits datant de 1 000 à 500 avant notre ère, ces naksatras (correspondant aux épouses du dieu lunaire Soma) sont clairement identifiées – mais selon les auteurs, elles sont au nombre de 27 ou 28.
À partir de 500 av. J.-C., le calendrier se stabilise, avec une règle d’intercalation bien définie : des années de 366 jours, deux mois intercalaires ajoutés sur un yuga (une période de cinq années). Avec la sédentarisation généralisée et le développement simultané de l’agriculture, l’astronomie prend de plus en plus d’importance ensuite.
Antiques mathématiques
Les premiers modèles mathématiques font alors leur apparition, avec des caractéristiques semblables aux modèles de Babylone : des fonctions linéaires, avec des « corrections » périodiques.
Par exemple, la longueur du jour, en tant que période éclairée de la journée, se calcule avec la fonction zigzag 12 + n × 2 / 61, n étant le nombre de jours avant ou après le solstice d’hiver (selon que la date considérée se situe après ou avant le solstice d’été). Le résultat, exprimé en muhurtas (c’est-à-dire en trentièmes de jour, soit 48 minutes), montre que la durée du jour varie entre 12 et 18, ce qui est valable pour le nord de l’Inde.
Une autre formule donne la variation diurne de la longueur de l’ombre du gnomon (un simple piquet planté verticalement) : 0,5 d/t = 1 + s/g, où t/d représente la fraction de jour écoulé depuis le lever du Soleil ou restant avant le coucher du Soleil, g la longueur du gnomon et s la longueur de son ombre.
Cette formule est également valable au nord de l’Inde, suggérant que c’est là qu’elle a été élaborée en premier. Des relations entre périodes sont également mises en évidence : 1 yuga = 5 années tropiques = 67 mois sidéraux = 1 835 jours sidéraux = 62 mois synodiques = 1 860 tithis (des trentièmes de mois synodiques) = 61 mois savana (des mois civils de 30 jours). En réalité, 62 mois synodiques valent 1 830,90 jours et 67 mois sidéraux correspondent à 1 830,55 jours – l’erreur reste donc assez faible.
« Il semble que ces périodes et modèles mathématiques soient apparus en même temps en Inde et à Babylone, voire légèrement avant au pied de l’Himalaya. De plus, l’analyse des textes anciens a récemment démontré que les Indiens avaient réellement observé le ciel et ne s’étaient pas contentés de recopier des informations grecques ou babyloniennes. Certains soutiennent même aujourd’hui que si influence il y a eu, c’est de l’Inde vers la Mésopotamie, et non l’inverse ! »
De nombreux textes nous restent de cette époque. Il y a les siddhanta, textes en vers permettant de retenir « facilement » les méthodes de calcul (typiquement, un calcul de position moyenne suivi de corrections) et les relations entre les périodes des astres. S’y ajoutent les karanas, qui fournissent des versions simplifiées de ces algorithmes de calcul : les calculs sont alors plus rapides, mais restent valables sur un intervalle de temps moins long (il faut donc les mettre à jour régulièrement).
Enfin, les démonstrations et explications sont fournies dans des textes de commentaires, cette fois rédigés en prose. Après les conquêtes d’Alexandre le Grand, l’astronomie grecque fait son entrée en Inde. L’astronomie hindoue classique atteint ensuite son apogée vers le Ve siècle de notre ère, avec trois branches : l’astrologie d’origine grecque, la « connaissance indienne des phénomènes », et l’astronomie mathématique.
Cette dernière permet de calculer les circonstances des éclipses, les phases de la Lune, les moments des levers ou couchers héliaques, les positions des planètes, etc.
Le plus grand astronome indien de l’époque, Aryabhatta, né en 476, utilise dans ses modèles des constantes bien plus précises que celles alors en vigueur en Occident ; il introduit également la fonction sinus telle qu’on la connaît aujourd’hui et il donne des procédures pour calculer la longitude du Soleil, de la Lune et des planètes qui constituent en fait les bases de la trigonométrie sphérique.
Aryabhatta se montre aussi très moderne en défendant une théorie héliocentrique, 1 000 ans avant Copernic et Galilée ! Précisons toutefois que l’on ne sait pas s’il l’a inventée lui-même ou s’il a repris une idée ancienne, probablement d’origine grecque. Ses successeurs rejetteront néanmoins cette théorie, et la Terre retourna au centre. Toutefois, il faut souligner que Kelallur Nilakantha Somayaji (1444-1544) modifie les modèles, utilise des excentriques pour les planètes internes… et finit par arriver à un modèle géo-héliocentrique (les planètes tournant autour du Soleil, avec ce dernier en orbite autour de la Terre), similaire à celui adopté par Tycho Brahe bien plus tard ! Enfin, au XIIIe et XIVe siècles, les musulmans installent le sultanat de Delhi, introduisant alors leur astronomie en Inde. Ils n’en sortiront pas indemnes : l’Inde leur fournira le zéro ainsi que les bases de la trigonométrie moderne ! En retour, les Indiens adopteront les tables astronomiques, bien plus pratiques que les longues versifications des siddhanta.
Monuments indiens et astronomie
Les traces de l’intérêt des Indiens pour l’astronomie se retrouvent dans le bâti. Ainsi, il existe des hiérophanies dans de nombreux temples indiens. Dans le temple de Gavi Gangaghreswara à Bangalore, une idole de Shiva située dans une grotte était illuminée par le Soleil au solstice d’hiver et deux disques de 2 m de diamètre sont alignés sur le coucher de Soleil au solstice d’hiver.
Le temple de Vidyasankara de Sringeri comporte, quant à lui, douze piliers marqués des signes du zodiaque. De manière générale, de nombreux temples comportent des alignements sur les directions cardinales ou liées au solstice d’hiver ; on retrouve aussi quelques structures marquant le passage du Soleil au zénith.
Toutefois, le plus connu des bâtiments astronomiques n’est pas un temple mais… un observatoire, celui de Jaipur ! Véritable « aimant à touristes », il ferait presque oublier qu’il appartient à un ensemble plus vaste de cinq observatoires imaginés par Sawai Jai Singh II (1688-1743), maharadjah d’Amber et Jaipur. Ce lettré haut placé avait remarqué que les observations ne correspondaient pas parfaitement aux tables alors en vigueur, comme les zij d’Ulug Beg. Il demanda alors la permission à l’empereur moghol de corriger les erreurs d’éphémérides, et pour ce faire, il fit bâtir cinq observatoires dans cinq villes différentes : Shahjahanabad (Delhi), Ujjain, Mathura, Varanasi, et bien sûr Jaipur, la capitale qu’il s’était choisie.
Il y installa une panoplie d’instruments classiques de l’astronomie indienne comme des cadrans solaires de différents types et un sextant mural,mais aussi une série de 12 quadrants de pierre (probablement utilisés pour repérer le passage au méridien de certaines étoiles du zodiaque), et des « bols » et autres structures (piliers, arcades) destinées à déterminer les coordonnées célestes (azimuts, hauteur sur l’horizon, coordonnées équatoriales, etc.).
Une particularité de ces instruments : leur taille imposante ! Sawai Jai Singh II était persuadé que seuls des instruments géants atteindraient la précision recherchée. Des cadrans solaires de plus de 20 m de haut sont ainsi placés à Shahjahanabad et Jaipur, tandis que le sextant de Shahjahanabad mesure plus de 8 m de rayon ! L’observatoire de Mathura fut hélas détruit durant la première moitié du xixe siècle, mais les quatre autres ont survécu et sont désormais bichonnés grâce à diverses rénovations.
Yaël Nazé, Astronome à l’Institut d’astrophysique et de géophysique, Université de Liège
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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