J’ai quitté les réseaux sociaux il y a 6 ans, et je ne m’attendais pas à ce qui allait arriver

Se libérer de l'emprise des réseaux sociaux a été une révélation

Par Anna Barren
3 février 2024 11:35 Mis à jour: 3 février 2024 11:35

Apparemment, je suis une licorne : j’ai 27 ans et je n’ai pas de comptes sur les réseaux sociaux. En réalité, j’ai surtout l’impression d’être un cheval ou une jument sur laquelle on aurait mis une corne, tant tout le monde semble convaincu qu’en définitive ce genre de créature n’existe pas. Ne pas utiliser les réseaux sociaux est, malheureusement, un acte contre-culturel. Pourtant ce n’est pas infaisable : cela fait environ six ans que je vis comme ça, et pour rien au monde je ne me reconnecterais.

For the author, the social media likes were not worth it. (Andriy Onufriyenko/Moment/Getty Images)
Pour l’auteur, les  » likes  » des réseaux sociaux n’en valaient pas la peine. (Andriy Onufriyenko/Moment/Getty Images)

La désintoxication des débuts

Tout a commencé avec un carême quand j’étais en dernière année d’université. Catholique, je m’astreins systématiquement à la période de pénitence de 40 jours qui précède Pâques, et au cours de laquelle on choisit de prendre de bonnes habitudes et de se débarrasser des autres. Cette année-là en particulier, j’avais décidé d’abandonner les réseaux sociaux dont je me considérais une utilisatrice faiblement ou modérément active. Certes, j’allais sur Instagram et Facebook tous les jours, je faisais défiler, je likais, je commentais, j’avais relié les deux sites pour que mes posts soient publiés simultanément sur les deux plateformes à la fois, etc. M’abstenir de fréquenter les réseaux sociaux serait, au pire, un peu gênant, mais pas difficile, et j’ai décidé de supprimer les applications de mon téléphone.

Je n’avais aucune idée des crochets de dépendance qui étaient déjà sur moi.

Un jour, vers le début de ma pénitence, j’étais assise dans ma chambre universitaire, mon lit couvert de polycopiés et de livres, en train de travailler sur un devoir qu’on nous demandait de rendre dans les meilleurs délais. J’étais d’humeur productive quand soudain, ma main a saisi mon téléphone et a déverrouillé l’écran. Je me suis retrouvée à fixer un dossier vide, celui de mon application Instagram désormais effacé. C’était effrayant : alors même je ne ressentais aucun ennui particulier, mon corps s’était saisi de l’application de sa propre volition.

C’est à ce moment-là que j’ai réalisé l’ampleur de l’emprise des réseaux sociaux sur moi. Le fait de ne pas avoir l’application sur mon téléphone était la seule chose qui m’empêchait de consulter mes profils ; le réflexe était plus rapide que la tentation.

(Ink Drop/Shutterstock)
(Ink Drop/Shutterstock)

Le Carême passa, puis Pâques, et à la fin de tout cela, je me suis rendue compte que j’avais moins de problèmes, moins de contrariétés et plus de bien-être qu’auparavant. Une fois le monde virtuel réintégré, je me suis rendue compte que tout cela ne m’intéressait plus, et j’ai donc décidé de m’en débarrasser complètement, sans limite de temps. Il suffisait juste que je transfère les photos que je souhaitais conserver sur mon disque dur et que je désactive mes comptes.

S’il y a encore quelqu’un qui doute de la manipulation qui se cache derrière les plateformes de réseaux sociaux, je lui conseille d’essayer de fermer ses comptes : c’est presque impossible à faire. Aucune des étapes de suppression de compte n’est intuitive ou conviviale. J’ai cherché dans les menus et autres paramètres et j’ai fini par me résoudre à demander l’aide de Google, qui m’a proposé des instructions étape par étape. Après la désactivation, Instagram et Facebook tient à vous rassurer : vos comptes sont simplement fermés pendant 30 jours, et vous pourrez les réactiver si vous le souhaitez. Pendant cette période, vous receverez régulièrement des courriels vous rappelant qu’il est encore possible de revenir.

Fuir l’ennui

Les gens disent qu’ils aiment les réseaux sociaux pour des raisons diverses, mais ce qu’ils ont tendance à ne pas dire c’est qu’ils cherchent à fuir l’ennui.

We often go on social media to escape boredom, only to realize we are filling the void with junk-food entertainment. (Antonio Guillem/Shutterstock)
Nous allons souvent sur les réseaux sociaux pour échapper à l’ennui, mais nous nous rendons compte que nous remplissons le vide avec des divertissements de type « malbouffe ». (Antonio Guillem/Shutterstock)

Tout comme ce que nous mangeons relève du mode de vie que l’on se choisit, la façon dont nous gérons notre temps libre est également révélatrice. Regarder des divertissements absurdes et stupides lorsque nous nous détendons, c’est comme manger de la malbouffe : est-ce vraiment bon pour la santé ? Bien-sûr cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas faire un écart de temps en temps. Mais les réseaux sociaux, c’est comme avoir un restaurant McDonald chez soi, ou partout où l’on va. Pourquoi se donner la peine de préparer un repas équilibré quand on a déjà tout sous la main ? Les réseaux sociaux sont conçus pour vous attirer et vous piéger dans l’abîme d’un défilement d’information sans fin.

Si je n’ai pas les réseaux sociaux à portée de main et que je veux regarder quelque chose d’inutile et idiot, je suis obligée d’aller le chercher en ligne. En soi, ça me permet de faire le choix du repas équilibré, ou du « contenu équilibré », et d’éviter les divertissements de type malbouffe si je le souhaite.

Avant, le fait d’avoir une distraction addictive à portée de main m’empêchait de me concentrer et rendait mes tâches professionnelles d’autant plus laborieuses. Maintenant, je suis non seulement plus productive, mais j’ai aussi plus de temps libre. Lusage que je fais de mon temps est infiniment meilleur que lorsque j’étais sur les réseaux sociaux. Je lis, j’appelle d’anciennes copines ou je consacre du temps à mes loisirs.

C’est dans l’ennui que naissent les idées. Plus je m’éloignais des réseaux sociaux, plus je reconnaissais l’importance de faire des pauses : ces brefs moments de calme, d’espace entre les tâches de la vie quotidienne, qui sont si facilement happés par le défilement d’un téléphone. Ce sont les héros méconnus de la nature humaine. Nous les fuyons, nous les combattons, nous les craignons, et nous les repoussons à chaque fois. Dans un monde qui nous arrache constamment au réel et nous plonge dans le virtuel, les temps morts sont en réalité des moments où l’on apprend à être présent.

Un blocage créatif

En désinstallant Instagram, j’avais en partie peur de perdre tous les articles de bricolage et de conseils pratiques que j’avais sauvegardés. Je suivais des comptes d’artistes intéressants; je sauvegardais dans un dossier Instagram toutes les techniques créatives et les idées sympas pour plus tard, et j’espérais qu’un jour j’aurais plus de temps, et alors je ressortirais mon carnet de croquis et mes crayons de leurs placards. Mais rien de tout cela ne s’est jamais concrétisé et tous ces posts conservés ne servaient à rien. Toute cette « inspiration » n’existait en fait qu’au sein du dossier de l’appli.

C’est même la situation inverse qui s’est créée, car à force de me comparer à ce que faisais les autres en ligne, je restreignais ma propre créativité. Je comparais mes propres capacités à celles de personnes plus compétentes que moi et je me sentais découragée avant même d’avoir commencé. Quiconque a déjà essayé de dessiner quelque chose connaît la frustration ou le sentiment d’échec qui découle lorsque le résultat ne correspond pas à ce que l’on avait imaginé.

Les créations artistiques que je voyais sur les réseaux sociaux étaient un produit fini, un accomplissement, alors qu’il avait probablement fallu des heures et des heures pour en arriver là. Voire même des années. Je ne me rendais pas compte que je perdais mon temps, et que je ferais mieux de faire comme eux, et de commencer par faire un « mauvais tableau » et apprendre de mes erreurs. Au lieu de se comparer avec les autres, il est préférable de se lancer et d’espérer qu’on va y arriver.

S’il fallait une preuve tangible du vide artistique dans lequel cela m’a plongé, j’ai gardé tout mes carnets de croquis et autres depuis l’âge de 5 ans. Les seules périodes de creux dans mes croquis sont les trois années où j’étais connectée.

Le temps passé loin des réseaux sociaux peut être consacré à développer de nouveaux passe-temps, à se détendre ou à faire des exercices qui vous plaisent. (Getty Images)

Sortie de la boucle

Quelle que soit mon opinion des réseaux sociaux, une choses est sûre : les autres y sont toujours, et d’une certaine manière cela veut dire que je me coupe des autres, que j’exclue tous les sites d’information, les entreprises, les cercles sociaux qui y sont présents. Je suis, en d’autres termes, un peu sortie de la boucle. Resté informé et au courant de l’actualité politique et sociale est un choix. A moins que je n’en entende parler dans une conversation, je n’ai d’autre choix que d’aller chercher ces informations moi-même. Cela présente des inconvénients mais je trouve que les aspects positifs l’emportent sur les aspects négatifs.

Sur le plan politique, je suis devenue plus optimiste qu’auparavant. Cela ne veut pas dire que je fais l’autruche pour autant ; je lis les nouvelles et j’écoute les commentateurs politiques. C’est juste que cela ne domine pas ma vie. Ce n’est pas en étant constamment inondé par les tragédies et les horreurs du monde que l’on va changer quoi que ce soit. Cela devient décourageant à force et cela rend aigri. Comme le dit Jordan Peterson, il faut « faire son lit ». Quand j’étais sur les réseaux, je passais trop de temps à me lamenter sur l’état du monde, et de tous ces lits défaits, mais ce dont j’avais besoin c’était de sortir de mon propre lit et «faire mon lit ».

Dans mon cercle social, je suis souvent la dernière personne à être au courant de quelque chose. Mais ce n’est pas grave car c’est justement la raison pour laquelle je ne supportais plus les réseaux sociaux : les gens n’ont pas besoin de connaître les moindres détails de la vie privée des autres. À l’origine, les réseaux sociaux étaient axés sur la communication, mais j’ai constaté qu’il n’y avait pas de véritable amitié en ligne. On a plutôt affaire à des gens qui se créent une vie en ligne à destination des autres, en espérant que ceux-ci vont adhérer au récit. Ce genre d’inauthenticité m’a toujours tapé sur les nerfs, et j’ai eu beau essayer de ne pas être critique, il est facile de tomber dans le jugement sur les réseaux sociaux.

Je me suis rendue compte que les réseaux sociaux avaient rabaissé toutes les rencontres que j’avais faites dans ma vie réelle : soit je connaissais déjà toutes les nouvelles choses qui leur arrivaient dans la vie, soit leur personnalité virtuelle m’agaçait. Et parfois les deux à la fois. Maintenant, dans la vie réelle, je croise des gens à des soirées et je ne sais rien de leur vie et je prends plaisir à parler avec eux.

Quitting social media can enable your real-life social interactions to be more meaningful. (bernardbodo/iStock/Getty Images)
Quitter les réseaux sociaux peut permettre à vos interactions sociales dans la vie réelle d’être plus significatives. (bernardbodo/iStock/Getty Images)

Se désencrasser

Nous aurons tous des difficultés à un moment ou à un autre de notre vie. Comme pour la plomberie, il est prévisible que les tuyaux finiront par s’encrasser. Pour moi, se débarrasser des réseaux sociaux a été comme désencrasser les canalisations. Une fois que je l’ai fait, je me suis demandée comment j’avais pu faire autrement et vivre avec tant de problèmes inutiles et auto-infligés. Tout le monde doit faire face à des personnes difficiles dans sa vie. Mais pourquoi diable ouvrons-nous nos téléphones aux autres et y laissons-nous rentrer des personnes encore plus difficiles ? Nous avons tous des inquiétudes et des craintes justifiées quant à la direction que prend notre culture. Pourquoi nous exposons-nous régulièrement à ce qu’il y a de pire ? Choisir ce qui est bon ne vient pas naturellement. Pourquoi nous mettre dans une situation qui favorise les mauvais choix ?

La raison pour laquelle nous faisons cela vient du caractère aveuglant des réseaux sociaux. La vie n’est pas parfaite, mais les réseaux sociaux permettent aux gens de se fabriquer une vie parfaite ou de s’évader un peu. Vous pouvez obtenir votre dose de dopamine grâce à la gratification instantanées que vous recevez en ligne. C’est rapide, c’est facile et c’est conçu pour vous donner le sentiment d’avoir accompli quelque chose.

Il n’empêche, rien de tout cela n’est réel. Je me suis répétée cela à maintes reprises quand j’utilisais les réseaux sociaux, mais cela n’a pas empêché que je sois aspirée par le vide virtuel et que je me compare, moi et ma vie, à d’autres personnes et à la leur. Je portais ce lourd bagage qui consistait à documenter tous mes moments agréables pour les mettre en ligne. Aujourd’hui, on voit les gens admirer la beauté d’une cathédrale, d’une œuvre d’art, ou d’un enfant qui sourit, via leur smartphone, et je ne peux m’empêcher de me demander pourquoi nous nous infligeons autant de souffrances. Les réseaux sociaux sont le poison de l’ironie. Nous le buvons, nous nous trompons nous-mêmes et nous repoussons la réalité que nous essayons ensuite de refaire de façon virtuelle.

Désormais, ma capacité d’attention est plus grande, j’ai toujours un livre à portée de main, je dessine à nouveau, je suis beaucoup plus lucide. Et surtout, je m’entraîne à être attentive au monde, aux gens et aux choses qui m’entourent.

La vie est un beau cadeau que l’on ne devrait pas chercher à simuler mais à vivre pleinement.

(Patchareeporn Sakoolchai/Moment/Getty Images)
(Patchareeporn Sakoolchai/Moment/Getty Images)

 

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