Dans le contexte de l’inflation galopante, le directeur de l’Insee, Jean-Luc Tavernier revient dans son interview avec Le Parisien sur les résultats d’une étude publiée par l’institut en juillet sur la « privatisation matérielle et sociale ». Il prédit que l’« on peut s’attendre à une hausse de la pauvreté et de la précarité » pour le compte de l’année 2023. Pendant ce temps, de nombreuses associations de lutte contre la pauvreté en France alertent sur la forte hausse du nombre de demandes d’aide.
Depuis dix ans, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) mène chaque année une enquête pour évaluer le taux des Français en situation de « privatisation matérielle et sociale ». En 2022, cette « proportion était de 14 % en France, [soit 9 millions de personnes] : c’est le plus haut niveau depuis la création de cet indicateur en 2013 », a déclaré au Parisien Jean-Luc Tavernier, directeur général de l’institut.
Selon la définition de l’Insee, une personne est dite en situation de « privatisation matérielle et sociale » si elle ne peut « pas couvrir les dépenses liées à au moins cinq éléments de la vie courante parmi treize ». D’après Jean-Luc Tavernier, « parmi les privations qui augmentent le plus, 9,4 % des personnes interrogées [en 2022] déclarent qu’elles ne peuvent pas, pour des raisons financières, manger de la viande ou du poisson tous les deux jours ; 10 % ne peuvent pas s’acheter de vêtements neufs. Et une sur dix n’a pas les moyens de chauffer correctement son logement ».
Cette proportion de « privation matérielle et sociale » est à distinguer du taux de pauvreté, défini par la proportion des Français qui touchent « moins de 60 % du revenu médian par mois », « soit moins de 1 100 € ». L’indice de « privation matérielle et sociale » n’est donc pas basé sur le revenu, mais il mesure l’impact du coût de la vie sur le quotidien des Français. Or, « tout le monde ne vit pas l’inflation de la même manière, elle peut être ressentie plus fortement lorsque l’alimentaire représente une plus grosse part du budget, ce qui est le cas des plus modestes », selon Jean-Luc Tavernier. D’où le résultat a priori assez surprenant de l’enquête publiée fin juillet par l’Insee sur la « privatisation matérielle et sociale » des Français : « Parmi les personnes qui déclarent subir des privations faute de moyens financiers, la moitié est au-dessus du seuil de pauvreté. » Mais en fait, l’indicateur sur la « privatisation matérielle et sociale » vient compléter celui de mesure de la pauvreté tel que mesuré par l’Insee qui est un indicateur relatif : si tous les revenus de la population doublaient, vous auriez toujours le même nombre de personnes en deçà de 60% du revenu médian, et donc le même nombre de pauvres alors que le niveau de vie a doublé. Ainsi, l’indicateur de l’Insee sur la pauvreté reflète plus des inégalités de revenu. Certains pays comme les États-Unis, ont préféré choisir un seuil monétaire absolu calculé selon certains critères familiaux et réévalué en fonction de l’inflation.
« 47 % des ménages déclaraient avoir changé leurs habitudes de consommation alimentaire »
L’étude de l’Insee sur la précarité « matérielle et sociale » a mis en évidence que la hausse du coût de l’énergie et l’inflation alimentaire sont deux facteurs principaux qui « ont conduit à des comportements de sobriété et une réaction aussi de baisse de consommation ».
En même temps que les prix de l’électricité et du carburant explosent, le taux des personnes déclarant ne pas avoir les moyens financiers pour chauffer adéquatement leur logement double entre 2018 (5%) et 2022 (10%). Cependant, cela n’a rien de surprenant pour Jean-Luc Tavernier, car « ce qu’on a vu sur le passé et pas mal commenté, ce sont les baisses de consommation dans les branches des secteurs où les prix ont le plus augmenté ». Mais la « baisse de la consommation de produits alimentaires » est un phénomène « inédit », d’après le directeur de l’Insee.
« En juin dernier, selon nos enquêtes mensuelles, 47 % des ménages déclaraient avoir changé leurs habitudes de consommation alimentaire », précise dans Le Parisien Jean-Luc Tavernier. « Cela peut être en changeant de gammes de produits, ou de magasins. Il n’y a pas que les pauvres, mais aussi tous ceux qui décident de faire plus attention. La proportion est en hausse de 10 points depuis décembre 2022 », continue le directeur de l’Insee, avant de prédire : « Il faudra du temps avant d’avoir une estimation fiable pour 2023. [Mais] on peut s’attendre à une hausse de la pauvreté et de la précarité. »
Plus de demandes d’aides auprès des associations de lutte contre la pauvreté
« En août 2023, les prix à la consommation augmentent de 1,0 % sur un mois et de 4,9 % sur un an », selon la dernière publication à date sur l’inflation de l’Insee. L’un de ses principaux moteurs reste en effet le prix des produits alimentaires, qui a bondi de 11,2% sur un an le mois dernier, une envolée légèrement moins rapide qu’en juillet (12,7%) mais qui demeure très élevée.
Dans ce contexte, les Restos du Cœur constatent également au niveau national une hausse significative du nombre de demandes d’aide : l’association a déjà accueilli 1,3 million de personnes en 2023, contre 1,1 million sur l’ensemble de l’année dernière. En parallèle, ses coûts de fonctionnement s’alourdissent, notamment celui de ses achats de produits alimentaires, redistribués ensuite gratuitement aux bénéficiaires.
« C’est une situation extrêmement complexe, qu’on n’a jamais connu aux Restos », et qui a plongé leurs comptes dans le rouge, indique début septembre à l’AFP Patrice Douret, président des Restos du Cœur. « C’est un véritable crève-cœur, nous allons devoir massivement dire non à des personnes que nous aurions pu accueillir avant l’inflation », mais « nous n’avons pas le choix », souligne Monsieur Douret. Ce dernier appelle ainsi à « une mobilisation massive » des pouvoirs politique et économique pour aider l’association à « franchir ce cap difficile ».
Les Restos du Cœur, qui assurent 35% de l’aide alimentaire en France, se sont résignés à réduire cet hiver le nombre de bénéficiaires. Pour cela, l’association va baisser le seuil du reste à vivre (montant des revenus disponible après la déduction des charges fixes, comme le loyer, l’électricité) permettant une inscription.
Contactées par l’AFP, d’autres grandes associations de lutte contre la pauvreté observent cet afflux de demandes d’aide, mais n’envisagent pas pour l’heure de restreindre leur action. Au Secours Populaire, les demandes d’aide progressent « de 20 à 40%, selon les territoires ». Une situation « très inquiétante », selon Houria Tareb, secrétaire nationale : « On manque de moyens humains et financiers. »
A la Croix-Rouge, les demandes d’aide alimentaire ont progressé de 7% au premier semestre, par rapport à la même période l’an dernier, également marquée par un bond des demandes. « La tendance se perpétue, on est encore capable de répondre grâce à nos donateurs mais il ne faudrait pas que cela continue », commente auprès de l’AFP Audrey Boursicot, responsable du programme de lutte contre la précarité alimentaire.
Plusieurs autres associations travaillent sur des solutions pour continuer de s’approvisionner, tout en préservant leurs finances. L’Armée du Salut, qui a « pratiquement doublé » l’aide alimentaire qu’elle apporte par rapport à la période d’avant la crise sanitaire, tente par exemple de passer des accords avec des agriculteurs.
L’AFP a contribué à cet article.
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