ENTRETIEN – L’ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel Jean-Eric Schoettl répond aux questions d’Epoch Times sur la censure du gouvernement de Michel Barnier le 4 décembre. Il analyse également la loi spéciale présentée ce mercredi en Conseil des ministres.
Epoch Times – Jean-Eric Schoettl, la semaine dernière, l’adoption d’une motion de censure faisait tomber le gouvernement de Michel Barnier. Le gouvernement aurait-il pu l’éviter ?
Jean-Eric Schoettl – Au regard de l’état d’esprit des uns et des autres, plus particulièrement le RN, la censure du gouvernement de Michel Barnier aurait eu lieu tôt ou tard.
Malgré les concessions importantes faites par Michel Barnier sur le non-déremboursement des médicaments, l’abandon pur et simple de la nouvelle taxe sur l’électricité et la l’indexation des petites retraites, Marine Le Pen et ses alliés ont choisi de faire tomber le gouvernement.
Je pense que le RN est allé jusqu’à la censure pour d’autres raisons que le budget-lui-même.
Quel serait aujourd’hui le gouvernement en mesure d’éviter une motion de censure ?
Constituerait, selon moi une solution à peu près stable et conforme aux intérêts du pays, un gouvernement représentant le « socle commun » actuel, de centre droit, avec un Premier ministre ressemblant à Michel Barnier.
Ce gouvernement garderait Bruno Retailleau à l’Intérieur avec un garde des Sceaux qui soit sur la même longueur d’onde que lui. Ajoutons que, dans ce schéma, le Premier ministre devrait ménager le principal groupe de l’Assemblée nationale qu’est le Rassemblement national. C’est ce qu’a d’ailleurs fait Michel Barnier à la fin. Cette option permettrait au gouvernement de gouverner sans être censuré et même d’obtenir des résultats en matière de sécurité et de politique migratoire.
Mais ce n’est pas le schéma qu’Emmanuel Macron a en tête avec son « pacte de non censure » et son « gouvernement d’intérêt général » ouvert à gauche. Beaucoup défendent en effet un changement de paradigme et rêvent de reconstituer un front républicain au niveau gouvernemental. Mais ce « en même temps » ne serait pas viable, tant les visions des uns et des autres sont opposées sur tous les grands sujets. Changer de paradigme dans une Assemblée nationale tripolaire, dysfonctionnelle comme c’est le cas aujourd’hui, c’est s’engager dans une aventure impossible.
Comme souvent, la sémantique sophistiquée habille des idées fuligineuses : « pacte de non-censure » ; « gouvernement d’intérêt général », comme si les autres gouvernements ne l’étaient pas.
Selon le premier concept, la gauche hors LFI pourrait, sans participer au gouvernement, passer une sorte de contrat (pas au sens juridique bien sûr) dans lequel elle s’engagerait à ne pas censurer, en échange de concessions programmatiques, d’une part, et de l’engagement du gouvernement à ne pas utiliser l’article 49 3, d’autre part.
Ce serait donnant donnant : renoncement au 49 2 contre renoncement au 49 3. Ce type d’arrangement, si contraire à l’esprit des institutions, conduirait à la paralysie. Ainsi, dans la configuration actuelle de l’Assemblée, comment pourrait être adopté un budget digne de ce nom ?
Quant au « gouvernement d’intérêt général », il est plus ambitieux encore puisqu’il vise à ce que toutes les composantes de la gauche, à l’exception des insoumis, participent au gouvernement. Cela implique qu’une partie au moins du programme du NFP soit mis en œuvre.
Dans un cas, comme dans l’autre, un coin serait enfoncé entre LFI et le reste de la gauche. Mais quel en serait le prix ? Les socialistes, les communistes et les écologistes n’accepteront d’abjurer le mythe fondateur de l’unité de la gauche et de renoncer aux candidatures communes pour conserver des sièges qu’en fixant des conditions drastiques : gel de la réforme des retraites, renoncement à la réduction des dépenses publiques, délaissement de la politique de l’offre, abandon de la fermeté régalienne incarnée par Bruno Retailleau, départ des ministres LR.
Le ministre sortant de la Fonction publique, Guillaume Kasbarian a appelé dans un entretien au Journal du Dimanche à n’ « exclure personne » dans le formation du nouveau gouvernement, y compris le RN. Qu’en pensez-vous ?
Guillaume Kasbarian est sympathique et courageux, mais sur ce point, je ne le comprends pas. Il a récemment défendu avec panache l’alignement du régime des jours de carence de la fonction publique sur celui du privé.
Or une telle mesure, qui s’impose pour des raisons de d’économie et de justice, serait inacceptable par la gauche dans le cadre d’un pacte de non censure et plus encore en cas de participation au gouvernement !
Les concessions à faire à la gauche dans le cadre d’un contrat de non censure, et plus encore dans celui d’un contrat de gouvernement, empêcheraient de mener une politique répondant aux grandes urgences du moment : équilibre des comptes, sécurité, immigration, réforme de l’État, allégement des normes, réindustrialisation.
En l’absence de projet de loi de finances (PLF) et de projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), une loi spéciale a été présentée pour « assurer la continuité de la vie nationale » et la « levée de l’impôt ». Est-ce une première sous la Ve République ?
Ce n’est pas une première. Une loi spéciale avait déjà été présentée en 1979. Mais le contexte politique n’était pas aussi agité qu’aujourd’hui. Le Conseil constitutionnel ayant -pour des raisons procédurales – annulé, à Noël, le projet de loi de finances pour 1980, le Parlement vota consensuellement un texte se contentant de reconduire les impositions existantes et d’autoriser l’emprunt. Au début de l’année 1980, une loi de finances fut adoptée en bonne et due forme.
Depuis le 1er août 2001, nous avons une loi organique sur les finances publiques qui encadre la conduite à tenir en cas d’accident budgétaire. Elle dispose que, lorsque le gouvernement n’a pas déposé « en temps utile » une loi de finances pour qu’elle soit promulguée avant le 31 décembre, il peut présenter une « loi spéciale » qui autorise la perception des impositions existantes. C’est prévu par l’article 45 (2°) de cette loi organique. Mais nous ne sommes pas complètement dans ce cas de figure puisque le PLF ainsi que le PLFSS ont été déposés en octobre, donc en temps utile.
En réalité, nous sommes dans une situation que ni la Constitution, ni la loi organique n’ont prévues. Les événements politiques sont tels qu’on ne peut ni promulguer le Budget 2025 et celui de la sécurité sociale avant le 31 décembre.
Ainsi, nous ne devons pas nous fonder sur la loi organique, mais, comme en 1979, sur un principe général qui est qu’il faut à tout prix assurer la continuité de l’État. Pour ce faire, il faut qu’on ait promulgué avant le 31 décembre une loi autorisant la perception des impositions existantes et les emprunts de l’État et de l’ACOSS (la sécurité sociale).
La loi spéciale a été examinée le 11 décembre en Conseil des ministres et examinée la veille par le Conseil d’État. Elle n’est pas une simple formalité, car elle soulève des problèmes inédits. Un gouvernement démissionnaire peut-il la déposer ? Le Conseil d’État a estimé que oui. Peut-elle être amendée ? La commission des finances a estimé que oui, ce qui est contestable.
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