« J’ai marché, marché. J’ai tellement souffert » : Lidia Lominevksa, 97 ans, a marché seule près de 10 kilomètres pour fuir son village d’Otcheretyné, bombardé puis investi par les Russes dans l’est de l’Ukraine.
Vêtue d’un pull rose sur une robe à fleurs, la frêle mais résistante nonagénaire est un peu dure d’oreille, il faut lui parler fort. Assise sur un lit dans centre d’hébergement à Pokrovsk, où l’AFP l’a rencontrée, elle raconte lentement, la voix posée, son périple au milieu du chaos.
Elle a quitté vendredi Otcheretyné, un village d’environ 3000 habitants avant la guerre, situé à une douzaine de km au nord d’Avdiïvka et lourdement frappé par les bombes ces derniers jours. Les forces russes en contrôlent désormais la majeure partie après une avancée rapide, et la conquête d’autres villages de la zone.
Lidia Lominevksa a fui à pied sa maison dans le centre du bourg, sans rien emporter, après un bombardement. « Dieu sait qui a bombardé. Je n’ai vu personne, j’ai juste entendu que quelque chose avait tiré. Je ne sais pas où c’était, ni ce que c’était », explique à l’AFP la femme aux petits yeux bleus, une mèche de cheveux gris dépassant d’un foulard coloré.
Elle traverse alors son village quasiment en ruine, en passant à côté de cadavres de soldats. « Je marche, et il y a un soldat allongé là, déjà mort, au moins (son corps) était recouvert. Et l’autre gisait là, mais il n’était pas couvert », poursuit-elle.
Dans la localité, « tout était presque incendié. Aujourd’hui, j’ai entendu dire qu’ils [les Russes] en avaient déjà pris la moitié. Je ne sais pas ce qui se passe là-bas. Ils l’ont incendié. Ils ont brûlé tellement de maisons. »
« Je marchais, marchais, sans me retourner »
« J’ai tellement souffert ! Mais vous savez, je marchais et il n’y avait personne. J’ai juste entendu les tirs. J’ai cru qu’ils allaient me tirer dessus pendant que je marchais en traînant les pieds », dit-elle.
S’aidant d’un bout de planche comme d’une canne, Lidia Lominevksa va ensuite avancer sur la petite route qui mène à Pokrovsk, à une trentaine de km à l’ouest d’Otcheretyné. « Je n’ai pas de montre, je n’ai rien. J’ai marché longtemps. Je marchais, marchais, sans me retourner », décrit la presque centenaire au visage ridé. « J’ai marché et marché et j’étais fatiguée (…) Oh mon Dieu! J’allais, j’allais et j’allais », répète-elle, parfois pensive.
Après plusieurs heures de marche solitaire sur la route, elle finit par enfin croiser deux soldats ukrainiens à bord d’une voiture, qui s’arrêtent près d’elle et lui viennent en aide. « Grand-mère, où vas-tu ? J’ai dit : Je vais aussi loin que je peux, puis je tomberai dans l’herbe et j’y passerai la nuit », raconte la veille dame. « Les soldats m’ont donné deux sandwiches. J’en ai mangé un. D’une manière ou d’une autre, je n’avais plus la force de manger », dit-elle. Après avoir nourri la vieille femme, les militaires ont appelé des policiers en renfort qui l’ont ramenée jusqu’à Pokrovsk.
Selon Pavlo Diatchenko, porte-parole de la police dans la région, la nonagénaire « a parcouru à pied une distance d’environ 10 kilomètres ». D’après lui, son village Otcheretyné est aujourd’hui détruit et elle doit faire partie des dernières personnes à l’avoir quitté. « Quelques personnes s’y trouvent encore, mais on ne sait pas leur nombre, ni qui est encore en vie ou mort. »
Des frappes lourdes et incessantes
La situation dans les villages environnants est également très difficile, car « les bombardements ennemis ne s’arrêtent pas », précise le policier. Dimanche, des frappes lourdes et incessantes ont visé la zone et des panaches de fumée grise s’élevaient dans le ciel, a vu l’AFP depuis le petit village de Vozdvyjenka, à 8 km au nord-ouest.
Deux habitants de cette localité ont été évacués dans la matinée par des membres de l’unité dédiée de la police, nommée les « Anges blancs », selon le porte-parole Pavlo Diatchenko. Trois autres civils ont quitté précipitamment le village quasiment déserté, après avoir chargé des meubles et d’autres affaires dans un petit camion, a constaté l’AFP.
Depuis la chute en février de la ville forteresse d’Avdiïvka, l’armée ukrainienne, en manque cruel de munitions, est à la défensive après l’échec de sa grande contre-offensive l’été dernier et fait face à une reprise d’initiative russe. Le commandant en chef de l’armée ukrainienne, Oleksandre Syrsky, a reconnu dimanche que la situation sur le front s’était « détériorée », les troupes russes, supérieures en armes et en soldats, ayant remporté des « succès tactiques » dans plusieurs zones, au prix de pertes importantes en matériel et en hommes.
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