«Je suis mort le 2 février 2017»: à la barre, Théo Luhaka raconte son calvaire quotidien devant les trois policiers accusés

Par Vincent Solacroup
16 janvier 2024 16:20 Mis à jour: 18 janvier 2024 07:15

Il se projetait « grand footballeur » mais depuis son interpellation violente, en 2017, Théo Luhaka se sent comme « un mort-vivant » qui s’enferme dans sa chambre pour regarder en boucle la même série policière, a-t-il confié lundi devant les assises de Seine-Saint-Denis, où trois policiers sont jugés pour violences.

« Je n’ai plus de vie, je ne fais que regarder Monk encore et encore, un policier intègre, digne de ce nom », déclare Théo Luhaka, s’exprimant pour la première fois depuis le début du procès. Tout au long de son audition, la victime fait ainsi référence à Monk, série américaine du début des années 2000, qui met en scène un détective privé loufoque et tourmenté par des troubles obsessionnels compulsifs.

Le 2 février 2017, le jeune homme profitait justement de « la coupure publicité » de sa série préférée pour réaliser une course pour sa sœur à la cité des 3000 à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Il va alors « saluer » des amis, selon son récit, mais se retrouve contrôlé par la police, avec le groupe. Le plus « petit prend une gifle » qui conduit Théo à « s’interposer », raconte-t-il à la barre, emmitouflé dans une doudoune rouge, sous le regard de ses parents, de ses cinq frères et ses deux sœurs.

Une plaie de dix centimètres de profondeur

Lors de l’empoignade, Théodore Luhaka, alors âgé de 22 ans, est grièvement blessé à l’anus par un violent coup porté avec la pointe du bâton télescopique de défense (BTD) d’un agent. La scène, filmée par la vidéosurveillance de la ville, le montre dos au mur et pris en étau par deux fonctionnaires de police avant de recevoir le coup d’estoc qui provoquera une rupture de son sphincter (muscle annulaire), et une plaie de dix centimètres de profondeur.

Malgré deux opérations chirurgicales, Théo Luhaka souffre toujours d’incontinence et garde des séquelles irréversibles, selon les experts médicaux. « Ils m’ont mis une matraque dans les fesses. Je me suis senti violé », a dit le jeune homme qui a célébré sa 29e année le jour de l’ouverture du procès.

« À la base, je voulais être un grand footballeur », raconte Théo Luhaka. L’ancien milieu de terrain avait signé avec un club de troisième division en Belgique. « Je n’ai jamais repris le sport », regrette-t-il du haut de son 1m94 pour 94 kilos, vêtu d’un élégant ensemble beige et d’un collier argenté en maille de grain de café.

Après être longuement resté debout à l’audience, il se résout à prendre une chaise et y installe un coussin rapporté de sa maison – désormais son refuge. Son quotidien : « des gaz, des fuites de selles » et une vie de « mort-vivant », dit-il. « Je m’enferme dans ma chambre à regarder Monk« . Il revient également en détails sur « les coups », « l’humiliation », les « insultes racistes » mais aussi sur les policiers qui lui « ont sauvé la vie » en appelant les secours pour l’emmener aux urgences.

Théo Luhaka a reconnu ne pas avoir suivi les préconisations de soins médicaux pour rééduquer son sphincter car « ce n’est pas possible » de « retrouver mon corps d’avant ». « On vous fait mettre tout nu, vous revivez le traumatisme et on vous dit que cela n’est même pas garanti que cela marche » rapporte la journaliste de Cnews Noémie Schultz.

Une dépression a été diagnostiquée. Dans son quartier, sur les réseaux sociaux, auprès de ses amis, son image « est ternie », pense-t-il : « peu importe ce que je fais, je suis celui qui s’est fait violer ». « C’est sans doute en raison de cette dépression qu’il ne suit pas bien les traitements qui pourraient pourtant améliorer sa condition », ajoute la journaliste Noémie Schultz.

« Policier, c’est un métier très très noble »

« Je suis mort le 2 février 2017 », dit-il. « Dans les manifestations on met mon nom aux côtés de (ceux de) Zyed, Bouna, Adama Traoré », décédés de violences policières en 2005 et 2016.

« On vous a volé votre jeunesse ? » l’interroge l’avocat général. « C’est exactement cela », répond Théo Luhaka pour qui ce procès « est une très grosse épreuve ». Sans le soutien de sa famille et de son avocat, il confie qu’il ne se serait pas présenté tous les jours.

Ce qu’il attend de ce procès ? « Une punition pour ce qu’ils ont fait. Policier, c’est un métier très très noble », conclut le jeune homme dont Monk est le héros. Et d’ajouter : « Qu’ils ne regrettent pas ce qu’ils ont fait, c’est très triste ».

Le principal accusé, auteur du coup de matraque, est poursuivi pour des violences volontaires ayant entraîné infirmité permanente. Les deux autres sont jugés pour violences volontaires avec circonstances aggravantes.

Le verdict est attendu le 19 janvier.

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