Irak: crise à Bassora, nouvelle donne politique à Bagdad, et après?

12 septembre 2018 12:34 Mis à jour: 12 septembre 2018 12:49

Bassora, province pétrolière voisine de l’Iran, vient de vivre une semaine de feu et de sang, qui s’est conclue par une tempête politique à Bagdad qui devrait emporter le Premier ministre sortant Haider al-Abadi. La crise dans cette ville du sud de l’Irak  qui a mené à la mort de 12 manifestants et à l’incendie du consulat d’Iran et son dénouement incarnent, pour les experts, le dilemme de l’Irak, pris en étau entre ses deux alliés: les ennemis américain et iranien.

Vendredi soir à Bassora, les manifestants hurlaient « Iran, dehors! », au milieu des flammes ravageant le consulat du très influent voisin de l’Irak. Moins de 24 heures plus tard, à Bagdad, le bloc pro-Iran au Parlement annonçait être en mesure de former le prochain gouvernement, quatre mois après les législatives.

Après avoir tenté dans un premier temps de composer sans le turbulent chef chiite Moqtada Sadr, le bloc pro-Iran a finalement pris le contre-pied en scellant une alliance avec le vainqueur du scrutin.  Dénonçant les violences de Bassora, ce camp a accusé le Premier ministre sortant Haider al-Abadi d’avoir « échoué » à répondre aux demandes des manifestants. Désormais, les deux listes semblent en mesure de déloger M. Abadi, perçu comme le « candidat de l’Occident ».

Les événements de Bassora sont en réalité un conflit entre partis politiques selon un politologue

Pour le politologue irakien Essam al-Fili, ce coup de théâtre à Bagdad est la preuve que les événements de Bassora sont « en réalité un conflit entre partis politiques soutenus par des acteurs régionaux et mondiaux ». Filant la métaphore, il y voit un film « au script écrit hors d’Irak mais tourné dans le pays par un réalisateur irakien ».

La crise de Bassora a donc coûté à M. Abadi son alliance avec Moqtada Sadr, et par là même, la majorité parlementaire qui lui aurait permis de le prolonger à son poste. Il a aussi semblé perdre un autre soutien majeur, celui du chef spirituel de la grande majorité des chiites d’Irak, le grand ayatollah Ali Sistani. Celui-ci a laissé entendre qu’il ne voulait pas d’un futur chef de gouvernement « ayant déjà été au pouvoir ».

« C’est le coup de grâce pour le plan américain », a aussitôt estimé l’un des chefs de file du bloc pro-Iran, Qaïs al-Khazali, chef du puissant groupe armé Assaïb Ahl al-Haq (« La ligue des vertueux », en arabe). La tâche du camp pro-Téhéran reste toutefois ardue, dans un pays où la nomination du Premier ministre est toujours le fruit d’un accord tacite entre Etats-Unis et Iran.

Le nouveau rapport de force se mesurera concrètement samedi, jour de l’élection du président du Parlement. Les résultats de ce vote indiqueront en effet quel bloc est numériquement à même de former le futur cabinet. Si l’ascendant du camp pro-Iran se confirme, ce bloc, pour parvenir à ses fins, devra toutefois encore trouver un candidat acceptable par toutes les parties.

Pour les experts, il pourrait se tourner vers un technocrate jusqu’alors peu connu du public… comme cela avait été le cas en 2014 avec Haider al-Abadi. Si le camp pro-Iran emporte la mise, la colère populaire qui a explosé à Bassora devrait vite limiter ses marges de manœuvre, assurent les experts.

L’Irak vit sous la mainmise des partis islamiques très fortement liés à l’Iran

« Cette crise a montré que, dans la conscience nationale irakienne, la page de la rivalité avec l’Iran est loin d’être tournée et que les plaies mal pansées se ravivent rapidement », souligne Karim Bitar, directeur de recherches à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris). Lors de la guerre de 1980-88, « Bassora a été en première ligne », subissant « une pluie d’obus iraniens » rappelle M. Fili. Et, depuis la chute en 2003 de Saddam Hussein, elle vit sous la « mainmise des partis islamiques très fortement liés » à l’Iran.

Pour M. Bitar, l’incendie du consulat iranien mais aussi des sièges des partis et groupes armés proches de Téhéran « reflète un retour de bâton à la sur-extension de la puissance iranienne » en Irak. Dans ce contexte, « un futur gouvernement qui servirait avant toute chose les intérêts de l’Iran sera  renversé rapidement par l’opinion« , avance Essam al-Fili.

En outre, souligne Karim Bitar, « après la défaite de l’EI, il y a un retour du sentiment national irakien et aux revendications axées sur les conditions de vie, la lutte contre la corruption et la mauvaise gouvernance ». Les coordinateurs des manifestations ont d’ailleurs prévenu: l’arrêt des rassemblements est seulement « un pas en arrière pour reprendre de l’élan ».

DC avec AFP

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