ENTRETIEN – Jean-Philippe Delsol est avocat, essayiste et président de l’Institut de Recherches Économiques et Fiscales (IREF). Il répond aux questions d’Epoch Times sur le déficit et la nomination de Michel Barnier à Matignon.
Epoch Times : Le ministre de l’Économie et des Finances sortant Bruno Le Maire ainsi que le ministre délégué aux comptes publics sortant Thomas Cazenave ont envoyé ce lundi 2 septembre un courrier aux députés et sénateurs en charge des sujets budgétaires dans lequel ils pointent du doigt une « augmentation extrêmement rapide des dépenses des collectivités territoriales » qui pourrait « dégrader les comptes 2024 de 16 milliards d’euros ». Et selon une note du Trésor également transmise aux parlementaires, le déficit pourrait atteindre 5,6 % du PIB contre les 5,1 % prévus par le gouvernement sortant. Comment voyez-vous la situation ? Le problème vient-il des collectivités territoriales ?
Jean-Phillippe Delsol : On ne sait pas très bien. Nous n’avons que des estimations de la part du Trésor et des ministres sortants. Bruno le Maire et Thomas Cazenave ne justifient pas leurs propos. Donc on est encore dans l’incertitude. Cela étant, l’accusation du ministre de l’Économie sortant et celui des comptes publics à l’encontre des collectivités territoriales est probablement une manœuvre pour essayer de dégager leur responsabilité qui est évidente.
Ce ne sont pas les collectivités locales qui, d’un coup, ont détérioré gravement les comptes publics, mais bien les gouvernements successifs et Bruno le Maire qui est en poste à Bercy depuis 2017. Souvenez-vous du lancement du « quoi qu’il en coûte » à l’époque de la crise sanitaire. Il fallait dépenser pour faire face à la pandémie. Mais, une fois celle-ci terminée, ils ont poursuivi cette logique de dépenses épouvantable et extrêmement coûteuse qu’ils avaient déjà engagée. Ils ne maîtrisent plus rien.
Les sénateurs ont réagi à ces documents transmis. Interrogé par Public Sénat le 3 septembre, le président PS de la commission des finances Claude Raynal a déclaré que Bruno le Maire « laissera des comptes publics totalement dégradés à ses successeurs ». Peut-on dire que la situation budgétaire actuelle est de l’entière responsabilité de Bruno le Maire ?
Cette responsabilité n’est pas récente. La dégradation des finances publiques est ancienne. En 1981, quand les socialistes sont arrivés au pouvoir, la dette de la France représentait à peine plus de 20 % du PIB.
Depuis, des gouvernements de gauche et d’une droite plus ou moins collectivistes se sont succédé. On est toujours resté dans une forme d’attachement à un État providence en pensant qu’il fallait toujours dépenser plus pour résoudre des problèmes qu’on ne savait pas maîtriser.
C’est comme ça qu’en quarante ans, nous sommes passés d’une dette publique qui représentait 20 % du PIB à 110 % aujourd’hui. Ces sept dernières années, sous le mandat d’Emmanuel Macron, l’endettement de la France a augmenté de 50 %, soit de plus de 1000 milliards d’euros. Rien n’a été maitrisé.
Les collectivités territoriales auraient dégradé les comptes 2024 de 16 milliards d’euros. Ça ne me semble pas être le cas. Mais même si c’était le cas, ce ne sont pas ces 16 milliards qui ont mis la France en danger, mais les 1000 milliards d’endettement supplémentaire d’Emmanuel Macron.
Selon cette même note du Trésor, le déficit pourrait même atteindre 6,2 % du PIB en 2025. L’économiste Marc Touati estimait dans un récent entretien avec Epoch Times que le déficit français est « devenu incontrôlable ». Partagez-vous cette analyse ?
Pour ma part, je pense que le déficit pourrait être contrôlé, même si effectivement, en ce moment, il ne l’est pas. Nous avons les moyens de revenir à un budget assaini.
La vraie difficulté est que nous vivons toujours, de la droite à la gauche, et je dirais même de l’extrême droite à l’extrême gauche, dans un état d’esprit qui voudrait que l’État soit là pour tout financer, tout payer : de la réparation de leurs appareils ménagers et de leurs chaussures à leurs préservatifs, de leurs logements à leurs enfants.
Les gouvernements successifs de ces dernières décennies n’ont eu qu’un souci, celui de déresponsabiliser les Français en leur faisant croire que l’État pouvait tout faire pour eux, alors qu’ils auraient dû aider les Français à se prendre en charge. Le rôle du gouvernement n’est pas de subventionner tout le monde, mais d’apprendre aux Français à se retrousser les manches plutôt que de tendre la main pour recevoir l’aumône de l’État.
Il y a de nombreux domaines d’économies possibles. Nous y avons travaillé au sein de notre think tank, l’Institut de Recherche Économiques et Fiscales (IREF) que je préside. Par exemple, pourquoi est-ce que l’État français croit nécessaire de détenir et faire fonctionner, avec un déficit de 4 milliards par an, des médias ? Il n’a pas besoin de journal ou de presse écrite. Et s’il n’a pas besoin de presse écrite, pourquoi aurait-il besoin de radio ou de télévision ? Si l’audiovisuel public était privatisé, nous économiserions 4 milliards par an.
Je peux également vous parler de la politique de la ville en France. Elle représente 10 milliards d’euros par an depuis environ quarante ans. Et tous les rapports pointent du doigt son inutilité. Alors, arrêtons cette politique d’au moins 80 %. Ça ferait 8 milliards d’euros d’économies.
L’école publique coûte également une fortune. Les élèves de l’école publique représentent un coût de 30 à 40 % supérieur à ceux des écoles privées. La France est enfermée dans une idéologie étatiste depuis près de deux siècles et empêche l’école privée de se développer. C’est-à-dire que l’État conserve le monopole de la délivrance des diplômes, en tout cas ceux qui permettent d’accéder à un certain nombre de fonctions.
D’autre part, l’État a mis un quota tacite de 20 % des élèves des écoles privées conventionnées et les empêche de se développer au-delà. In fine, beaucoup de parents souhaitent placer les enfants dans ces établissements privés plutôt que dans des établissements publics en perdition. Mais ils ne peuvent pas parce qu’il n’y a plus de places. Si le quota de 20 % était supprimé, les élèves des écoles privées seraient plus nombreux et coûteraient 30 à 40 % moins chers à l’État. Nous avons chiffré, dans ce domaine, des économies de 12 milliards d’euros.
Il y a pléthore d’autres exemples : les retraites à faire évoluer vers la capitalisation, la sécurité sociale dont il faut supprimer le monopole… ! Et de manière globale, nous avons chiffré 210 milliards d’euros d’économies possibles, ce qui est déjà très au-delà des 100 et 160 milliards d’euros préconisés par les différentes autorités européennes et françaises.
Ces économies sont possibles. Il faut simplement du courage pour les faire.
Michel Barnier a été nommé ce jeudi 5 septembre Premier ministre. Comment réagissez-vous à cette nomination d’un point de vue économique ? Vous avez parlé de « droite collectiviste ou socialiste ». En fait-il partie ?
Non, Michel Barnier n’est pas socialiste. C’est un homme que je crois honnête. Mais la gentillesse n’est pas un métier. Nous avons aujourd’hui besoin d’un homme courageux, même si aujourd’hui, tout Premier ministre, même courageux, n’aurait sans doute pas les moyens de mener une vraie politique eu égard à l’absence de majorité à l’Assemblée nationale.
Je pense que M. Barnier sera amené à faire une politique du moindre compromis possible. Et il ne saura pas faire plus. Cela étant, à ma connaissance, il n’a jamais été de ceux qui croient qu’il faut rendre aux individus la maîtrise de leur vie. Il continue à penser que l’État providence est la solution pour les individus. Ce que je ne crois pas.
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