L’invasion russe de l’Ukraine a d’importantes conséquences humaines, matérielles, sociales, environnementales et culturelles. Cette tragédie affecte tout spécialement les femmes et les enfants, les contraignant à un exode important. Cela inclut les femmes ukrainiennes enceintes à la suite d’une gestation pour autrui (GPA) et les nouveau-nés issus de cette pratique.
L’Ukraine est considérée comme le principal centre européen de la GPA et le deuxième au monde après les États-Unis. L’invasion russe a mis en exergue les pratiques transfrontalières liées à la GPA, la faiblesse du réseau commercial ukrainien et la vulnérabilité du groupe le plus exposé : les mères porteuses et les nouveau-nés. L’absence de réglementation internationale peut conduire à des situations proches de l’esclavage dans des contextes de guerre et de catastrophe.
La notion « gestation pour autrui » implique une participation essentielle de la femme qui porte l’enfant d’un autre couple. Ce qui est substitué n’est pas la maternité, mais bien la gestation, en tant que processus biologique dans une période déterminée. Car la maternité est un processus physique, psychologique, biologique, chimique et émotionnel qui n’a pas de date d’expiration.
Par conséquent, la gestation pour autrui est le processus qui fait appel à la technique de la procréation médicalement assistée (PMA) et qui, par le biais d’un contrat, soutient une femme (la mère porteuse) qui mènera une grossesse à terme sur demande. Après la naissance, le bébé doit être remis à un tiers (les parents d’intention). À cette fin, la mère porteuse renonce à ses droits parentaux.
J’étudie le débat entre ceux qui préconisent de réglementer cette pratique et ceux qui souhaitent qu’elle soit interdite. Je rends également compte des conséquences de l’absence de réglementation internationale, notamment du point de vue du respect des droits humains des parties les plus vulnérables : la mère porteuse et le bébé.
Comment fonctionne l’industrie transnationale ?
Au départ, la technique de la procréation assistée a été présentée comme une manière de remédier aux problèmes d’infertilité. Aujourd’hui, sa pratique a connu une croissance exponentielle et s’est transformée en une macro-industrie transnationale.
Le développement de centres spécialisés dans différents pays a accru le tourisme reproductif ou soins reproductifs transfrontaliers. On entend par tourisme reproductif la pratique consistant pour des personnes aspirant à devenir parents à se rendre hors de leur pays d’origine afin d’économiser sur les frais de santé ou d’accéder à un service illégal ou non disponible dans leur pays d’origine.
Absence de politique commune des États de l’Union européenne
Il n’existe pas de réponse législative unifiée dans ce domaine au niveau européen. Le Parlement européen (2010, 2013, 2015, 2016 571368), 2018) et le Conseil de l’Europe (2016), ne sont pas parvenus à une reconnaissance ou à une interdiction formelle.
De ce fait, c’est dans une sorte de zone grise que se situent aujourd’hui les droits des « parents d’intention » qui cherchent à obtenir une GPA en dehors des frontières de leurs pays, les droits des femmes porteuses dont la grande majorité sont des ressortissantes de pays tiers, et les questions relatives à la protection de l’intérêt supérieur des bébés nés de GPA.
La diversité des statuts juridiques de la GPA peut être résumée en quatre positions :
- Commerciale et altruiste ;
- Uniquement altruiste ;
- Interdiction expresse ;
- Non réglementé.
Cette pratique est interdite dans de nombreux pays européens. En Espagne, elle est considérée comme illégale (article 10 de la loi 14/2006), malgré les critères adoptés par la direction générale des registres et des notaires. En France, la GPA est interdite depuis une décision de la Cour de cassation datée du 31 mai 1991.
Le cas spécifique de l’Ukraine
L’Ukraine se caractérise par une législation permissive en matière de GPA, ce qui en a fait la première destination européenne en la matière. Selon le commissaire auprès du président ukrainien chargé des droits de l’enfant, Mykola Kuleb, entre 2 000 et 2 500 bébés naissent chaque année grâce à des accords de GPA. Cela s’explique notamment par le fait que l’Ukraine est l’un des pays qui ont développé le plus efficacement la technique de reproduction, à des coûts attractifs au niveau international et en offrant des garanties de filiation directe aux futurs parents.
L’accord nécessaire à une GPA est conclu devant un notaire, qui vérifie le consentement, les exigences et la valeur de la compensation financière. Le contrat a une valeur juridique qui prévoit la filiation, car les parents d’intention seront également considérés comme tels pour l’état civil (Article 123 (2) du Code de la famille de l’Ukraine).
L’accord stipule également que la mère porteuse accepte de transférer le nouveau-né aux parents prévus après la naissance, qu’elle n’acquiert aucun droit parental sur l’enfant et qu’elle n’a pas le droit de le contester devant un tribunal (Article 139 (2) du Code de la famille de l’Ukraine).
Comment la guerre affecte-t-elle cette industrie ?
La vie quotidienne des Ukrainiens a été brusquement perturbée par l’invasion russe. Toutes les cliniques et agences de GPA, qui accueillent principalement des ressortissants étrangers, ont aussi été touchées et ont été perturbées. Les médias couvrant le conflit ont diffusé des images de bébés abrités dans des maternités de fortune.
Avant l’invasion, il y avait en Ukraine plus de trente cliniques agréées pour la GPA. Les plus connues sont celles de Kiev (19), Lviv (5) et Kharkiv (2), cette dernière ville ayant subi des destructions particulièrement graves du fait de la guerre.
Cela pose évidemment de nombreuses questions : qu’est-il arrivé après les nouvelles naissances ? Les mères porteuses ont-elles été payées pour l’utilisation de leur corps et de leurs capacités reproductives ? Qu’advient-il des bébés qui ont besoin de soins intensifs ? Que se passe-t-il si l’accouchement est compliqué et les mères porteuses doivent subir une césarienne ? Qu’advient-il des bébés qui ont besoin de soins intensifs ?
En outre, les cliniques informent leurs clients (futurs parents) que, tant que la situation le permet, elles pourront transférer les mères enceintes et des bébés vers la frontière occidentale du pays afin qu’ils arrivent jusqu’au point de rencontre choisi par les clients. Les vidéos produites et publiées par BioTexCom sur leur site web devraient être examinées très attentivement, car ce qui y est montré ressemble beaucoup à de la traite d’êtres humains.
Pourquoi les futurs parents ne peuvent-ils pas venir chercher leurs enfants en Ukraine ? En temps normal, les bébés sont enregistrés au nom des parents d’intention étrangers et ces derniers se rendent dans leurs représentations diplomatiques pour l’enregistrement et le traitement du passeport du nouveau-né.
Or, en raison des restrictions imposées par la situation de guerre, les futurs parents n’ont plus la possibilité de se rendre en Ukraine. Par conséquent, les bébés ne sont pas protégés juridiquement, la législation nationale exigeant que les parents biologiques soient présents pour confirmer leur nationalité.
Outre le conflit juridique, qui rend déjà le processus difficile, le fait que la plupart des représentations consulaires aient dû quitter l’Ukraine a encore plus compliqué l’enregistrement de l’acte de naissance du bébé, alors qu’il s’agit d’un document clé pour que celui-ci puisse sortir du territoire national.
Soins et respect de l’individu ou garantie du contrat ?
Il est donc urgent d’élaborer un cadre juridique international sur la GPA protégeant les droits fondamentaux aussi bien du bébé que de la mère porteuse : ceux des nouveau-nés, parce qu’ils sont l’objet du désir des parents d’intention, mais aussi l’objet d’un contrat donnant lieu à la GPA, avec le risque que leurs intérêts supérieurs ne soient pas respectés. Et ceux des mères porteuses, parce qu’en plus du droit de décider comment utiliser leur propre corps, leur dignité, leur liberté, leur intégrité, et leur libre arbitre doivent être garantis tout au long du processus (pas seulement au début), de même que leur santé aussi bien pendant qu’après la pratique.
Si ces conditions n’étaient pas réunies, ils seraient alors utilisés comme un moyen en vue d’une fin. Le contrôle et la domination qui pèseraient sur eux constitueraient une forme contemporaine d’esclavage.
Waldimeiry Correa da Silva, Investigadora Distinguida EMERGIA – Departamento de Derecho Internacional Público y Relaciones Internacionales, Universidad de Sevilla
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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