Japon : un nouveau navire-usine en route pour chasser la baleine, une aberration selon Sea Shepherd

Par Vincent Solacroup
21 mai 2024 18:40 Mis à jour: 22 mai 2024 20:48

Sur le grill, le cuisinier retourne un épais steak de baleine, un mets traditionnel au Japon que certains aimeraient voir revenir en grâce dans l’archipel, alors qu’un nouveau grand baleinier est entré en activité mardi. La décision du Japon est « d’un point de vue éthique et écologique, complètement aberrante », déplore l’ONG Sea Shepherd. 

Cette viande, dont la consommation est proscrite par de nombreux pays, est également disponible en sashimis chez Nisshin Maru, un restaurant de la ville portuaire de Shimonoseki (ouest du Japon) portant le nom de l’ancien principal baleinier japonais.

Les campagnes de pêche de ce navire dans l’océan Austral ont été régulièrement perturbées par des défenseurs de l’environnement, comme l’ONG Sea Shepherd. Il a été mis à la retraite l’an dernier, après plus de trente ans d’activité.

Son successeur, le Kangei Maru, est un imposant navire-usine de 100m de long et près de 9300 tonnes qui peut conditionner et stocker la viande de baleine à son bord. Ce nouveau bateau-usine, dont la construction a coûté 7,5 milliards de yens (44 millions d’euros), prévoit de contribuer avec une flotille à la capture d’environ 200 de ces mammifères d’ici la fin de l’année.

L’équipage du nouveau navire baleinier japonais, le Kangei Maru, salue les sympathisants dans la ville de Shimonoseki, préfecture de Yamaguchi, le 21 mai 2024. (Photo YUICHI YAMAZAKI/AFP via Getty Images

Augmenter sa capacité d’autosuffisance

Il a quitté mardi son port d’attache de Shimonoseki pour une campagne de plusieurs mois au large du nord-est du Japon, inaugurant une nouvelle ère pour une industrie défendue bec et ongles par le gouvernement nippon. « Nous espérons que manger de la viande de baleine deviendra plus courant au Japon », déclare à l’AFP Ryosuke Oba, le gérant du restaurant Nisshin Maru.

Au mur est accrochée une photo du navire éponyme, arborant sur son flanc le mot « recherche » en grosse lettres blanches. « Attrapez de grosses baleines et revenez sains et saufs ! », disait une lettre lue mardi par des enfants de Shimonoseki, qui ont également dansé lors d’une cérémonie pour le départ du Kangei Maru.

« Manger de la baleine fait partie de l’identité du peuple japonais », plaide Shintaro Maeda, le maire de Shimonoseki. Les cantines scolaires de sa ville servent de la viande de baleine, mais « il y a encore beaucoup de gens, même à Shimonoseki, qui ne savent pas comment la manger », regrette-t-il.

Pour tenter d’y remédier, l’entreprise baleinière Kyodo Senpaku a notamment installé des distributeurs automatiques de viande de baleine dans plusieurs villes, dont Tokyo. Kazuhiro Fujino, 48 ans, propriétaire d’un magasin de viande de baleine, affirme avoir « bon espoir » de voir ses ventes stimulées par l’augmentation des prises grâce au Kangei Maru.

« Le Japon dépend aujourd’hui des importations pour tout », et « capturer des baleines est une bonne idée » pour augmenter sa capacité d’autosuffisance en cas de pénurie alimentaire, pense-t-il.

De la publicité pour inciter à consommer de la baleine 

Ces cétacés sont chassés depuis des siècles au Japon, et leur viande a été une précieuse source de protéines pour sa population dans les années de misère qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale. Mais sa consommation dans le pays a chuté à environ 1% de son pic des années 1960, soit environ 2000 tonnes par an : d’autres viandes (bœuf, porc, poulet) sont progressivement devenues plus accessibles, alors que les prises de baleines, sous l’effet des contraintes réglementaires internationales, devenaient plus faibles.

« Il faut bien avoir à l’esprit que très peu de Japonais mangent de la viande de baleine », a indiqué Lamya Essemlali présidente de Sea Shepherd France sur franceinfo. La décision du Japon est « d’un point de vue éthique et écologique, complètement aberrante. En 2024, continuer à chasser des baleines, c’est complètement dingue », déclare-t-elle.

Mais le vieil argument du Japon sur la tradition n’est guère convaincant pour des ONG environnementales, soulignant que cela risque de fragiliser encore davantage certaines espèces qui subissent déjà la pollution plastique.

« Ça va être un véritable carnage »

La pêche commerciale de baleines a été bannie en 1986 dans le monde avec l’entrée en vigueur d’un moratoire international de la Commission baleinière internationale (CBI) pour protéger leurs espèces, dont certaines étaient devenues très menacées.

Mais le Japon a continué à pêcher la baleine d’une manière extrêmement controversée, en exploitant une clause du moratoire autorisant des missions scientifiques. Il a quitté la CBI en 2019 pour s’affranchir du moratoire, tout en limitant désormais sa zone de chasse à son propre espace maritime. Le pays est l’un des trois derniers pays à chasser la baleine, avec la Norvège et l’Islande.

L’indignation internationale n’est cependant pas comparable à celle suscitée il y a une dizaine d’années, quand le Japon, qui ne pouvait pas chasser la baleine dans ses propres eaux en raison du moratoire de la CBI, se tournait vers l’Antarctique. « Si nous pouvons continuer à capturer la même quantité de baleines qu’auparavant, voire plus, dans les eaux entourant nos côtes, je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’aller jusqu’à l’océan Antarctique », où le Japon peut « faire face à des critiques », reconnaît M. Fujino.

« D’un point de vue éthique, c’est dramatique », a réagit Lamya Essemlali. « On se doute bien que le Japon n’a pas fait fabriquer un bateau à 35 millions de dollars qui a de telles capacités de stockage et d’autonomie pour chasser uniquement le long de ses côtes », précise la présidente de l’ONG. « On s’attend à ce qu’ils retournent dans le sanctuaire baleinier Antarctique, dans lequel on s’est battu pendant des années pour en chasser la flotte baleinière japonaise. Ils ont annoncé aussi qu’ils allaient chasser dans le Pacifique Nord. Ça va être un véritable carnage », accuse-t-elle.

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