Trois ans après avoir été libéré de sa détention en Chine, Michael Kovrig a raconté, dans sa première interview publique, les souffrances qu’il a endurées au cours de ces années.
S’adressant à Adrienne Arsenault, de la CBC, l’ancien diplomate canadien a relaté comment on l’avait arraché de force à sa compagne, enceinte de six mois. On lui a ensuite bandé les yeux, emmené dans une cellule et soumis à diverses souffrances physiques et psychologiques.
« C’est la chose la plus éprouvante et la plus douloureuse que j’aie jamais vécue », a-t-il déclaré. « C’était une combinaison de confinement solitaire, d’isolement total et d’interrogatoires continuels pendant six à neuf heures par jour. »
Alors que, selon les Nations unies, l’isolement ne doit pas dépasser 15 jours consécutifs, M. Kovrig relève avoir été détenu arbitrairement pendant près de six mois dans une cellule sans fenêtre.
« J’ai surestimé le caractère raisonnable du Parti communiste chinois et j’ai sous-estimé son caractère impitoyable », a-t-il déclaré.
L’arrestation et la détention de M. Kovrig en décembre 2018 ont largement été attribuées à des mesures de représailles de Pékin à la suite de l’arrestation par le Canada de la dirigeante de Huawei, Meng Wanzhou. Cette dernière a été arrêtée à Vancouver, à la demande des autorités américaines, qui cherchaient à l’extrader. Elle faisait face à des accusations de fraude bancaire pour avoir prétendument trompé le groupe bancaire britannique HSBC sur les liens de Huawei avec sa filiale hongkongaise, Skycom, impliquée dans des opérations en violation des sanctions américaines à l’égard de l’Iran.
Or, alors que Meng Wanzhou a passé près de trois ans en résidence surveillée dans sa résidence évaluée à plusieurs millions de dollars à Vancouver, les conditions de détention du diplomate Michael Kovrig en Chine étaient tout à l’opposé. Ces conditions ont été largement dissimulées au public étant donné l’accès limité aux services consulaires canadiens pour M. Kovrig et d’un refus de représentation juridique par les autorités chinoises.
Détention et confinement
Michael Kovrig a raconté avec émotion la nuit de son arrestation. Il se rappelle avoir été interpellé vers 22 heures, après un dîner avec sa compagne dans un quartier appelé Sanlitun Soho à Pékin.
Alors que le couple marchait en direction de leur appartement, une douzaine d’« hommes en noir » les ont soudainement entourés. Ils se sont emparés du téléphone de M. Kovrig, ont neutralisé ses bras et l’ont séparé de force de sa compagne. Le diplomate a ensuite été menotté, poussé dans un SUV noir et on lui a bandé les yeux.
« Avant qu’ils ne me poussent dans la voiture, j’ai regardé ma compagne. Nous avons eu un contact visuel pendant une fraction de seconde », a déclaré M. Kovrig, se rappelant avoir essayé de lui dire de rester en sécurité. « Je ne savais pas si je la reverrais un jour. »
M. Kovrig a raconté avoir été emmené dans un véhicule qui a roulé environ 45 minutes jusqu’à un centre de détention situé, il pense, dans le sud de Pékin. Il a compté les secondes, essayant d’évaluer la distance. À son arrivée, il a entendu la voiture rouler sur du gravier, des chiens aboyer et le cliquetis d’une porte avant d’être conduit dans un bâtiment.
À l’intérieur, Michael Kovrig s’est retrouvé face à un homme aux lunettes épaisses, éclairé par la lumière crue de néons fluorescents. L’homme lui a dit qu’il était soupçonné d’avoir compromis la sécurité de l’État chinois et qu’il allait être « interrogé ».
« J’ai eu froid dans le dos. Ce n’était pas un bon moment », a déclaré M. Kovrig.
Michael Kovrig a ensuite été conduit dans une cellule sans fenêtre, où il a passé près de six mois isolé et a été soumis à des interrogatoires prolongés. Il a déclaré avoir subi « beaucoup de stress physique », comme d’être attaché sur une chaise pendant des heures, et avoir perdu environ 10 kilos au cours du premier mois seulement, en raison d’une réduction des rations alimentaires.
« J’avais constamment faim », a déclaré M. Kovrig.
« De l’enfer aux limbes »
Au bout d’un certain temps, M. Kovrig a été transféré dans une cellule plus grande qu’il a partagée avec une douzaine de codétenus chinois. Il a décrit cette transition comme « le passage de l’enfer aux limbes ». La cellule était alors dotée de hauts plafonds, la lumière du jour pouvant pénétrer par des fenêtres. C’est là qu’il a passé les deux années suivantes de détention.
M. Kovrig affirme avoir trouvé réconfort dans les livres, dont un dictionnaire chinois, qui lui ont permis de changer sa perspective face aux événements.
Il s’est dit : « Je ne suis pas un otage, je ne suis pas un criminel, ni rien de ce que m’accuse faussement [le PCC]. Je suis un moine dans une cellule. Je suis simplement un étudiant du monde, un étudiant de philosophie, un étudiant qui apprend le chinois ».
Il a déclaré avoir écrit des lettres à sa famille et de longues notes à sa fille, qu’il n’avait encore jamais vue, afin de lui exprimer son amour et marquer des événements importants, comme son premier anniversaire, en prenant soin d’exprimer ses sentiments de manière à échapper à la censure des gardiens.
« Les lettres destinées à mes proches étaient comme de la lumière passant à travers les fissures de l’obscurité », a déclaré M. Kovrig.
Michael Spavor
Un autre Canadien, Michael Spavor, a également été détenu en Chine peu après l’arrestation de Meng Wanzhou. M. Kovrig a déclaré qu’il ne savait pas que M. Spavor était détenu jusqu’à ce qu’il soit interrogé par les autorités chinoises, qui lui ont demandé des informations sur les « étrangers les plus utiles et les plus instructifs » avec lesquels il avait eu des contacts en Chine.
Michael Kovrig a déclaré considérer Michael Spavor comme un guide touristique dirigeant une agence de voyage spécialisée dans les voyages en Corée du Nord. Il relève que Spavor ne parlait pas le mandarin et n’était pas en mesure de fournir des informations en tant que spécialiste de la Chine. Michael Kovrig a déclaré que les interrogateurs n’avaient « absolument aucune preuve » à l’appui de leurs questions et qu’ils sont rapidement passés à d’autres sujets, reconnaissant qu’il n’y avait rien de substantiel à poursuivre.
Michael Spavor a ensuite été jugé en Chine le 19 mars 2021, dans le cadre d’un procès à huis clos, sans accès aux représentants consulaires canadiens. Accusé d’espionnage, il a été condamné à 11 ans de prison, ce qui a été condamné par Ottawa.
Les deux Michael ont tous deux été libérés en septembre 2021, le même jour que Meng Wanzhou.
M. Spavor aurait par la suite allégué avoir été détenu par Pékin parce qu’il avait involontairement partagé des renseignements sensibles avec M. Kovrig, qui ont ensuite été communiqués à Ottawa et aux alliés étrangers du Canada. Il a ensuite intenté une action en justice contre le gouvernement canadien, qui a été réglée en mars 2024 pour un montant de 7 millions de dollars.
En réponse aux allégations de M. Spavor, Affaires mondiales Canada a déclaré à l’époque que toute suggestion d’implication de l’un ou l’autre des deux Canadiens dans l’« espionnage » ne faisait que renforcer les fausses affirmations de Pékin concernant leur arrestation.
M. Kovrig a exprimé sa déception en réaction à l’allégation de M. Spavor, ravivant les suspicions qu’il soit un espion.
« Cela m’a vraiment fait mal. Cela m’a fait mal pour plusieurs raisons. Tout d’abord, ce n’est pas vrai. Je n’ai jamais été un espion d’aucune sorte », a déclaré M. Kovrig. « Franchement, j’ai été déçu par la rapidité avec laquelle tant de gens étaient disposés à croire une histoire qui ne reposait sur aucune preuve. »
Ils voulaient des otages
Réfléchissant à son expérience, M. Kovrig a déclaré qu’Ottawa devrait être « mieux préparé et avoir une stratégie » s’il doit prendre des mesures susceptibles de contrarier un pays étranger et d’exposer ses citoyens au risque d’être détenus.
Il note que le régime chinois recourt à la diplomatie des otages, quelle que soit la personne visée.
« Pékin voulait des otages et voulait attraper quelqu’un, et si cela n’avait pas été moi, cela aurait été quelqu’un d’autre », a déclaré M. Kovrig. « Le petit réconfort que j’en retire est de peut-être avoir épargné l’épreuve à quelqu’un d’autre en la subissant moi-même. »
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