Partout dans le monde, le régime chinois s’est associé à des universités et des académies pour installer des centres linguistiques connus sous le nom d’instituts Confucius (IC). S’inspirant du nom du plus célèbre philosophe chinois, Pékin présente ces centres comme une passerelle éducative vers la langue, la culture et l’histoire du pays.
Le rapport d’un groupe de réflexion militaire français donne l’alerte, les centres Confucius sont loin d’être inoffensifs.
Servant à véhiculer la propagande et la censure du Parti communiste chinois dans des établissements étrangers et auprès de leurs étudiants, ils mettent en péril le principe de liberté académique et l’intégrité des milieux universitaires.
Selon un rapport du mois de septembre de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM), le régime offre aux universités qui accueillent les instituts Confucius (IC) de généreuses compensations financières. Une fois établis, les instituts Confucius imposent l’autocensure tout en promouvant la doctrine du PCC auprès des étudiants.
Depuis quelques années, face aux critiques croissantes des responsables occidentaux, des chercheurs et du grand public, de nombreuses universités à travers le monde ont fermé leurs IC.
Le PCC a donc cherché à transformer leur image et à masquer leur étroite correspondance avec le régime. Dans certains cas, les établissements ont adopté de nouveaux programmes de chinois, aux intitulés inédits, mais en réutilisant les mêmes manuels, en assurant les mêmes cours, en faisant appel au même personnel, et surtout en préservant les financements en provenance de Pékin.
Changement d’image
Selon le rapport, c’est à partir de juillet 2020 que Pékin tente de rafraichir l’image de ses instituts. Jusque-là, le régime a coordonné et établi les IC par le biais d’une organisation appelée Hanban. Celle-ci, récemment rebaptisée, s’appelle désormais CLEC (Centre d’éducation et de coopération linguistiques). Pékin crée également une ONG appelée CIEF (Chinese International Education Foundation) pour contrôler les IC localement.
Selon le média d’État Global Times, la manœuvre a pour but de « dissiper l’interprétation occidentale erronée selon laquelle l’organisation sert de machine à vendre l’idéologie de la Chine ». Il n’en reste pas moins que le CLEC est une institution gouvernementale affiliée au ministère chinois de l’Éducation supervisée par le département de la propagande du PCC.
Rachelle Peterson, chercheuse au National Association of Scholars (Association nationale des universitaires), une association basée aux États-Unis, est une spécialiste des IC. Selon elle, bon nombre des universités ont abandonné les IC dans le seul but de préserver les apparences. Ainsi, déclare-t-elle sur Fox News, en mars, que certaines universités ayant fermé les instituts finissent simplement par « les remplacer par d’autres organisations qui conservent une grande partie des programmes des instituts Confucius ».
L’université d’État de San Diego (SDSU) en est un exemple. Son IC est officiellement fermé à l’été 2019. L’université invoque alors une nouvelle réglementation fédérale selon laquelle « toute institution recevant des fonds du ministère de la Défense doit supprimer ses instituts Confucius ».
Cependant, en août de la même année, la SDSU annonce la création d’un nouveau centre de culture chinoise, situé dans le même bâtiment que l’IC à peine fermé. L’ancien directeur de l’IC « aidera à diriger le nouveau centre culturel chinois », apprend-on. Enfin, la SDSU réutilise le matériel d’enseignement précédemment offert par le Hanban.
L’IC, quant à lui, trouve un nouveau foyer dans une université privée de San Diego, la San Diego Global Knowledge University, où il prend un nouveau nom : l’Institut Confucius de San Diego (SDCI).
La page À propos du site web du SDCI reprend le nouveau nom du Hanban et indique que le SDCI a été « créé en collaboration avec le Centre pour l’éducation et la coopération linguistiques… Grâce à un partenariat académique avec l’Université de Xiamen, le SDCI espère renforcer la coopération éducative et culturelle… dans la grande région de San Diego et en Basse-Californie dans son ensemble ».
La page indique également que « le SDCI porte un intérêt particulier à l’éducation des élèves de la maternelle à la 12e année et à la formation des enseignants », faisant référence à la dizaine de « salles de classe Confucius » situées dans des écoles primaires et secondaires dans la région du Grand San Diego, créées par l’IC alors qu’il faisait encore partie de la SDSU.
En outre, son site Web indique que « le SDCI est administré par le San Diego Global Educational Institute (SDGEI) », une société à but non lucratif basée en Californie. Le président de l’université privée qui accueille désormais l’IC est également le président du conseil d’administration de cette société à but non lucratif.
Pour changer d’image, les IC changent de noms. Ainsi, aux États-Unis, ils sont désormais rebaptisés Asia Society Chinese Language Partner Network (Réseau de partenaires de langue chinoise de la Société Asiatique), comme l’indique un rapport publié en août par l’American Security Institute, intitulé « China’s Global Supply Chain » (La chaîne d’approvisionnement mondiale de la Chine) (PDF). Ce changement intervient en septembre 2020, initié en partenariat avec la Société asiatique, un organisme à but non lucratif basé à New York, précise le rapport.
Des dons généreux, sous conditions
Au cours des deux dernières décennies, des centaines d’universités dans le monde ont accueilli des IC, établis grâce aux financements du régime chinois.
Selon le rapport, le succès des IC n’est pas sans liens avec les enveloppes financières généreuses de Pékin. Pour les inciter à accueillir les IC, le PCC fournit aux universités étrangères un financement annuel allant de 100 000 $ à plusieurs millions de dollars. Par la suite, il envoie ses propres professeurs de chinois, du matériel pédagogique gratuit et propose son programme d’études conçu par le Hanban. Dans certains cas, l’accueil de l’IC peut résulter sur la construction gratuite du bâtiment dédié au centre linguistique.
Ces avantages, cependant, sont assortis de conditions, rappelle le rapport.
Les universités, de peur d’offenser leur partenaire commercial chinois, commencent à s’autocensurer, se tiennent à l’écart des recherches et des discussions jugées tabous par le PCC, comme le Tibet, Taïwan ou le Falun Gong. Les conférenciers invités qui sont jugés controversés par le régime sont également mis de côté.
Le rapport souligne que bon nombre d’universités dotées d’un IC pratiquent l’autocensure dans le but d’apaiser Pékin.
En 2008, l’université de Tel Aviv décide de stopper une exposition consacrée au Falun Gong suite à une menace financière formulée par le consulat chinois.
En 2009, l’université d’État de Caroline du Nord annule une visite du dalaï-lama, le directeur chinois de l’IC avisant qu’un tel événement « nuira » aux relations avec le Hanban.
En 2013, la prestigieuse Université de Sydney elle aussi « annule la visite du [dalaï-lama] pour éviter de nuire à ses liens avec la Chine, y compris au financement de son Institut Confucius ».
En 2014, la directrice du Hanban, alors invitée à la conférence annuelle de l’Association européenne d’études chinoises à l’université du Minho au Portugal, exige que les programmes de la conférence soient expurgés de plusieurs pages mentionnant des institutions taïwanaises.
En septembre 2018, l’université Victoria à Melbourne, en Australie prévoit de projeter le film intitulé Au nom de Confucius. Le film explore l’instrumentalisation des centres par le PCC. Mais, lorsque le directeur chinois de l’IC envoie un courriel au doyen des affaires financières soulignant « l’intérêt » du consulat chinois pour cette projection, celle-ci est brusquement annulée.
Atteinte aux droits des enseignants
Un rapport de 2017 de la National Association of Scholars (NAS) intitulée « Outsourced to China » (Sous-traité en Chine), indique que les accusations les plus courantes à l’encontre des IC portent sur son manque de transparence quant à sa relation avec le régime chinois, ainsi que sur son atteinte à la liberté d’expression et de croyance religieuse des enseignants.
Le rapport indique que les critères d’admissibilité du Hanban pour les enseignants ont longtemps stipulé qu’ils ne devaient en aucun cas avoir un « antécédent de participation au Falun Gong. ». Une close qui disparait cependant de la version anglaise du site Web du Hanban lorsqu’un enseignant chinois basé au Canada, pratiquant de Falun Gong, accuse l’organisation de discrimination en 2011. Le Falun Gong, ou Falun Dafa, est une pratique spirituelle qui est sévèrement persécutée par le PCC depuis plus de vingt ans.
Le rapport de la NAS indique d’autres critères d’éligibilité, notamment « une bonne qualification politique et professionnelle ». Selon un ancien diplomate chinois ayant fait défection en Australie mentionné dans le rapport français, dans le langage du PCC, une bonne qualification politique signifie « être fidèle pour toujours au PCC ».
D’autres aspects rendent la présence d’un IC problématique pour les universités, notamment la proscription des discussions et débats universitaires libres.
« Même les experts les mieux établis en études chinoises peuvent se trouver isolés et en désaccord avec leurs collègues lorsqu’ils soulèvent des inquiétudes », écrit le professeur Christopher Hughes, spécialiste de la Chine à la London School of Economics, dans un document de 2014. « Le pire des cas est celui où les universitaires qui ne se sentent plus en mesure de travailler dans une université qui ne respecte pas leurs normes professionnelles souffrent d’ostracisation, sont exclus par l’université qui [peut] leur refuser une promotion [par exemple]. »
Les campagnes d’influence malveillantes peuvent également se propager au-delà des campus. En avril 2021, le directeur de l’IC de Bratislava, en Slovaquie, écrit une lettre de menace au directeur général du Central European Institute of Asian Studies (CEIAS), selon un rapport d’Euractiv. Ainsi écrit-il : « Dormez-vous bien ? Vous devriez être très stressé lorsque vous marchez dans la rue. »
La lettre fait suite à une enquête du CEIAS sur la présence chinoise dans les universités slovaques révélant que la coopération avec les entités chinoises manque de transparence.
Les éducateurs des IC doivent enseigner la vision du monde du PCC et sa version de l’histoire. Le rapport français indique que le Hanban a développé tout le matériel pédagogique, et formulé un programme d’études en accord avec les projets du PCC. Il note que la propagande chinoise, bien que peu sophistiquée, peut être efficace sur les jeunes qui n’ont pas la capacité de discerner le vrai du faux.
Le rapport cite un documentaire animé sur la guerre de Corée, dans lequel les États-Unis aux côtés de la Corée du Sud combattent le régime chinois soutenant la Corée du Nord. L’animation offre une version du conflit propre à la propagande de Pékin : les États-Unis ont manipulé le Conseil de sécurité des Nations unies et le PCC est entré en guerre pour résister à l’agression américaine. Une fois que cette vidéo est exposée au public, le Hanban la supprime de son site Web ; toutefois, des enregistrements sont mis en ligne sur YouTube.
Fermetures
L’objectif du PCC était de créer un millier d’IC à travers le monde d’ici 2020. Cependant, selon le rapport français, depuis 2018, le site web du Hanban n’a pas mis à jour le nombre total d’IC dans le monde, qui est resté à 541.
Selon un décompte de la NAS, rien qu’aux États-Unis, 67 IC ont fermé depuis 2017, au 9 septembre 2021 il n’en restait que 36.
La tendance se reflète à l’étranger.
Par exemple, l’Institut Confucius de Lyon (ICL) en France fermera en septembre 2013, à la suite d’un désaccord d’un an entre les administrateurs lyonnais et le Hanban. L’ICL a été créé en 2009. Pendant trois ans, les administrateurs basés à Lyon refusent d’intégrer l’ICL à l’université, d’inclure l’ICL dans les activités d’enseignement et de recherche de l’université.
En septembre 2012, le Hanban affecte un nouveau directeur chinois à l’ICL. Celui-ci insiste fortement pour que l’ICL intègre véritablement l’université, tente d’établir des partenariats avec des centres de recherche en sinologie, promet des bourses aux doctorants désireux d’étudier en Chine, exhorte que l’ICL participe aux enseignements diplômants.
Les administrateurs de Lyon n’accèdent à aucune de ces demandes. Le directeur général du Hanban exige alors la démission du président du conseil d’administration de l’ICL et suspend le financement de l’institut sans préavis. Finalement, les administrateurs de Lyon décident de le fermer.
La Nouvelle-Galles du Sud, en Australie, fermera également son IC.
Le Hanban établit l’Institut Confucius de Nouvelle-Galles du Sud (NSWCI) au sein même du ministère de l’Éducation de cet état, c’est un cas unique au monde. Le NSWCI gère une douzaine de salles de classe Confucius dans des écoles publiques du primaire et du secondaire auxquelles le Hanban verse une subvention annuelle d’au moins 10 000 $.
Selon une enquête des médias australiens, lors de l’ouverture des classes, le directeur régional du ministère de l’Éducation, le Dr Phil Lambert, décourage ouvertement les discussions sur des sujets controversés tels que le bilan de la Chine en matière de droits de l’homme, le Tibet ou le massacre de la place Tiananmen.
Dans certaines écoles, la participation à la classe Confucius est obligatoire, ce qui contrarie certains parents qui décrivent ces cours comme une « infiltration du PCC dans le système scolaire public ».
À la suite de la polémique, l’État met fin au programme en décembre 2019.
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