Les tentatives d’ingérences étrangères se multiplient avec le récent scandale d’espionnage chinois au parlement européen, les cyberattaques contre des parlementaires ou encore les campagnes d’intimidation et de désinformation sur le sol français.
« Ces puissances autoritaires cherchent par tous les moyens à déstabiliser et affaiblir les démocraties occidentales » a déclaré la députée Renaissance Constance Le Grip, rapporteure de la Commission sur les ingérences étrangères. Ces puissances extérieures « mènent contre les sociétés démocratiques une guerre hybride, de manière insidieuse, sournoise et systémique », selon la députée.
L’ouvrage « Les opérations d’influences chinoises : un moment machiavélien », publié en janvier 2024 aux éditions des Équateurs, analyse les différents moyens tentaculaires utilisés par le régime chinois pour déstabiliser les fondements de nos démocraties.
La « stratégie de la dernière chance » du régime chinois
Issu d’un rapport de l’Irsem, un organisme de recherche stratégique du ministère des Armées, l’ouvrage détaille méticuleusement comment la Chine veut façonner l’environnement mondial en suivant ses propres intérêts, en enrôlant, notamment en France, des médias ou des personnalités de premier plan.
Les auteurs, Paul Charon, directeur du domaine Renseignement, anticipation et stratégies d’influence de l’Irsem et Jean-Baptiste Jeangène-Vilmer, docteur en science politique et en philosophie, ancien directeur de l’Irsem et actuel ambassadeur de France au Vanuatu, ont agrégé une somme impressionnante d’entretiens dans une vingtaine de pays, d’analyses de sources chinoises et de travaux de recherche, pour montrer que le Parti communiste chinois (PCC) est entré depuis 2017 dans un « moment machiavélien », voyant plus d’intérêts à être craint et se montrer coercitif vis-à-vis du reste de la communauté internationale, qu’à être aimé.
« Ils ont le sentiment qu’une fenêtre d’opportunité s’est ouverte et qu’il faut la saisir car elle peut se refermer dans dix ans, ils savent que leur pays ne sera pas toujours aussi fort et aussi stable, que la population vieillit, qu’elle n’a pas de système de retraite, que les pouvoirs locaux sont surendettés ; or face à eux, s’ils ont la certitude que l’Europe est décadente pour longtemps […] il leur faut imposer leur tempo maintenant », explique Paul Charon au Figaro. En d’autres termes, le PCC est dans une « stratégie de la dernière chance » pour dominer l’ordre mondial et ne se formalise plus des règles internationales pour y arriver, même si sa propagande affirme le contraire.
Les opérations d’influence chinoises sont pilotées depuis la Chine via le département de Propagande, le Bureau 610 (une gestapo chinoise chargée de traquer les dissidents en Chine et dans le monde entier), l’Armée populaire de libération et des entreprises publiques et privées travaillant à la solde du régime communiste. Ces opérations reposent également sur le ministère de la Sécurité de l’État, le service de renseignement le plus important au monde, constitué de plus de 200.000 agents et structuré en 18 unités chargées de superviser l’espionnage à l’étranger.
« Ils se sentent menacés par la démocratie, c’est ontologique. Ils ont un besoin vital de démontrer qu’elle est inférieure à leur système de gouvernement » insiste Paul Charon. Constat partagé par la députée Constance Le Grip : « Ces ingérences ont pour but de nous déstabiliser et de détruire le climat de confiance de nos processus démocratiques, de nos processus électoraux et de nos médias. »
Les institutions occidentales menacées
Les opérations d’influence se manifestent sur le sol français de façon agressive et coercitive. Elles utilisent les diasporas, les médias, les partenariats économiques et politiques en infiltrant les sociétés civiles, l’éducation, les universités, la culture, les think tanks, les agences media, etc. Selon Jean-Philippe Tanguy, président de la Commission d’enquête sur les ingérences étrangères à l’Assemblée nationale, « la Chine est beaucoup plus dangereuse que la Russie ». Fin 2023, Bernard Émié, ancien directeur de la DGSE, tirait la sonnette d’alarme suite à des opérations d’envergure du régime chinois ciblant la France. Selon lui, les journalistes, les militaires et les parlementaires sont particulièrement visés par le PCC, ainsi que la recherche et les entreprises de pointe.
Récemment, 7 députés et sénateurs français, membres de l’Alliance interparlementaire sur la Chine (IPAC), ont été ciblés par des cyberattaques du groupe de pirates chinois APT31. « Cette attaque visait 116 parlementaires issus de 15 pays, tous membres de l’IPAC appartenant à différents horizons politiques, qui suivent attentivement, sans complaisance, les actions du régime de Pékin et du parti communiste chinois (PCC) », a déclaré le sénateur des Français de l’étranger, Olivier Cadic, comptant parmi les 7 parlementaires français concernés.
Lors d’une conférence de presse au Sénat le 6 mai, le sénateur alertait de la « légèreté » de la réponse des autorités face à ce qu’il a qualifié d’acte de guerre. « Nous n’acceptons pas d’être attaqués depuis Pékin parce que nous défendons une vision de la démocratie et de la protection des droits humains » a-t-il déclaré suite aux attaques des hackers chinois contre l’Assemblée nationale et le Sénat.
Les fondations de la démocratie en question
Ces opérations d’influence s’attaquent aussi aux médias en France. Selon le rapport de Reporters sans Frontières (RSF), « Le nouvel ordre mondial des médias selon la Chine », le journalisme à l’occidentale est vu par les autorités chinoises comme un contre-pouvoir et une volonté d’imposer les valeurs universelles et la démocratie – ce qui est un véritable danger pour le PCC.
Selon le Monde, en 2011, le président de l’agence d’État chinois Xinhua – partenaire aujourd’hui avec l’AFP et le Figaro, théorisait dans le Wall Street Journal le concept de « nouvel ordre mondial des médias ». Sa stratégie était d’imposer l’idée d’un droit pour chaque pays de « prendre part aux communications internationales sur un pied d’égalité », dans le respect des « spécificités culturelles, des coutumes, des croyances et des valeurs » de chaque nation. En d’autres termes, les valeurs universelles de démocratie et de liberté individuelle ne peuvent être opposées à la Chine, bien que celle-ci cherche par tous les moyens à les saper. D’autre part, les médias des pays démocratiques doivent s’aligner sur les « valeurs » du PCC, dans le traitement de leur information. Sous tous les aspects, l’Occident est perdant.
« Dans l’esprit du régime de Pékin, les journalistes n’ont pas vocation à être un contre-pouvoir mais au contraire à servir la propagande des États, » a déclaré Christophe Deloire concernant le rapport de RSF. « Si les démocraties ne résistent pas, Pékin fera en sorte d’imposer son anti-modèle et la propagande ‘à la chinoise’ envahira peu à peu les médias du monde, faisant concurrence au journalisme tel que nous le connaissons » précise le secrétaire général de l’ONG de défense de la liberté de la presse.
En plus d’infiltrer les médias par des partenariats éditoriaux, le PCC achète des articles par l’intermédiaire d’agences média afin de publier la propagande du PCC et d’en faire ensuite la promotion. Il s’agit d’une part de diffamer tous les relais médiatiques abordant la question des droits de l’homme en Chine et ce que le régime chinois considère comme les « cinq poisons » (les Ouïghours, les Tibétains, le Falun Gong, les « militants pro-démocratie » et les « indépendantistes taïwanais »), et d’autre part, de produire un discours positif sur la « prospérité, la puissance et l’émergence pacifique » de la Chine, même si cela est basé sur des données faussées. Selon Paul Charon, il y a une « russianisation » des pratiques chinoises, notamment en termes de manipulation de l’information pour s’attaquer directement aux fondements de nos démocraties.
Ces opérations d’influence s’attaquent également à la culture voulant empêcher la tenue de spectacles ou d’expositions en France. En octobre 2020, une exposition consacrée à Gengis Khan, fondateur de l’Empire mongol, qui devait avoir lieu au Musée d’histoire de Nantes, a été annulée après une intervention des autorités chinoises pour la censurer. « Nous voulions dépasser l’image archétypale du barbare qui détruit tout sur son passage, comprendre comment l’instauration de la pax mongolica a permis l’essor du commerce, le développement des échanges botaniques ou artistiques, l’apparition de nouvelles pensées », expliquait Bertrand Guillet, directeur de l’établissement, au Nouvel Obs.
Le 7 mai 2024, c’est la salle de spectacle du Galaxie d’Amnéville qui a reçu un e-mail de fausse alerte à la bombe d’un expéditeur chinois inconnu, exigeant l’annulation du spectacle Shen Yun. Le spectacle de danse classique chinoise est une cible privilégiée du régime depuis des années car il retrace les 5000 ans de la culture chinoise, montrant une Chine avant l’arrivée du communisme.
La fin d’un cycle
Lors de son discours, le soir du 6 mai à l’Élysée, pour les 60 ans des relations bilatérales entre la France et la Chine, le président Emmanuel Macron a déclaré que « les 60 ans marquent la fin d’un cycle et le début d’un nouveau cycle » pour les Chinois, voulant indiquer aussi, selon certains analystes, la fin d’un cycle dans les relations entre la France et la Chine.
« Le choix de la Chine ces dernières années est celui de l’agressivité, être craint plutôt que séduire. La conséquence en est une dégradation durable de son image à l’étranger » concluent les auteurs de l’ouvrage « Les opérations d’influence chinoises », précisant qu’ils font une différence entre le régime chinois d’un côté et la Chine et le peuple chinois de l’autre : « Le problème n’est pas « la Chine », elle n’est pas un « ennemi » (c’est au contraire le Parti qui divise le monde en « amis » – ceux qui défendent ses intérêts – et « ennemis » – ceux qui osent le critiquer)» ont-ils déclaré.
Selon Paul Charon et Jean-Baptiste Jeangène-Vilmer, cette stratégie chinoise tentaculaire est souvent inefficace voire contreproductive. Reste à l’Occident de prendre la mesure de ce nouveau visage de « rival systémique » de la Chine et d’utiliser comme arme, face aux régimes autoritaires, ses propres valeurs démocratiques.
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