ENTRETIEN – L’historien et enseignant à l’Institut Catholique de Paris, Jean-Marc Albert, revient pour Epoch Times sur l’importance des relations diplomatiques entre la France et le Maroc.
Epoch Times : Jean-Marc Albert, Emmanuel Macron était en déplacement au Maroc du 28 au 30 octobre. Qu’avez-vous retenu de cette visite d’État ? Marque-t-elle un nouveau départ dans les relations franco-marocaines ?
Jean-Marc Albert – Pays méditerranéen, la France n’a pas d’autre choix que d’établir des relations diplomatiques, économiques ou encore culturelles avec les pays qui la rivent. Depuis au moins le XVè siècle, la France entretient des contacts, pas toujours linéaires, avec le Royaume chérifien. Les Valois ont lancé une tradition diplomatique vouée à se perpétuer jusqu’à la décolonisation du Maroc en 1956. Depuis, les liens franco-marocains ressemblent à une histoire de haines et de passions.
Mais alors que le roi Hassan II avait montré une gratitude peu commune pour un pays décolonisé à l’égard de son colonisateur, la France a préféré se tourner vers l’Algérie socialiste du FLN, notamment en raison de questions énergétiques, mais aussi animée par un sentiment de culpabilité lié au drame de la guerre d’Algérie.
Contre toute attente, Emmanuel Macron, qui nous a désormais habitués à des volte-face récurrentes, a délibérément choisi de renforcer les liens qui nous lient au Maroc, notamment sur la question du Sahara occidental, objet de discorde avec Alger. Si le président français fait preuve de constance, il est alors possible que cette visite d’État puisse en effet constituer un nouveau départ dans ces relations avec un royaume ami.
Emmanuel Macron et Mohammed VI ont conclu un « partenariat d’exception renforcé » . Selon l’AFP, le président de la République a estimé que ce partenariat devait notamment porter sur « l’immigration illégale et la nécessité d’une coopération naturelle et fluide en matière consulaire ». Rabat va-t-il plus facilement accepter ses ressortissants expulsés avec ce partenariat ?
Le « partenariat d’exception renforcé » conclu avec le roi Mohammed VI vise à mettre un terme à un conflit sourd depuis une vingtaine d’années. En 2023, 238.000 visas ont été accordés aux ressortissants marocains. La question de l’immigration illégale est aussi au cœur des contentieux entre Paris et Rabat. Dans les mots, l’intention est louable puisque la France annonce vouloir « davantage de résultats ».
Le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau pousse Rabat à accélérer le retour de ses ressortissants expulsés. En arrière-plan, la France menace de restreindre l’accès aux visas tant que l’octroi des laissez-passer consulaires ne sera pas facilité.
Aujourd’hui, on compte moins de 1700 retours forcés au Maroc. La question des OQTF sous-tend évidemment l’enjeu. Il s’agit aussi d’envoyer un message clair à l’Algérie qui oppose à la France les mêmes difficultés de rapatriement. Le sujet avait pris une tournure diplomatique lorsque la France avait restreint les visas de circulation aux étudiants marocains.
Enfin, demeure le sujet non avoué de la production et de l’importation de produits stupéfiants vers la métropole. Il n’est pas certain que dans ce domaine la visite d’État soit à même de faire avancer les choses.
Dans un discours prononcé devant les parlementaires marocains, le chef de l’État a vanté les mérites de la période Al-Andalus. « Les années d’Al-Andalus ont fait de l’Espagne et du sud de la France un terreau d’échange avec votre culture. La Giralda de Séville, les églises bleues et les patios ouvragés du Sud en restent toujours le somptueux témoignage architectural », a-t-il déclaré. Cette période de l’histoire a-t-elle réellement été marquée par de fortes interactions entre les Européens et les Nord-Africains ?
Décidément, Emmanuel Macron fait un usage abusif de l’histoire. Cette référence à l’Andalousie heureuse soumise à l’islam est une erreur sur la forme et sur le fond. Le président de la République est l’héritier de ses lectures scolaires qui, il est vrai, n’ont cessé de véhiculer la fable du vivre ensemble des trois religions monothéistes dans la péninsule ibérique médiévale.
Les non-musulmans étaient pourtant privés de droits et perclus d’obligations fiscales, sociales et politiques qui faisaient d’eux des sujets de seconde zone. La dhimmitude était une réalité. Évidemment, en sept siècles, les civilisations occupantes ont nécessairement laissé des traces culturelles de leur passage. Mais de nombreuses églises n’ont pas résisté au coup de boutoir des troupes califales. La bibliothèque de Cordoue a été brûlée.
Il peut d’ailleurs paraître très étonnant que ce même président de la République qui a dénoncé la colonisation française puisse trouver des vertus à celle d’Al-Andalus par les troupes omeyyades. Les royaumes ibériques n’ont cessé de connaître des persécutions et des discriminations.
Ce sera tout l’enjeu des rois catholiques de réunifier les royaumes après la prise de Grenade en 1492 qui met un terme à la Reconquista.
Emmanuel Macron n’a-t-il pas tenu ces propos pour des raisons stratégiques ? Dans un documentaire diffusé en octobre sur Public Sénat intitulé : « Le parcours d’un roi – Le Maroc de Mohammed VI », le sénateur LR Roger Karoutchi disait qu’il avait alerté de nombreuses fois l’Élysée et le gouvernement sur la nécessité de « mettre un peu d’affectif avec le Maroc ».
On peut comprendre l’intention de tisser une relation singulière avec le Royaume chérifien mais on ne peut pas le faire au mépris de la vérité historique. Il est bien sûr indispensable de mettre de l’affect dans une relation avec un pays foncièrement ami, avec un pays à la tradition étatique millénaire.
Il n’est pas certain que le choix de certains participants au déplacement officiel soit de nature à consolider ces liens. Mais à côté d’une Algérie qui n’a de cesse d’alimenter le sentiment anti-français en s’appuyant sur une rente mémorielle, il est plus que jamais nécessaire de tisser un continuum privilégié avec le Maroc.
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